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Huitième numéro - Edition spéciale, Juillet 2021

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SOMMAIRE

Par Rémi GRAS & Marine ENINGER

DROIT DE LA SANTE : Santé et droit des contrats : "Va, je ne te hais point

Cet interview a vocation à vous présenter les relations entre le droit des contrats et le droit de la santé. Cette question trouve un intérêt tout particulier du fait des spécificités du droit de la santé, telle que l'éthique, et par conséquent, des relations tumultueuses des deux matières étudiées, avec parfois des intérêts antagonistes, ou du moins difficilement conciliables.

MUSIQUE : La perception juridique et artistique du lien créé par la partition de musique

La partition de musique, lien entre le compositeur et l'interprète, est fondamentale dans le domaine de la musique. Cet article est un essai portant sur une qualification contractuelle de cette partition, en précisant les enjeux et les conséquences d'une telle qualification.

Par Nicolas DARBON & Aliénor DARBON

DROIT PENAL : La contractualisation de la peine 

L'infliction d'une peine à un délinquant n'a de sens que si cette peine est efficace. Depuis quelques années, une nouvelle tendance apparait, qui est celle de la contractualisation de la peine. Autrement dit, il s'agit d'une peine acceptée par le délinquant en vue d'une meilleure efficacité. Cet article vous propose de réfléchir sur cette contractualisation, et notamment sur la notion de consentement en droit pénal et à ses liens avec cette notion en droit des contrats. De plus, vous y trouverez un essai sur la qualification de cette peine si particulière de droit pénal au regard du droit des contrats.

Par Cindy CATALANOTTO & Alexia CHOMETTE & Marine ENINGER

DROIT & ANIMAL : Pas besoin de nommer votre poney "Aléa" pour que sa vente soit un contrat aléatoire !

En achetant un cheval, l'acquéreur prend nécessairement un risque. Cela est d'autant plus vrai concernant les chevaux de sport et les résultats qu'ils pourraient réaliser après la vente. Sur quoi porte l'obligation d'information du vendeur ? Quel est précisément l'objet du risque ? Des aménagements contractuels sont-ils possibles pour limiter cet aléa ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de tenir compte de la grande spécificité de l'objet de ce contrat : l'animal est un être doué de sensibilité dont la santé et les futurs résultats sont parfois incertains. 

Par Aliénor DARBON

Nos autrices et auteurs pour ce numéro spécial : 

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  • Cindy CATALANOTTO, Etudiante en Master 2 Droit pénal fondamental et candidate au concours d'entrée à l'Ecole Nationale de la Magistrature 2021 ;

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  • Alexia CHOMETTE, Etudiante en Master 1 Droit privé et judiciaire et candidate au concours d'entrée à l'Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Police 2022 ;

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  • Rémi GRAS, Ancien étudiant du Master 2 Activités de santé et responsabilité et élève-avocat à l'EFB ;

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  • Nicolas DARBON, Maître de conférences HDR en musicologie à Aix-Marseille Université, CRILLASH Université des Antilles ;

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  • Aliénor DARBON, Etudiante en Master 2 Droit et Pratique des Contrats ;

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  • Marine ENINGER, Etudiante en Master 2 Droit et Pratique des contrats et admise à l'examen d'entrée au C.R.F.P.A 2019 ;

Article 1

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DROIT PENAL : La contractualisation de la peine 

 

 

          L’infliction d’une peine à un délinquant n’a de sens que si cette peine est efficace. L’article 130-1 du Code pénal dispose qu’afin « d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions, et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions de sanctionner l’auteur de l’infraction et de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ». Ainsi, une des finalités de la peine est la réhabilitation et la réinsertion de l’auteur de l’infraction. La recherche d’une meilleure effectivité des peines conduit le législateur à produire des techniques innovantes. S’est ainsi développé un phénomène de « contractualisation de la peine » (note 1). Une peine consentie est en principe une peine efficace, car acceptée. L’intérêt du juge est de trouver un accord avec le prévenu s’agissant du prononcé de sa peine afin que l’exécution de cette dernière permette de mettre fin à l’infraction, mais aussi de limiter la récidive. Ainsi, il est possible de constater que la peine est de moins en moins subie mais de plus en plus « négociée » (note 2) voire choisie par le délinquant. Le consentement et l’autonomie personnelle des condamnés ont acquis une certaine place en droit pénal, notamment en matière de peines délictuelles et contraventionnelles. Les peines criminelles qui sanctionnent les comportements les plus graves restent exclues de ce développement, tout comme la convention judiciaire d’intérêt publique, créée par la loi Sapin II. En effet, ce contrat n’aboutit pas à une peine, car la culpabilité n’est pas reconnue. 

Pour que l’on puisse parler de contractualisation de la peine, cela suppose que le prononcé de cette peine réponde aux conditions de formation du contrat. Cependant, qu’en est-il de « l’accord de volonté entre les parties » exigé par le Code civil (note 3) ? La notion de consentement est-elle la même en droit pénal et en droit des contrats ? 

Le développement des peines consensuelles (I) conduit à s’interroger sur la nature de celles-ci (II) et sur leur lien avec la notion de consentement contractuel (III). 

 

          1. La quête des peines consensuelles

 

         La tendance actuelle de la peine en droit pénal est celle d’un renouveau. En effet, la peine pénale revêt de nouveaux caractères et semble être comme revisitée. Cette évolution s’est confirmée avec la multiplication des peines alternatives à l’emprisonnement, ainsi que des alternatives aux poursuites. D’ailleurs, la loi du 23 mars 2019 dite de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice renforce la substitution à l’emprisonnement. Désormais, la peine pénale n’est plus seulement sanctionnatrice, mais, éducative, curative ou encore consensuelle. L’utilisation du consentement au stade du prononcé de la peine est appréciable car il permet au délinquant de jouer un rôle actif et d’avoir la possibilité de participer au choix et à l’application de sa peine. Le consentement symbolise alors le passage d’un modèle de justice à un autre, où les parties privées sont au centre du processus de règlement de leur conflit. Le délinquant-objet devient alors délinquant-sujet, acteur dans la détermination et le prononcé de sa peine. Ainsi, on pourrait parler de contractualisation du droit pénal.

