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Troisième numéro, avril 2020

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SOMMAIRE

SOMMAIRE

Christopher DE HARO

Charline NOEL

Paulin MAGIS

Article 1

POINT DE VUE SUR... : Covid-19 – L’inexécution des contrats et les apports de l’ordonnance Urgence Sanitaire du 25 mars 2020

        Depuis janvier 2020, le monde connaît une crise sanitaire majeure avec la pandémie du Covid-19, virus de la famille des coronavirus. Alors que cette pandémie entraine des incidences importantes sur l’économie, les mesures de confinement et de fermeture d’établissements accueillant du public (note 1) interrogent sur le sort des contrats en cours et la possibilité d’exclure les sanctions des inexécutions survenues durant cette période. Tandis que les juristes ont rapidement avancé les mécanismes de la force majeure et de l’imprévision, la loi du 23 mars 2020 a habilité le gouvernement à légiférer par ordonnances sur « les obligations des personnes morales de droit privé exerçant une activité économique à l'égard de leurs clients et fournisseurs » (note 2). Une ordonnance du 25 mars 2020 a fixé des règles temporaires concernant les inexécutions contractuelles (note 3).

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I. L'insuffisance de la force majeure et de l'imprévision

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      1. Force majeure – La force majeure, codifiée à l’article 1218 du Code civil, est le mécanisme le plus efficace pour empêcher que soit sanctionnée une inexécution. Pour que soit retenue la force majeure, l’événement ayant empêché l’exécution de l’obligation doit être extérieur au débiteur, irrésistible et imprévisible lors de la conclusion du contrat.

       Avec le Covid-19, l’impossibilité d’exécuter peut avoir trois sources : la maladie du débiteur ou de ses employés (note 4), les mesures de police administrative décidées par une autorité publique, ou tout autre événement ayant pour cause l’existence même de la pandémie (exemple : contamination du débiteur d’un créancier lui-même débiteur d’un tiers pour la même prestation). Dans ces hypothèses, sauf cas ponctuel, les caractères d’extériorité et d’irrésistibilité ne semblent pas soulever de débat. Concernant l’imprévisibilité, si le contrat a été conclu bien avant la pandémie, cette condition est remplie sans aucun doute. Toutefois, quid des contrats conclus à partir de janvier 2020 ? A partir de quelle date aurait-on pu valablement prévoir que l’obligation avait peu de chances d’être exécutée en raison du Covid-19 ? Cela sera soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond. (note 5)

      Dans tous les cas, il est impossible de mobiliser la force majeure pour s’exonérer des obligations de sommes d’argent. A moins que le débiteur ait été dans l’incapacité matérielle de payer en raison de sa maladie ou de la défaillance du moyen de paiement utilisé, le manque de fonds n’est jamais considéré comme constitutif de la force majeure (note 6).

       Enfin, il n’y a que peu de chances que des clauses de force majeure, au demeurant bien rédigées, aient pu prévoir avec efficacité les effets du Covid-19. Il en ressort une insuffisance de la force majeure pour protéger l’ensemble des débiteurs empêchés par la pandémie.

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      2. Imprévision – Introduite à l’article 1195 du Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016, la théorie de l’imprévision permet, en cas de changement imprévisible de circonstances, une révision du contrat par renégociation ou par la voie judiciaire. Toutefois, l’efficacité de ce mécanisme se heurte à deux obstacles. D’abord, selon la jurisprudence, ce mécanisme ne peut s’appliquer pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 (note 7). Ensuite, dans la mesure où l’article 1195 du Code civil paraît être supplétif de volonté (note 8), les parties stipulent quasiment systématiquement une clause qui aménage ou exclut le jeu de l’imprévision (note 9). Dès lors, le mécanisme de l’article 1195 ne semble pas non plus être très efficace pour faire face aux inexécutions survenues durant la période d’urgence sanitaire.