 

        Le Code de procédure pénale prévoit la mise en œuvre d’une composition pénale à l’encontre « d’une personne physique qui reconnait avoir commis un ou plusieurs délits punis, à titre principal d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans » (article 41-2 CPP). La composition pénale peut s’illustrer de différentes formes en fonction de l’infraction commise. Le procureur de la République peut, par exemple, proposer au délinquant la réalisation d’un stage qui peut, prendre la forme d’un stage de citoyenneté, d’un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple ou encore d’un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants (liste non exhaustive). Le législateur précise que la personne à qui est proposée une composition pénale dispose de la possibilité de donner ou non son accord. En effet, le Code précise que la personne peut se faire assister d’un avocat avant de donner son accord aux propositions et qu’elle peut demander à bénéficier d’un délai de dix jours avant de faire connaitre sa réponse (Article R. 15-33-40 CPP). Cependant, si la personne n’accepte pas la composition pénale, « le procureur de la République met en mouvement l’action publique ». 

Avant même l’enclenchement des poursuites pénales, le législateur a voulu donner une place à l’expression individuelle du délinquant. 

 

       Par ailleurs, l’article 131-3 du Code pénal énumère les différentes peines correctionnelles qui peuvent être appliquées au délinquant. Ainsi peut être prononcé, un emprisonnement, un travail d’intérêt général, une amende, une peine de stage, etc. La détention à domicile sous surveillance électronique, modifiée par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, peut être prononcée par la juridiction comme une peine alternative à l’emprisonnement pour tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement (création de l’article 131-4-1 CP). Le régime prévu par le Code pénal impose l’accord du prévenu. Or, l’accord exigé par le législateur s’apparente davantage à une injonction qu’à une proposition. En effet, l’article 713-44 du CPP dispose qu’en cas de refus observé par le délinquant, le juge d’application des peines pourra ordonner l’emprisonnement de ce dernier. De surcroit, dans cette même dynamique de consentement imposé par le législateur au délinquant, on retrouve également l’injonction de soin prévue à l’article 131-36-4 CP, le suivi-socio judiciaire. Cette mesure impose la formulation de l’accord de la personne qui en fait l’objet. Or, si cette dernière refuse les soins qui lui sont proposés, un emprisonnement pourra être mis à exécution à son encontre.

 

        Dès lors, il serait plus juste d’évoquer la coexistence d’une justice pénale consensuelle avec la justice pénale impérative. Il apparait que certaines peines pénales imposent le consentement du délinquant, une sorte de consentement-pression. En l’espèce, il semble difficile de parler de réel consentement ou du moins d’en nuancer sa portée. Finalement, peine et consentement ne sont liés que de manière exceptionnelle, le principe en matière de sanction pénale reste celui de l’impérativité de la décision en raison de son caractère répressif.

 

          2. Nature juridique des peines consenties : un contrat ? 

 

       La nature de la peine consentie est débattue en doctrine. Pour qualifier ces peines consenties de contrat, il faut d’abord en déterminer les parties. A première vue, une offre est émise par le Ministère public, offre que le prévenu peut accepter. En suivant ce raisonnement, il est nécessaire de savoir si le contrat est synallagmatique ou unilatéral, c’est-à-dire s’il est ou non créateur d’obligations pour les deux parties. 

 

       A première vue, la peine correspond au contenu (anciennement l’objet) du contrat, plus qu’au contrat lui-même. Celui-ci ne semble a priori pas être synallagmatique au sens de l’article 1106 du Code civil. En effet, une peine consentie par la personne condamnée ne crée pas d’obligation juridique pour le Ministère public. Néanmoins, il peut être avancé que le Ministère public est tenu à une obligation de surveillance de l’exécution de la peine. Il semblerait donc qu’une qualification envisageable soit celle de contrat synallagmatique avec une obligation de surveillance du Ministère public. Pourtant, qualifier ces peines innovantes de contrat unilatéral pourrait se justifier en ce sens que le Ministère public n’étant pas une personne privée il ne peut être tenu à aucune obligation au sens de l’article 1106 al. 2 du Code civil. 

 

      Dans tous les cas, la personne condamnée serait tenue d’exécuter sa peine en vertu de la force obligatoire des contrats. Néanmoins, la peine demeure un acte juridictionnel. C’est pourquoi l’obligation pour le condamné d’exécuter sa peine consentie tire sa force à la fois de l’autorité de l’offrant et de la volonté de l’acceptant (note 4). On pourrait se dire que l’autorité de la décision de justice est supérieure au contrat. Si cette affirmation est a priori vraie, il est important de préciser que les contrats peuvent lier les juges. Il suffit de citer les clauses attributives de juridiction, de loi ou compromissoire pour s’en convaincre. Finalement une peine consentie pourrait être vue comme l’hybridation d’un contrat et d’une peine classique. La force obligatoire pour le condamné provient autant de la nature juridictionnelle de l’acte que de la force obligatoire des contrats. Ce raisonnement témoigne donc de la difficulté d’articuler les mécanismes civils et pénaux. C’est pourquoi il est intéressant de se demander si le consentement qui permet de conclure cet acte est un consentement spécifique qui répond à une finalité particulière. 

 

         3. Le consentement : un gage d’efficacité des peines ?  

 

        Quelle que soit la nature juridique de ces peines consenties et négociées, l’accroissement de la place du consentement et de la volonté individuelle des prévenus dans le processus pénal est innovant et invite à réfléchir sur le sens et les finalités de la peine. 

 

        Le prévenu, invité à participer au choix de sa sanction est pleinement impliqué dans le processus pénal. En acceptant la peine proposée il est responsabilisé, mis face à son choix et donc plus à même de s’engager dans la voie de la réinsertion. Derrière la recherche d’un accord, il y a donc une volonté d’accroître la place de la pédagogie dans la répression pénale. L’accord du prévenu recèle un véritable engagement de sa part. De ce point de vue, les peines acceptées permettent sûrement d’insérer et d’amender plus efficacement les prévenus. Elles sont alors un outil performant de lutte contre la récidive. 

 

       Par ailleurs, derrière la recherche d’une acceptation de la peine par un prévenu, il y a une volonté d’accroître l’individualisation des peines. Une peine acceptée est davantage adaptée à la personnalité et à la situation personnelle, professionnelle et familiale du prévenu. En effet, si le Ministère public ou la juridiction souhaite que la personne donne son accord à la peine proposée, il est nécessaire que celle-ci soit ajustée à sa situation. En outre, une personne condamnée peut retirer certains "bienfaits" de sa peine, par exemple, une réinsertion dans le monde professionnel, un cadre propice à la poursuite d’efforts, un éloignement de ses mauvaises fréquentations, etc. La peine acceptée est alors susceptible de répondre aux attentes personnelles qu’un prévenu peut en espérer. 