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II. L'article 4 de l'ordonnance Urgence Sanitaire du 25 mars 2020 et la force obligatoire des contrats

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       L’ordonnance du 25 mars 2020 met en place une période « d’urgence sanitaire » qui s’étend du 12 mars 2020 à une date qui sera fixée ultérieurement. Dans un souci de protection des débiteurs et de sauvegarde des entreprises, l’article 4 de cette ordonnance prévoit des règles aménageant les mécanismes de droit commun en matière d’inexécution.

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       D’abord, « les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période [d’urgence sanitaire] ». L’alinéa 3 de l’article précise également que « le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période [d’urgence sanitaire] ».

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      Ainsi, le gouvernement vient porter une atteinte importante à la sacro-sainte force obligatoire des contrats de l’article 1103 du Code civil. En effet, si, en théorie, le principe de la force obligatoire n’est pas directement aménagé, l’ordonnance retire temporairement toutes sanctions à l’inexécution du contrat. L’esprit de la force obligatoire demeure mais les outils de sa mise en œuvre sont suspendus. Il sera donc impossible pour les créanciers insatisfaits de se prévaloir de certaines clauses du contrat sanctionnant l’inexécution et qui aurait du prendre effet durant la période d’urgence sanitaire. L’objectif de cette nouvelle disposition est de préserver le contrat inexécuté en empêchant sa résolution ou en exonérant le débiteur des conséquences de sa défaillance.

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      En réalité, le gouvernement a dû faire la balance entre la protection des intérêts contradictoires des acteurs économiques et la stabilité et la pérennité de l’économie française. Imposer d’importantes sanctions aux débiteurs défaillants en période d’urgence sanitaire où l’activité économique est ralentie voire arrêtée (et où les échanges financiers se raréfient) aurait mené à la fragilisation des entreprises qui auraient ainsi été exposées à des conditions dangereuses pour leur survie. Le gouvernement a donc choisi de préserver les débiteurs et de limiter les cas où les entreprises se retrouveraient en difficulté. De manière sous-entendue, il est fait appel à la notion de droit public qu’est l’intérêt général pour justifier ces aménagements imposés aux parties.

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        Cependant, il est regrettable que l’ordonnance n’encadre pas davantage les effets de cette règle. En effet, l’article 4 paraît avoir une portée générale, sans distinguer selon l’objet du contrat ou l’origine de l’inexécution. Il semblerait alors que les effets des astreintes, clauses pénales et clauses résolutoires soient paralysés pour toutes les inexécutions, même celles qui n’ont pas pour origine un événement lié au Covid-19. Dès lors, même les débiteurs de mauvaise foi ou ceux dont l’inexécution s’explique par d’autres considérations que la pandémie pourraient bénéficier de cette suspension des sanctions. Il est ainsi possible de se demander si cette ordonnance ne va pas faire naître un contentieux dans lequel les créanciers insatisfaits contesteraient la suspension des clauses en question en raison de l’absence de lien entre l’inexécution et le Covid-19. Au regard de la neutralité de cette disposition, la jurisprudence pourrait être amenée à interpréter le texte dans un sens plus strict en contrôlant, par exemple, le degré de causalité entre l’inexécution et la pandémie de Covid-19.

 

      Ensuite, concernant les obligations de sommes d’argent, aux termes de l’article 4 alinéa 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 dans sa version modifiée par l’ordonnance du 15 avril 2020 (note 10), « si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée ». Ainsi, pour les obligations de sommes d’argent, les effets des astreintes et des clauses concernées demeurent suspendus, après la fin de la période d’urgence sanitaire, pour une durée équivalente à celle qui sépare le 12 mars 2020 (ou, pour les obligations nées postérieurement, la date de naissance de l’obligation) de la date d’exigibilité de la dette. L’ordonnance fixe donc la prise d’effet de ces clauses à une date ultérieure à la fin de la période d’urgence sanitaire et accorde ainsi au débiteur défaillant un délai de paiement. Bien que cela constitue une atteinte supplémentaire aux intérêts des créanciers, ce délai permet au débiteur de retrouver pleinement son personnel, de relancer son activité et de se reconstituer une trésorerie et une santé financière lui permettant de satisfaire à ses obligations.