 

       Derrière cette recherche de l’accord du prévenu, il ne faut pas oublier que l’exécution des peines consenties est obligatoire. Elles sont pleinement exécutoires et leur exécution ne dépend pas de la volonté des condamnés (article 707 du code de procédure pénale). Ainsi, en cas d’inexécution de certaines peines consenties, des sanctions sont encourues par le prévenu, pouvant même être fixées par anticipation par la juridiction (ex : en matière de TIG : article 131-9 du Code pénal). En outre, si le législateur entend réellement responsabiliser les prévenus en les impliquant dans le choix de leur sanction, encore faut-il que leur consentement ne soit pas vide de sens. On constate en ce sens une multiplication des mécanismes destinés à « forcer », « contraindre » le consentement du prévenu. La proposition de peine peut n’être qu’un choix déguisé car la menace d’une incrimination supplémentaire peut « forcer » le délinquant à accepter la peine. Ainsi, le prononcé d’un suivi socio-judiciaire avec injonction de soins nécessite le consentement de l’intéressé. Cependant, s’il refuse, il encourt un emprisonnement supplémentaire : jusqu’à 3 ans s’il a été condamné pour un délit et jusqu’à 7 ans en cas de condamnation pour crime (article 131-36-4 du code pénal).  La menace d’un retrait des crédits de réduction de peine peut également fortement inciter le prévenu à accepter la peine proposée. C’est le cas en matière de surveillance judiciaire prononcée dans le cadre du suivi socio-judiciaire puisque « le juge de l'application des peines avertit le condamné que les mesures prévues aux articles 131-36-4 et 131-36-12 du code pénal ne pourront être mises en œuvre sans son consentement, mais que, à défaut, tout ou partie de la durée des réductions de peine dont il a bénéficié pourra, en application du premier alinéa, lui être retiré » (article 723-35 du CPP). 

 

Dans ce cadre il est difficile de parler de contrat au sens civiliste du terme. 

Cindy CATALANOTTO & Alexia CHOMETTE & Marine ENINGER

Note 1 : PIN (X.), Le consentement en matière pénale, L.G.D.J., 2002, 736 p. 

Note 2 : PIN (X.), Droit pénal général, Dalloz, 2020, ed. 11, 592 p. 

Note 3 : Article 1101 du Code civil.

Note 4 : PIN (X.), Le consentement en matière pénale, op. cit. 

Article 2

DROIT & ANIMAL : Pas besoin de nommer votre poney "Aléa"  pour que sa vente soit un contrat aléatoire

       La constatation de la dangerosité est évidente en matière de sport équestre. Equidé rime avec insécurité, et ce, jusqu’à l’écriture des contrats !

 

          Le cheval se retrouve régulièrement dans les contentieux contractuels en matière de vente. Cet être vivant est généralement commercialisé dans l’espoir de garder ou d’exploiter ses capacités physiques. C’est alors que les juges vont rencontrer des situations où le cheval a été blessé, "planté" (2), ou se révèle être un très mauvais reproducteur. 

 

        L’acquéreur prend toujours un risque en achetant un cheval. Il conclut ainsi une vente soumise à un aléa. En effet, l’acte prévu à l’article 1108 alinéa 2 du code civil, est aléatoire, lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain. L’aléa est alors l’impossibilité de connaître la réalité de l’objet du contrat ou de la prestation. L’étendue exacte du risque est l’inconnue. Il est souvent donné en exemple, les contrats de jeux et de pari. Dans le monde équin, les effets espérés sont les gains aux compétitions (1), ou une reproduction fructueuse de foals (3) à forts potentiels afin de les vendre pour une coquette somme d’argent. Cependant l’incertitude règne toujours quand il s’agit de la santé ou la capacité sportive du cheval. Il est si facile pour un équidé de se blesser, ruinant par conséquent toutes les espérances de Grand Prix qui berçaient les plus beaux rêves des propriétaires. 

 

          Il va sans dire que le transfert de la propriété d’un cheval peut faire se confronter acheteurs et vendeurs lors de contentieux particulièrement onéreux. Une perle noire a récemment expliqué dans sa langue hennissante comment il aurait pu être possible d’éviter d’en arriver là. En remontant quelques années plus tôt, une vente (non française) avait particulièrement fait parler d’elle. Totilas, surnommé l’Etalon Prodige, a été vendu 10 millions d’euros à l’allemand Paul Schockemöhle. Une telle somme était méritée pour ce cheval qui a battu le record du monde de dressage avec le cavalier Edward Gal. Pourtant, la vente vire au désastre. Cet entier était promis à continuer sa carrière éblouissante sous la selle d’un autre cavalier. Cependant, les nouveaux propriétaires n’ont été confrontés qu’à des blessures à répétitions, à un mental compétitif perdu conduisant par conséquent, à enchainer les contre-performances. Le crack à la robe noire est rapidement placé en retraite avec ses 10 millions d’euros. 

Finalement, Totilas, du haut de son étoile (4) ne serait-il pas moqueur à la perception des jeux de ventes de chevaux, ou plutôt des jeux de paris ?  

 

         Lorsqu’il est acquis que le contrat est soumis à un aléa, celui qui accepte cet aléa ne peut se prévaloir par la suite des recours possibles tels que la garantie des vices cachés, la lésion, l’erreur ou encore la garantie d’éviction. Effectivement, selon Alain Bénabent, « par définition, l’idée d’acceptation d’un risque est antinomique de celle de garantie ». L’acquéreur du cheval, lorsqu’il signe pour le transfert de la propriété de l’équidé, renonce à ouvrir la porte du palais de justice sur ces derniers fondements. 

 

Encore faut-il savoir quand l’acquéreur est en pleine connaissance de l’aléa, arme qui l’enferme dans un contrat. 

 

        Devoir d’information du vendeur

 

       Quels sont les éléments essentiels à la vente d’un cheval ? Ils dépendent en général de la destination que l’on fait de l’animal. Pour un cheval vendu pour la reproduction, le vendeur devra apporter des éléments précis concernant la fertilité du cheval. Celui qui vend un cheval de haut niveau devra particulièrement informer des origines, des performances et de la santé de l’être sensible. 

 

      Le vendeur est en relation avec des professionnels du cheval (cavaliers, coach, etc.), et avec des consommateurs (cavaliers amateurs). La connaissance de l’aléa diffère du statut du potentiel acquéreur. 

 

      Le vendeur est alors soumis à un devoir d’information. Cette obligation est un corollaire de l’obligation prévue par l’article 1104 et 1112-1 du code civil qui disposent que les contrats doivent être conclus de bonne foi. L’intensité de ce devoir se nuance selon son destinataire. La notion de contractant « averti » est alors particulièrement présente en matière de vente équine. Cette partie au contrat est la personne qui exerce une activité professionnelle dans le milieu du cheval. Elle est en capacité de mesurer les conséquences de l’achat d’un cheval. Elle comprend le risque que représente l’être vivant objet de la vente. Elle envisage sans difficulté l’aléa du contrat. En effet, le professionnel connaît la sensibilité physique et morale d’un équidé. Par ailleurs, un autre élément intensifie cet aléa : le niveau du cavalier qui montera l’animal vendu (5). Ce dernier joue un rôle important dans l’évolution du cheval. Comme l’affirme une maxime populaire dans le milieu « il n’y a pas de mauvais chevaux, il n’y a que de mauvais cavaliers ». Un très bon cheval a besoin d’un bon équipier qui sait adopter une méthode de travail rigoureuse (de préférence douce et dans le respect de l’animal) ! Concrètement, qui est ce professionnel ? Couramment, il endosse la bombe (6) de cavaliers professionnels, coachs, éleveurs, autres marchands de chevaux ou même du trader, etc. 

 

 

        Prenons l’exemple d’une vente d’un cheval de sport. Dans le milieu du concours d’obstacles, la vente de jeunes chevaux est très fréquente. Il est régulier qu’un cheval vendu pour de « grosses épreuves » n’en fasse finalement que de petites, pour les raisons exposées précédemment. C’est ce que constate l’homme qui achète Melody, jument au doux prix de 18 000€. Car le désir de richesse et de réussite de ce pauvre monsieur tombe en même temps que la barre de l’obstacle frôlée par la jument dans la carrière de sable. Un espoir pérenne cependant toujours pour le propriétaire du cheval, celui de la nullité du contrat de vente sur le fondement de l’erreur. Il conteste le contrat en prétextant qu’il n’aurait jamais contracté s’il avait su que son cheval était aussi mauvais. Le juge n’a pas pris en compte sa demande en considérant que le cheval est un investissement risqué sans aucune garantie. Selon les dires de la Cour d’Appel d’Orléans, « l’aléa chasse l’erreur » (7). Elle est d’autant plus expulsée que le propriétaire étant « trader », il aurait dû connaître la Melody (8), la chanson, l’aléa. 

 

      Attention toutefois, les juges ne cherchent pas à conforter le marchand en murmurant à son oreille l’idée de vendre ses chevaux à des prix trop élevés sous prétexte que le contrat est soumis à un aléa. Un cheval est en général vendu pour un niveau précis de compétition. Il est possible de savoir s’il vaut ce prix au regard des origines, du physique et des compétences qu’il a montrées au travail. Un cheval sans pathologie particulière n’est pas pour autant un cheval de course ou de compétition. Savoir marcher et galoper sans difficulté ne fait pas de lui un futur champion. Les marchands de chevaux en ont tout à fait conscience. 

 

       Concernant l’acquéreur amateur, consommateur, le devoir d’information du vendeur à propos de l’aléa s’alourdit d’autant plus si l’acheteur est un consommateur ! Ainsi le contrat sera soumis à la garantie de conformité prévue dans le code de la consommation. Il est nécessaire pour le vendeur de bien définir que le cheval est un être vivant qui peut ne pas emmener le cavalier au niveau souhaité, que le niveau de santé, physique est changeant et qu’il est nécessaire que le cheval soit travaillé « dans le bon sens » (9).

 

        Une question intervient concernant l’examen vétérinaire de pré-vente. Un vendeur demande en général à un acquéreur s’il souhaite effectuer une visite vétérinaire sur le cheval avant de l’acheter. Il permet de faire un bilan plus ou moins poussé de la santé de l’animal. Il s’agit généralement d’une procédure intéressante pour le vendeur honnête qui ne souhaite pas prendre le moindre risque sur les garanties des vices cachés et de l’erreur. La réflexion porte sur l’hypothèse dans laquelle un acquéreur potentiel décide de se constituer partie au contrat sans effectuer cette visite. Il semblerait que, tout consommateur qu’il soit, ce comportement équivaut à l’acceptation du risque des problèmes de santé du cheval. Le vendeur avait mis le potentiel contractant en position de connaître l’intégralité de la santé du cheval. Si le cavalier refuse de procéder à une visite vétérinaire (qui est à ses frais), il conscientise l’aléa inhérent à la vente d’un cheval. 

 

         L’objet du risque

 

         Cependant, il peut arriver que les parties ne se soient pas comprises sur le risque pris lors de la conclusion du contrat. Tel a été le cas dans un arrêt rendu par la Cour de cassation en 1997 (10). Un cheval est vendu pour ses qualités de reproducteur. Il s’avère que ce cheval souffre d’une hypofertilité, il peut produire des poulains mais insuffisamment au vu de la carrière de reproducteur qui l’attendait. Où se place le risque ? Deux propositions s’offrent à nous : soit l’acquéreur a accepté le risque que le cheval produise peu, soit il accepte le risque que le cheval produise une descendance de mauvaise qualité. Cette qualité s’entend par exemple par le fait que les poulains n’auraient pas le même potentiel que leur père et seraient alors vendu à des prix inférieurs à ceux espérés, rendant l’achat de l’étalon moins rentable. En l’espèce, la Cour a considéré que l’acquéreur avait pris le risque que la production du cheval soit de mauvaise qualité, mais en aucun cas le risque que le cheval soit hypofertile. La condition essentielle de la vente était la fertilité du cheval certifiée par un vétérinaire. Test positif avant la vente et négatif lorsqu’ils sont effectués par l’expert assigné en référé. Si les acquéreurs avaient su avant, ils n’auraient pas contracté, ou alors sans doute pas aux conditions auxquelles ils ont effectivement contracté, faisant alors de cet élément un élément essentiel qui justifie le recours pour vice caché. Il est alors bien important de savoir quel est le champ exact de l’aléa lors de la vente d’un cheval. La Cour de cassation va d’ailleurs dans ce sens, le 29 mars 2008 (11) en ce qu’elle va chercher à déterminer précisément ce dont avaient conscience les parties. Elle veut mettre en avant la réelle perception de l’aléa. 

 

          Aménagement contractuel, une arme contre l’aléa

 

       Peut-être serait-il alors intéressant pour les parties d’intégrer une clause qui détermine au mieux l’aléa ? Au lieu de laisser l’appréciation au juge, les parties auraient tout intérêt à encadrer la réalité de l’aléa conventionnel. Car si le juge estime que la différence entre la réalité de l’aléa et l’acceptation qui en avait été faite est trop grande, les acquéreurs pourraient se prévaloir des recours normalement chassés. 