 

       Pour les obligations autres que de sommes d’argent et devant être exécutées durant la période d’urgence sanitaire, l’article 4 alinéa 3 de l’ordonnance modifiée par l’ordonnance du 15 avril 2020 prévoit la même règle que le nouvel alinéa 2 à la différence que la suspension des effets après la fin de la période d’urgence sanitaire correspond au délai qui sépare le 12 mars 2020 (ou, pour les obligations nées postérieurement, la date de naissance de l’obligation) de la date de la fin de période sanitaire. Il ne fait nul doute qu’une telle règle s’adresse avant tout aux professionnels de la construction et du bâtiment qui doivent composer avec deux impératifs antagonistes. En effet, les créanciers de l’obligation souhaitent que leurs travaux puissent se poursuivre rapidement après la fin de la période d’urgence sanitaire alors qu’un temps est nécessaire au professionnel de la construction pour retrouver du personnel et pour s’approvisionner en matériaux.

 

      Enfin, par exception, concernant la suspension des astreintes et des clauses pénales ayant pris effet avant le 12 mars 2020, bien que l’ordonnance ne le précise pas expressément, il semblerait que leurs effets seront rétablis au lendemain de la fin de la période d’urgence sanitaire et non après un délai particulier (note 11).

 

       Conseils pratiques : RESTEZ CHEZ VOUS, « S’en sortir sans sortir » et prenez soin de vous et de vos proches.

Christopher DE HARO

Note 1 : Arrêté ministériel du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 abrogé et remplacé par le Décret n°2020-293 du 23 mars 2020.

Note 2 : Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

Note 3 : Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

Note 4 : La Cour de Cassation retient très souvent la force majeure en cas de maladie du débiteur : Cass, Ass. Plén., 14 avril 2006, n°02-11.168 : D. 2006, p. 760, obs. Gallmeister.

Note 5 : HEINICH (J.), « L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision », D. 2020, p. 611.

Note 6 : Cass, Com, 16 septembre 2014, n°13-20.306 : Rev. Sociétés 2015, p. 23, note Juillet.

Note 7 : Cass. Civ, 6 mars 1876, De Gallifet c/ Commune de Pelissanne (dit « Canal de Craponne ») : DP 1876. 1. p. 193, note Giboulot.

Note 8 : A ce sujet, voir notre newsletter précédente : DE HARO (C.), « Est-il possible de renoncer à l’article 1195 du Code civil ? », Newsletter M2DPC n° 1, Déc. 2019, https://m2dpclyon.wixsite.com/m2dpc/notre-newsletter#comp-k3rnkku3link

Note 9 : HEINICH (J.), op. cit.

Note 10 : Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19.

Note 11 : Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.

Article 2

Social / Numérique : requalification du contrat entre Uber et un chauffeur en contrat de travail (Cass. Soc, 4 mars 2020, n°19-13.316, P+B+R+I)

      La qualification des « contrats de collaboration » unissant des travailleurs indépendants aux plateformes du type Uber ou Deliveroo suscite de vives discussions depuis quelques années. La Chambre Sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 novembre 2018 (note 1), avait fait un premier pas vers la reconnaissance du statut de salarié de ces travailleurs en procédant à la requalification du contrat conclu entre la plateforme Take Eat Easy et un livreur à vélo.

 

       L’incertitude persistait quant aux contrats des chauffeurs VTC utilisant la plateforme Uber puisque l’existence d’une relation de travail salariée dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle (note 2). Or, chaque plateforme est unique et correspond à des conditions d’exercice différentes. La décision Take Eat Easy ne pouvait donc pas être transposée à une autre plateforme sans une décision en ce sens.