 

      Par ailleurs, il est possible d’imaginer une clause qui ne soumettrait l’aléa qu’à la garantie d’éviction, donnant ainsi la possibilité à l’acquéreur d’avoir accès aux autres recours. Il s’agirait alors d’une réduction conventionnelle de l’aléa. Une autre stratégie serait envisageable, celle d’intégrer à la vente une clause de renégociation du prix de l’animal, lorsque l’acquéreur subit une trop grande perte du fait de la matérialisation du risque. Il conviendrait de bien déterminer les contours de cette perte. Cette clause pourrait rassurer les acheteurs trop frileux pour se lancer dans l’acquisition d’un animal très onéreux, mais pas assez pour investir dans un domaine plus fiable. Cette stratégie s’apparente au modèle de la clause de l’earn-out qui suppose, dans le cadre de cession d’une entreprise, que le prix est fixé selon des performances futures de l’entreprise cédée. Il existe ainsi une partie fixe et une partie variable. Ainsi la valeur de l'entreprise dépend de ses performances et ainsi l’acheteur ne prend pas le risque de payer un prix trop élevé en comparaison aux résultats qui seront effectifs. 

 

 

Un bon conseiller financier ne pourrait que recommander à son client de miser sur le bon cheval en espérant qu’il en ait assez sous le capot ! 

Aliénor DARBON

(1). Les gains d’Ourasi, « Le Roi Fainéant » montent à 5 135 099,67 €.

(2). Jargon du milieu équin signifiant qu’un cheval n’a plus le mental pour accepter les exercices demandés par le cavalier.

(3). Poulain de moins d’un an. Le milieu équestre nomme généralement ainsi les poulains de pure race.

(4). Totilas est décédé en décembre 2020.

(5). CA Lyon, 2 avril 2009, n°2009/380481 : un cheval qui a la capacité mais dont le cavalier est en dysharmonie avec ne peut justifier une erreur sur les capacités sportives du cheval.

(6). De l’expression « il endosse la casquette de ».

(7). CA Orléans, 2 avril 2009, n°08/01206. 

(8). Nom de la jument vendue.

(9). Expression du milieu équin signifiant que le cheval est correctement entraîné. 

(10). Cass., civ 1, 18 novembre 1997, n°95-20.471, Inédit.

(11). Cass., civ 1, 28 mars 2008, n°06-10.715.

Article 3

DROIT DE LA SANTE : Santé et droit des contrats : "Va, je ne te hais point" (Note 1)

       La matière contractuelle est vaste. Celle-ci a vocation à s’appliquer dans de très nombreux domaines, avec des adaptations spécifiques plus ou moins importantes. Les relations avec le droit de la santé sont tout particulièrement intéressantes du fait des nombreux impératifs de cette matière ainsi que de sa sensibilité. En cela, l’interview de M. Rémi GRAS tentera d’apporter des réponses aux liens aussi tumultueux qu’importants entre ces deux matières.

 

         Question : Si je vous dis « contrat et droit de la santé », qu’est-ce que cela évoque chez vous ?

 

       Réponse : Lorsque l’on parle « contrats » en matière de santé, le premier arrêt qui nous vient à l’esprit est celui rendu par la Cour de cassation en 1936, le grand arrêt Mercier (note 2). En effet, la chambre civile consacrait à l’époque la nature contractuelle du lien entre le patient et le médecin, en dehors des établissements publics de santé. L’arrêt précisait que le professionnel n’était tenu que d’une obligation de moyens et non de résultat (« Attendu qu’il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le praticien, l’engagement, sinon, bien évidemment, de guérir le malade, […] du moins de lui donner des soins, non pas quelconques, […], mais consciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science »). Ainsi tout au long du XXème siècle, la faute du médecin entrainait l’engagement de sa responsabilité contractuelle fondée sur l’ancien article 1147 du Code civil. 

Cependant, la responsabilité extracontractuelle restait mobilisée dans différentes situations. C’était le cas pour les aléas thérapeutiques (note 3), les victimes par ricochet (note 4) ou la responsabilité du médecin anesthésiste qui se substituait au chirurgien sans le consentement du patient (note 5). En 1992 (note 6) une brèche s’ouvre lorsque le juge administratif rejette la jurisprudence civile en appliquant la responsabilité délictuelle à la faute du médecin travaillant dans le service public de la santé. 

Pour mettre fin à la divergence de jurisprudence, la loi du 4 avril 2002, dite loi Kouchner, a généralisé la responsabilité délictuelle pour faute à l’ensemble des professionnels de santé. Désormais l’article L.1142-1 I du Code de la santé publique dispose que « […] les professionnels de santé […] ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ». Par conséquent, la première chambre civile est venue, en 2010 (note 7), clôturer le chapitre contractuel de sa jurisprudence en matière de responsabilité médicale : « cette disposition [L.1142-1 I CSP] se substitue ainsi à l’article 1147 C. civ comme fondement de la responsabilité médicale en droit privé ».

Désormais les obligations des professionnels de santé telles que l’obligation d’information ou l’obligation d’obtenir le consentement du patient se fondent sur le nouvel article 1240 du Code civil. 

 

         Question : Vous parlez du consentement en matière de santé, pourriez-vous nous donner une définition de cette notion ?

 

        Réponse : L’obligation pour le médecin d’obtenir le consentement de son patient pour pratiquer un acte médical est issue de l’arrêt Teyssier rendu par la Cour de cassation en 1942 (note 8). Un demi-siècle plus tard, il a été consacré à l’article 16-3 du Code civil dans le cadre des premières lois bioéthiques. La loi du 4 mars 2002 précitée, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, a également affirmé le droit pour le patient de consentir ou de refuser un traitement (note 9).

En matière de santé, le consentement prend la forme d’une codécision médicale. Ainsi, le patient doit être celui qui prend les décisions qui concernent sa santé. Pour cela, il doit obtenir une information complète par le professionnel de santé, qui peut l’aider à orienter sa décision en lui faisant des préconisations. 

 

          Question : Ce consentement est-il le même que celui de l’article 1128 du code civil ?

 

         Réponse : En droit civil comme en responsabilité médicale, la notion de consentement connait des significations très proches : dans les deux situations, un consentement libre et éclairé doit être recherché. Cette similitude trouve sa source dans l’ancienne nature contractuelle de la relation patient-médecin. En effet, la chambre civile expliquait que « le contrat qui se forme entre le chirurgien et son client comporte, en principe, l’obligation pour le praticien de ne procéder à telle opération chirurgicale déterminée qu’après avoir au préalable obtenu l’assentiment du malade » (note 10).