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       Le 4 mars 2020, la Chambre Sociale de la Cour de cassation a enfin eu à se prononcer sur la qualification d’un contrat conclu entre la société Uber BV et un chauffeur VTC. En l’espèce, un chauffeur lié à la société par un « contrat de partenariat » demandait la requalification de son contrat en contrat de travail, espérant ainsi que la clôture définitive de son compte par la plateforme Uber serait soumise aux règles de droit du travail relatives au licenciement.

 

        La Cour de cassation approuve la décision de la Cour d’appel qui avait requalifié la relation en contrat de travail. Elle rappelle que l’article L.8221-6 du Code du travail établit une présomption simple de non-salariat pouvant être renversée par la preuve de l’existence d’un lien de subordination juridique permanent à l’égard du donneur d’ordre. En l’espèce, elle considère que le lien de subordination est bien caractérisé, et énonce que « le statut de travailleur indépendant [du chauffeur] était fictif et que la société Uber BV lui avait adressé des directives, en avait contrôlé l’exécution et avait exercé un pouvoir de sanction ». Elle reprend ainsi le triptyque traditionnel pour la caractérisation du lien de subordination (pouvoir de direction, pouvoir de contrôle, pouvoir de sanction) et, partant, continue d’écarter l’utilisation du critère de la dépendance économique (note 3). Selon la Cour, le pouvoir de direction et le pouvoir de contrôle sont caractérisés par le fait d’imposer au chauffeur un itinéraire particulier pour la course et de prévoir des corrections tarifaires. Le pouvoir de sanction est quant à lui caractérisé par le pouvoir de la plateforme de prononcer des déconnexions temporaires à partir de trois refus de courses, ou la perte définitive d’accès à l’application en cas de « comportements problématiques ».

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       Outre la vérification de l’existence d’un lien de subordination juridique, la Cour de cassation constate qu’a contrario, les critères du travail indépendant ne sont pas remplis. En effet, la Cour d’appel avait relevé, en s’appuyant sur un faisceau d’indices, que le chauffeur n’avait pas la possibilité de se constituer une clientèle propre, ni la liberté de fixer ses tarifs, ni même la faculté de définir les conditions d’exécution de sa prestation de transport.

 

       En ce qui concerne un indice qui, au contraire, ne doit pas être pris en compte, il faut noter que la Cour de cassation considère que « le fait de pouvoir choisir ses jours et heures de travail n’exclut pas en soi une relation de travail subordonnée ». Le pourvoi avait en effet soulevé l’argument selon lequel le chauffeur n’avait aucune obligation de se connecter à la plateforme et n’encourait aucune sanction en cas d’absence de connexion. La Cour refuse expressément de prendre en compte cet élément dans la caractérisation du lien de subordination. Le moyen semblait pourtant pertinent dans la mesure où la libre fixation de son temps de travail est un critère essentiel de distinction entre le salarié et le travailleur indépendant, le salarié ayant l’obligation de demeurer à la disposition de l’employeur conformément à l’horaire décidé par lui. Or, en l’espèce, comme le soutient le pourvoi, « ce contrat n’emporte aucune obligation pour le chauffeur de travailler pour la plateforme numérique, ni de se tenir à sa disposition ». Le choix de la Cour d’exclure ce critère se justifie par l’importance du pouvoir de sanction de la plateforme et la détermination unilatérale des conditions d’exécution de la prestation par la société Uber BV, qui viennent contrebalancer la liberté apparente du chauffeur.

 

       Si la position de la jurisprudence a pu être plutôt incertaine quant à la qualification de ces contrats (note 4), la Cour de cassation a désormais fermement arrêté sa position en faveur de la requalification en contrat de travail. En tout état de cause, cette solution, qui confirme la position déjà adoptée dans l’arrêt Take Eat Easy de 2018, est motivée par un objectif de protection des travailleurs des plateformes, qui semblent dans une position de vulnérabilité économique.