 

      Cependant, ce rapprochement connait des limites. D’une part, s’agissant de la gestion des incapacités, le Code de la santé publique impose, en principe, que le consentement du mineur ou du majeur protégé soit toujours recherché (note 11). Là où l’article 1129 du Code civil impose que le contractant soit sain d’esprit pour consentir. L’acte conclu par un majeur subissant un trouble mental suffisamment grave au jour de sa conclusion est donc nul.

De même, le droit de la santé prévoit le cas du patient incapable d’exprimer sa volonté. En effet, seules l’urgence et l’incapacité matérielle de consentir permettent au médecin de passer outre son obligation d’obtenir le consentement du patient.  Le Code de la santé publique organise, pour cette dernière situation, une procédure collégiale, des directives anticipées ou la désignation d’une personne de confiance. Ces dispositifs ont été mis en avant sur la scène médiatique par l’affaire Lambert (note 12). Ainsi, le droit de la santé permet de procéder à un acte médical sans le consentement direct du patient. 

 

       D’autre part, une différence majeure apparait au travers des conséquences de l’absence de consentement. Si le consentement vicié entraine la nullité relative du contrat en droit des obligations, il est impossible, en matière médicale, d’anéantir rétroactivement un acte et de replacer les parties dans leurs situations antérieures. Ainsi l’absence de consentement permet uniquement d’engager la responsabilité extracontractuelle du professionnel de santé. Le législateur a tiré les conséquences de ce déséquilibre dans la relation médecin-patient. Il fait notamment peser la charge de la preuve du consentement sur la tête du professionnel. De même, le patient peut retirer à tout moment son consentement.

 

      Cependant nombreuses sont les exceptions au principe du consentement en matière de santé. C’est le cas par exemple des vaccinations obligatoires, des injonctions pénales de soins ou des soins psychiatriques sans consentement. 

 

       Question : Que pouvez-vous nous dire de l’utilisation du contrat en matière de santé et de ses conséquences éthiques ?

 

      Réponse : La santé et le contrat connaissent des relations tumultueuses. Si on a depuis longtemps accepté de contracter pour assurer les risques pour sa santé (ex. contrat de garantie dommage corporel), la contractualisation du corps humain reste illégale. En effet, l’ancien article 1128 du Code civil imposait que le contrat porte sur une chose dans le commerce, et le corps humain est, de jurisprudence constante, hors commerce. Depuis la réforme de 2016, cette jurisprudence se fonde sur les articles 6 et 1162 du nouveau Code civil. 

Un sujet illustre parfaitement cette difficulté : les conventions de mère porteuse. Le droit positif consacre une interdiction, d’ordre public, de la gestation pour autrui (note 13). Cette disposition est donc conforme au principe d’indisponibilité du corps humain. Cependant, depuis quelques années, le sort des enfants de conventions de mère porteuse à l’étranger émeut la doctrine et agite la jurisprudence. Le principal débat ne porte pas sur le fait d’autoriser la pratique, mais sur la possibilité de transcrire sur l’État civil français une situation acquise à l’étranger, en fraude à la loi française. Il y a alors un point de friction entre la fraude à la loi et l’intérêt supérieur de l’enfant. Si, pendant un temps, les tribunaux refusaient de transcrire à l’état civil français les actes de naissance de ces enfants sur ce fondement, désormais, et sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation accepte qu’un tel acte de naissance soit retranscrit à l’identique à l’état civil (note 14). Ainsi, alors que l’opinion française et le législateur restent farouchement attachés au principe de l’indisponibilité du corps humain, la pratique et la jurisprudence ont dû reconnaitre des situations de contractualisation du corps humain. 

Note 1 : Le Cid, Corneille.

Note 2 : Civ., 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Epoux Mercier.

Note 3 : Civ.1, 8 nov 2000.

Note 4 : Civ.1, 18 juillet 2000.

Note 5 : Civ.1, 18 octobre 1960.

Note 6 : CE, ass., 10 avril 1992, Epoux V.

Note 7 : Civ.1, 28 janvier 2010.

Note 8 : Req., 8 janvier 1942, DC. 1942. J. 63 ; Gaz. Pal. 1942-1, p. 177.

Note 9 : Article L.1111-4 du Code de la santé publique.

Note 10 : Civ. 29 mai 1951, D. 1951. 53, note Savatier.

Note 11 : L.1111-4 CSP al.7 et 8.

Note 12 : voir par exemple CEDH, 5 juin 2015, Lambert et autres c. France ; CEDH, 30 avril 2019, Lambert et autres c. France. 

Note 13: Article 16-7 et 16-9 C.civ.

Note 14 : Ass. Plen., 4 oct. 2019 (n°10-19.053) et Civ.1, 18 dec. 2019 (n°18-11.815).

Rémi GRAS & Marine ENINGER

ARTICLE 4

MUSIQUE : La perception juridique et artistique du lien créé par la partition de musique

       Lier la musique et le droit offre l’opportunité de laisser une place à l’imagination, dans une perspective épistémologique ouverte à la “pensée complexe” comme l’entend Edgar Morin (note 1). Cet écrit a pour objectif de donner libre cours à une perception singulière de la partition musicale. Nous la concevrons comme un contrat et nous allons expliquer pourquoi.

 

       Le monde de la musique et du droit peuvent se côtoyer dans le cadre de la protection intellectuelle de l’artiste. Il existe un droit réel qui s’applique aux musiciens, retrouvé notamment dans les contrats d’éditions ou les droits d’auteurs. Outre les généralités habituelles, les deux disciplines se lient discrètement dans un acte musical assimilable à un contrat. 

 

      Quelle pourrait être cette fine passerelle entre le monde de l’art et celui du droit ? Peut-il simplement exister une analogie entre un artiste supposé rêveur et indiscipliné, et un juriste en quête de cadres stricts et sécurisants ? 

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      Établir un compromis sans rupture nette entre art et droit semble difficile. Pourtant, la partition est le socle idéal pour satisfaire le désir de chacun et sceller la rencontre des volontés du compositeur et de son interprète tout en respectant les prérequis généralement appréciés en droit. Juristes et artistes séduits, place à la lecture de cette partition à la forme contractuelle où chaque partie et tiers bénéficiaires apprécient les obligations qui en découlent. 