 

       Bien que le critère de la dépendance économique reste exclu, certains indices sur lesquels la Cour s’appuie peuvent laisser penser à une prise en compte implicite de la dépendance du chauffeur à l’égard de la plateforme. La Cour relève notamment que, « [le chauffeur] a été contraint pour pouvoir devenir ‘’partenaire’’ de la société (…) de s’inscrire au Registre des Métiers », que « [les stipulations du contrat] ont pour effet d’inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course » et que « le chauffeur dispose de seulement huit secondes pour accepter la course qui lui est proposée ». Comme l’a souligné Kieran Van Den Bergh (note 5), « de plus en plus, l’éventail de ce faisceau d’indices s’élargit pour comprendre des critères plus ‘’économiques’’ où la Cour semble davantage démontrer l’absence d’indépendance plutôt que l’existence d’un rapport de subordination. »

 

       Face à ces nouvelles relations de travail nées du phénomène d’ubérisation (note 6) de la société, la loi du 8 août 2016 (note 7) avait déjà instauré au sein du Code du travail une protection spécifique avec le régime spécial bénéficiant aux « travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique » (note 8). Les garanties mises en place par ce régime n’empêchent toutefois pas une requalification en contrat de travail de certaines relations par la Cour de cassation. Ne faudrait-il donc pas envisager, à terme, de créer un troisième statut de travailleurs, à l’image du Royaume-Uni qui distingue les « employees » et « self-employed » de la troisième catégorie intermédiaire des « workers » ? En effet, en droit britannique, les « workers », bien qu’enregistrés comme des indépendants (self-employed) et libres d’accepter ou non une prestation à réaliser, sont considérés comme des « contractants dépendants » (dependant contractors) puisqu’ils font l’objet d’une certaine supervision de la part de leur cocontractant, qui n’est pas leur client, et ne peuvent déléguer à un tiers leur mission. Cette qualification est typiquement appliquée aux travailleurs des plateformes. A ce titre, sans être pour autant des employés (employees) et sans profiter de toutes les garanties offertes par le statut de salarié, ils bénéficient de certains droits comme la limitation du temps de travail, le salaire minimum, le droit à des congés payés ou la protection contre la discrimination. Néanmoins, il est intéressant de relever qu’ils ne bénéficient pas pour autant des indemnités de licenciement, réservées aux salariés (employees). Dans cette mesure, si un tel régime était transposé en France, il serait plus protecteur que le statut de travailleur indépendant mais laisserait une liberté plus importante que le statut de salarié.

Charline NOEL

Note 1 : Cass. Soc., 28 novembre 2018, n°17-20.079.

Note 2 : Cass. Soc., 17 avril 1991, n°88-40.121 : Bull. V n°200 ; Cass. Soc., 19 décembre 2000, n°98-40.572, Bull. V, n°437 ; Cass. Soc., 9 mai 2001, n°98-46.158 : Bull. V, n°155.

Note 3 : Cass. Soc., 13 novembre 1996, n°94-13.187.

Note 4 : FABRE (A.), « Les travailleurs des plateformes sont-ils des salariés? Premières réponses frileuses des juges français », Droit social 2018, p.547.

Note 5 : VAN DEN BERGH (K.), « Plateformes numériques de mise au travail : mettre fin à une supercherie », RDT 2018, p.318.

Note 6 : ubérisation : remise en cause du modèle économique d’une entreprise ou d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des plateformes de réservation sur internet (dictionnaire LAROUSSE).

Note 7 : Article 60 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Note 8 : Articles L7341-1 suiv. du Code du travail.

Article 3

Assurances : La Cour de Cassation précise l’appréciation et le régime juridique de la faute dolosive élusive de garantie
(Cass. Civ 2e, 6 février 2020, n°18-17.868, F-P+B+I)

     L’article L.113-1 alinéa 2 du Code des assurances dispose que la garantie n’est pas due en cas de « faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ». Si la faute intentionnelle a vu son régime juridique rapidement précisé par la jurisprudence, la reconnaissance de la faute dolosive comme notion autonome a connu davantage de difficultés. Dans un arrêt rendu le 6 février 2020, la 2e Chambre Civile de la Cour de Cassation a eu l’occasion de préciser la notion, l’appréciation et le régime juridique de la faute dolosive élusive de garantie.

 

      En l’espèce, une personne physique était à la fois gérante de la société Agence Pacific (nommée syndic de copropriété) et associée majoritaire de la société IKBF (l’un des copropriétaires). Or, ce gérant, en qualité de syndic, n’a pas réuni l’assemblée générale du syndicat des copropriétaires dans les délais prévus, en arguant de raisons techniques rendant sa tenue impossible. En raison de cette absence de convocation, IKBF a demandé à ce que la société Agence Pacific soit nommée administrateur provisoire du syndicat. Dès lors, le gérant d’Agence Pacific, en sa qualité d’administrateur provisoire, a reçu des sommes très importantes à titre d’honoraires. Suite à cela, la société Agence Pacific a été condamnée, sur le fondement de la responsabilité civile, à rembourser au syndicat tous les honoraires perçus en qualité d’administrateur provisoire. Toutefois, ce jugement, devenu irrévocable, n’a pas été exécuté et les sommes n’ont jamais été recouvrées. Le syndicat des copropriétaires a alors assigné l’assureur de la société Agence Pacific aux fins de paiement des sommes dues.

 

      Afin de contester son obligation de payer, l’assureur a avancé l’argument selon lequel la garantie ne serait pas acquise. Selon lui, le fait pour Agence Pacific de ne pas avoir réuni l’assemblée générale dans les temps pour des raisons non démontrées s’inscrirait dans un scénario prémédité. Par le biais de manœuvres frauduleuses qui constitueraient une faute dolosive au sens de l’article L.113-1 du Code des assurances, le gérant d’Agence Pacific aurait sciemment fait modifier sa qualité en se faisant nommer administrateur provisoire sur demande de la société IKBF, détenue par ce même gérant, afin de percevoir d’importants honoraires.

 

      Confirmant l’arrêt d’appel, la Cour de Cassation a affirmé que, par leur appréciation souveraine, les juges du fond ont retenu que le caractère dolosif de la faute n’était pas « certain ». En effet, l’existence d’un scénario prémédité d’une volonté délibérée de ne pas convoquer l’assemblée générale dans le dessein de se faire nommer administrateur provisoire n’était pas démontrée avec certitude. La Cour retient enfin que la faute commise n’était qu’une faute simple pouvant résulter de la négligence, de l’imprévoyance ou de l’incompétence personnelle ou organisationnelle du gérant, de sorte que la garantie était acquise.

 

      Historiquement, la faute intentionnelle est la première à avoir été définie. Selon la conception moniste subjective, une telle faute est caractérisée lorsque l’assuré a commis un acte avec la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu et avec la conscience de son caractère fautif. Face à cette définition, la faute dolosive, en tant que notion distincte de la faute intentionnelle, s’est difficilement affirmée en jurisprudence. Alors que certains auteurs tels que Luc Mayaux (note 1) contestaient la différence entre faute dolosive et faute intentionnelle, la 2e Chambre Civile de la Cour de Cassation a imposé l’autonomie de la faute dolosive à l’issue d’une saga jurisprudentielle mêlant définitions approximatives, réflexions téléologiques, contradictions et retours en arrière (note 2). Depuis un arrêt essentiel du 4 février 2016, la Cour de Cassation a défini la faute dolosive comme celle qui, faussant l’aléa, est caractérisée par un manquement délibéré et l’ absence d’ignorance de l’assuré qu’il peut en résulter un dommage (note 3).