 

       La partition : une rencontre des volontés

 

      En quoi une partition de musique peut-elle être le reflet d’un contrat ? Et tout d’abord, qu’est-ce qu’une partition de musique ? Pour citer une définition officielle, il s’agit d’un cahier où sont réunis les “différentes parties vocales ou instrumentales d’une composition musicale, notées sur des portées séparées et placées les unes au-dessus des autres de manière à se correspondre exactement” (note 2). En d’autres termes, c’est un ouvrage “physique” ou “papier”. De plus en plus, la partition est disponible en version numérique : les interprètes - instrumentistes d’orchestre, récitalistes, choristes… - se mettent à lire la musique sur des tablettes. La partition suppose donc que le musicien créateur couche sur le papier des lignes sonores qui correspondent aux us et coutumes de l’époque, tant sur le plan esthétique que technologique. Il n’y avait pas de partition avant l’invention de l’imprimerie, à la Renaissance, ce qui est donc tardif, même si des codex rédigés à la plume par des moines, rassemblaient les mélodies du chant grégorien. L’imprimerie musicale arrive au même moment que l’efflorescence de la polyphonie, superposition de lignes vocales supposant une mise en place délicate, et peu à peu, un chef de chœur. Thomas Tallis (1505-1585) a écrit un motet Spem in allium pour 40 voix superposées, en contrepoint, destiné à la reine Elizabeth I d’Angleterre à l’occasion de ses 40 ans. La Symphonie des Mille (1907) de Gustav Malher (mille musiciens et chanteurs…) nécessite un chef d’orchestre. Nous remarquons donc que le schéma décrit par les théories de la communication est bel et bien à l’oeuvre : (1) un émetteur alias un destinateur alias un artiste créateur... produit une musique ; (2) cette musique se cristallise sur un objet physique nommé partition ; ladite partition, transformée à son tour en ondes sonores par des interprètes, se diffuse jusqu’aux oreilles... (3) du récepteur alias le destinataire, autrement dit l’auditeur ou encore le public. La musique possède, comme le théâtre et les arts vivants, cette caractéristique d’imposer un niveau intermédiaire : l’interprétation instrumentale, que ne connaît pas la peinture par exemple : le tableau n’a pas besoin d’intermédiaire, le spectateur le “lit” directement. Autre précision : nous voyons que la musique via la partition peut être dédiée à une personne, le commanditaire en général ; ajoutons que des médiateurs divers, comme les chroniqueurs musicaux, font le relai entre l’œuvre et le public. 

 

      Une telle conception de la partition vient confirmer la définition légale du contrat qui suppose que ce dernier se forme par la rencontre des volontés : celles du compositeur et du musicien, en particulier. Par musicien, nous entendons l’interprète, le “performeur”, ou encore l’exécutant. La prestation musicale concrète se nomme en effet l’exécution. Les volontés se traduisent par le souhait de chacune des parties à s’engager envers l’autre à exécuter ses propres obligations. La partition s’entend ainsi comme un contrat synallagmatique.

 

      Le compositeur semble être la partie qui s'investit en premier lieu. Il pose la pierre initiale, et propose son art à autrui. Finalement, il est le premier à montrer sa réelle envie de s’engager par la rédaction manuscrite de sa mélodie. Puis intervient l’engagement du cocontractant, l’interprète, qui vient donner son consentement à se lier avec l’écrivain dès ses premières lignes lues. Il s’agit d’un comportement actif où le musicien pose ses lèvres ou ses doigts sur son instrument, prend sa respiration, et dégage sous forme de son, les premières notes écrites par son cocontractant. Il semble que cet acte, bien que tacite, relève de l’acceptation à former le pacte musical.  

 

      Il serait possible de considérer que nous avons là un acte unilatéral de volonté, la partition n’étant alors que le négotium, c’est-à-dire la matérialisation de cet acte unilatéral. Cependant, notre point de vue est tout autre : nous envisageons la partition comme un acte synallagmatique, ainsi que nous l’avons montré plus haut. 

 

    Il existe bien entendu d’autres formes de musique qui passent outre l’étape de l’objet-partition, comme les musiques traditionnelles de transmission orale, ou les musiques actuelles, du jazz au hip-hop (avec bien sûr des exceptions à la règle telles que Duke Ellington ou Michel Legrand). La partition des musiques dites actuelles ou amplifiées, quand elle existe, vient après la prestation sonore en concert, et généralement elle est secondaire, imprécise (accords chiffrés et non réalisés, tablatures de la rythmique rarement données, etc.). N’étant pas le fait du musicien ou du groupe, elle est le travail d’un copiste rémunéré par un éditeur de musique. La musique classique, y compris l’art sonore contemporain, confère une grande importance à la partition (en musique contemporaine, celle-ci peut être novatrice : graphique, verbale, etc.) qui est le fait du créateur lui-même. Le compositeur soigne à l’extrême la notation de ses intentions parce qu’il veut que l’idée sonore qu’il a en tête soit réalisée avec le plus de fidélité par les interprètes en direction du public.

 

        La forme du contrat 

 

        Le compositeur, à l’esprit libre, s’engage généralement lors de ses écrits à adopter une forme très structurée. Chaque musicien se souvient de ses cours d’analyse de partitions, où il doit retrouver la forme musicale constituée de différentes parties : partie A pour le refrain, B, C, D pour les couplets, dans le cas de la forme rondo, utilisée par exemple dans la “Marche turque” de Wolfgang Amadeus Mozart (3e mouvement de sa Sonate n°11 pour piano). Cette forme est la manifestation de l’esprit cartésien de son rédacteur. Son obligation doit être clairement définie, et pour que le contrat soit clair, il a besoin de son introduction, son préambule, son refrain, ses définitions, sa mélodie, son objet, etc. Et ce, jusqu’à la dernière goutte d’encre déposée sur la feuille blanche, qui clôt l’œuvre par une signature engageante. 

 

       Dans l’exemple ci-après, nous pouvons observer que Mozart, au début de sa Sonate n° 11 pour piano (le 1er mouvement), place la mélodie dans la portée du dessus, jouée  main droite, et l’accompagnement en accords plaqués dans la portée du dessous, jouée main gauche. Il s’agit du “thème” énoncé dès le départ, comme une phrase ou un vers poétique, avec ses virgules et ses points. Ce thème sera repris de multiples fois, mais toujours transformé, soit au niveau de la mélodie, soit dans l’accompagnement, selon le principe du “thème et variations” (le thème est suivi des parties A, B, C... qui sont ses variations). Tout est noté selon la volonté du compositeur ; le rôle de l’interprète est de restituer sonorement cette idée initiale. Il est vrai qu’il existe, non pas des notes, mais des “manières”, des nuances, d’infimes jeux de tempo ou de timbre qui, au-delà des notes, sont autorisées pour que l’interprétation (cette traduction musicale) soit personnelle et sensible. C’est ici qu’il est possible de parler de la paradoxale volonté de l’interprète, qui renforce, matérialise et transcende les intentions du compositeur. La partition possède aussi cette singularité que le lecteur, même s’il n’est pas instrumentiste, peut entendre intérieurement, devenir un auditeur virtuel, comme on lit un roman. L’auditeur percevra-t-il cette musique de la même façon que le compositeur ? Malgré tous les efforts de notation et d’exécution de l'œuvre, il y a fort à parier qu’il existe une sorte de dialogique. D’un côté, la matière sonore sera toujours la même, et l’auditeur sera bien en face d’un “fait sonore” objectif, celui de la Sonate n°11  (note 3); et d’un autre côté, le ressenti changera, la capacité de compréhension également (si l’auditeur est initié ou non à la musique, aux règles harmoniques, à la justesse, etc.). Depuis le romantisme, on parle au surplus d’un message, d’une idée allant plus loin que les sons, que le compositeur transmet via les sons, et que l’auditeur perçoit ou non, qu’il tente de retrouver peut-être.  

​

       Les obligations des parties

 

     L’obligation du compositeur semble évidente. Il s’engage envers son cocontractant à fournir la création et la transcription manuscrite d’un air musical. Il convient de donner le socle de leur relation. C’est alors ici que la notion de contrat de prestation de service pourrait prendre sens et même un double sens ! Car le musicien, faisant honneur à son domaine, pratique son instrument. Il peut s’obliger à suivre les consignes du compositeur écrites, figées, voulues claires et précises, tout en respectant sa personnalité. Le contrat est de toute évidence intuitu personae, car le compositeur ne peut laisser l’œuvre de son esprit qu’à un interprète de confiance et reconnu pour son talent. Benoit Lopez le considère volontiers en écrivant que “l’intuitus personae est en effet consubstantiel à l’activité d’artiste” (note 4). Alors l’obligation du musicien suppose une implication dans la réalisation musicale à hauteur de ses capacités de praticien. Il faut imaginer que l’un comme l’autre n’aurait donné son consentement si son cocontractant n’avait pas les mêmes qualités artistiques.

 

      Il s’agit d’une disposition juste et même évidente, et cependant idéale, car le compositeur ne peut pas savoir quel sera son interprète dans les années à venir ; il ne peut guère connaître voire influer sur les interprètes de son vivant. Un exemple extrême d’exigence est Brian Ferneyhough, dont les partitions sont surchargées d’indications, au point de devenir des black scores qu’un interprète ne peut même pas jouer, parce que trop difficiles et injouables. Et pourtant, le compositeur assiste aux répétitions, exigeant l’exécution précise (mais impossible). L’interprète contemporain, dans un jeu sado-masochiste, arrive avec un stress total au concert, et exécute l’œuvre tel un athlète. Malgré cela, il ressort satisfait de cet exercice, ainsi que le public qui a assisté à la performance.  

 

        Le compositeur certes imagine son oeuvre en se disant que l’interprète sera capable de la jouer ; il plie sa musique jusqu’à cette “jouabilité”, sans parler des intentions qu’il y met, les couleurs subtiles, les effets de style : en réalité, il existe dans sa tête qui écrit, un interprète virtuel, un Jiminy Cricket qui lui souffle sans cesse comment le musicien perçoit et exécute l’oeuvre. Mais il existe une autre “conscience”, sur les épaules de Jiminy Cricket lui-même, c’est l'auditeur, qui dicte sans cesse aux oreilles du compositeur ce qui est “audible” ou non. (Ce serait là encore une exception à la règle que de considérer des compositeurs qui se moquent du résultat sonore : Tom Johnson peut-être, qui ne se veut pas compositeur, mais “trouveur”, et applique de pures équations pour produire du musical...) Le fait musical, lors du processus de création, est un empilement des consciences ; cette complexité de l’acte créatif est également observable dans l’acte perceptif. “Complexus : ce qui est tissé ensemble” (note 5). L’auditeur se “met dans la peau” du créateur, il “vit” la musique, il entre en transe, en état de poésie, parce qu’il se dédouble, se perd dans la volonté vécue en direct du compositeur et/ou du performeur. Mais ces obligations sont de l’ordre de l’intime, intuitus personae : au sens large, cet acte spirituel ne peut être transposé à aucune autre personne.

 

        Le tiers bénéficiaire au contrat

 

       Finalement chacune des parties (le créateur, l’interprète…) consent à offrir son travail physique et intellectuel. Elle propose de fournir son savoir-faire. À quelle fin ? S’agit-il de se contenter secrètement de son art ? Le compositeur écoute, le musicien joue, chacun trouve son intérêt et le contrat pourrait être comblé. Ou est-il question d'offrir le résultat de cette liaison du savoir artistique à autrui, bénéficiaire de cette union ? Elle serait tierce, ne doit rien ni à l’un, ni à l’autre, et pourtant profite de la finalité de l’exécution des coobligés. Imaginons alors que le spectateur, qui écoute, s’imprègne du résultat d’une alliance réussie et jouit de ce contrat. Il prend alors la même place que le bénéficiaire d’une assurance pour laquelle il n’était pas partie. Externe mais profiteur. 

 

      Dans ce cas, l’auditeur, tierce personne, assiste à l’exécution sonore du contrat reliant les deux créateurs, le compositeur et le performeur. C’est en général ce qui est ressenti dans le concert classique, le compositeur montant sur scène pour saluer aux côtés de l’instrumentiste ou du chef d’orchestre. La partition, qui reste sur le pupitre du piano par exemple, le contrat, ou son reflet, demeure discrètement entre les deux, qui se regardent avec complicité sous les applaudissements. Le public n’y a absolument pas accès.

 

* * *

 

       C’est ainsi que musique et contrats peuvent s’écrire d’une même plume. Les deux mondes se croisent dans une forme commune. Un contrat suppose le respect d’une rencontre des volontés, où au moins une partie s’oblige envers l’autre. La partition réconforte le contractualiste en se conformant aux conditions validant la relation des deux parties. Le compositeur et le musicien s’accordent et se lient pour l’amour de la musique et du partage à autrui. 

Nicolas DARBON & Aliénor DARBON

(Note 1). Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p. 82.

(Note 2). S.a., “Partition”, Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition, Paris. Disponible sur https://www.dictionnaire-academie.fr, consulté le 29 mai 2021.

(Note 3). Wolfgang Amadeus Mozart, Sonate n° 11 (ca 1780) en La majeur K. 331 pour piano, Andante grazioso, début du premier mouvement : exposition du thème avant les variations.

(Note 4). Benoit Lopez, “L’extension du droit du travail au prix de contradictions : les mineurs dans les professions du spectacle et de la mode”, La Semaine Juridique Social n° 30, 28 juillet 2015.

(Note 5) Cf. Edgar Morin, op. cit.

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