 

       Ainsi, l’arrêt du 6 février 2020 complète et précise la jurisprudence de la 2e Chambre Civile. Après avoir rappelé que la faute dolosive dépend de l’appréciation souveraine des juges du fond (note 4), la Haute juridiction judiciaire accentue la rigueur de sa caractérisation en imposant à l’assureur de démontrer le caractère certain de cette faute (note 5). Cela paraît malvenu au regard de la définition de la faute dolosive résultant de l’arrêt de 2016. En effet, les deux composantes de cette faute souffrent d’une forte subjectivité. Il est ainsi demandé à l’assureur de prouver « avec certitude » des éléments psychologiques, propres à l’assuré, alors qu’il aurait été envisageable de se limiter à la condition de disparition de l’aléa. Or, et les spécialistes du droit pénal le savent bien, il n’est rien de plus complexe que de poser des certitudes sur l’intention d’une personne. Dès lors, la Cour de Cassation réduit le champ de la faute dolosive et fait le choix de protéger les bénéficiaires au détriment des assureurs qui auront plus de difficultés à s’exonérer de leur obligation en mobilisant la faute dolosive.

 

       Ensuite, l’arrêt du 6 février 2020 énonce des critères de distinction entre la faute dolosive et la faute simple non élusive de garantie. Dans sa solution, la Cour retient que la carence du dirigeant de la société Agence Pacific pouvait résulter « de sa négligence, de son imprévoyance, de son incompétence personnelle ou organisationnelle au sein de son cabinet, ce qui constituait une faute simple ». Faisant le choix de la méthode du faisceau d’indices, la Haute juridiction judiciaire donne aux juges du fond quatre outils d’appréciation de la nature de la faute de l’assuré. En conséquence, désormais, la faute dolosive devra faire l’objet d’une appréciation in concreto fondée sur l’examen des connaissances de l’assuré et des raisons pour lesquelles le fait potentiellement constitutif de faute est survenu.

 

        Toutefois, le critère de l’incompétence personnelle soulève quelques interrogations. En effet, cette notion doit-elle se rapprocher de la distinction entre professionnels et non-professionnels connue en droit de la consommation ? Si la réponse est positive, les méthodes d’appréciation dégagées par la jurisprudence consumériste sont-elles applicables en matière d’assurance ? Doit-on assouplir l’appréciation de cette incompétence en présence d’un assuré qui n’aurait aucune connaissance dans le domaine concerné ? (note 6)

 

        En tout état de cause, il en ressort que la Cour de Cassation, après avoir affirmé l’autonomie de la faute dolosive en 2016, souhaite en réduire le champ et la portée en rendant plus stricte son appréciation. Cela s’inscrit dans l’esprit du droit des assurances qui vise, à l’instar de ses cousins du droit de la consommation et du droit du travail, à protéger les personnes identifiées comme faibles (en l’espèce, le bénéficiaire de l’assurance). En effet, rendre plus complexe la preuve de la faute dolosive réduit les hypothèses dans lesquelles l’assureur n’aurait pas à indemniser. Cela est positif lorsque l’assuré est une personne distincte du bénéficiaire qui, en position de faiblesse, aura face à lui un interlocuteur solvable. Tel n’est pas le cas lorsque le bénéficiaire et l’assuré sont une seule et même personne. Dans cette hypothèse, il sera plus difficile pour l’assureur de démontrer que la garantie n’est pas due alors que l’assuré-bénéficiaire a pu agir avec la conscience de provoquer le dommage. Ce dernier voit donc sa protection renforcée par la condition de certitude du caractère dolosif de la faute. Il s’agira alors de voir si la jurisprudence future prendra position en faveur d’une preuve assouplie de la faute dolosive lorsque l’assuré sera aussi le bénéficiaire de l’assurance.

Christopher DE HARO

Note 1 : BIGOT (J.), Traité de droit des assurances, t. III, 2e éd, n° 1653 et s.

Note 2 : Pour approfondir les notions de fautes intentionnelle et dolosive, voir : ABRAVANEL-JOLLY (S.), Droit des assurances, Ellipses, 3e éd, 2020, 450 p.

Note 3 : Cass. Civ 2e, 4 février 2016, n°15-10.363 : RGDA 2016, p. 162, n° 113, note Pélissier.

Note 4 : Voir déjà en ce sens : Cass. Civ 2e, 25 octobre 2018, n°16-23.103 : AJ Contrat 2018, p. 530, note Néraudeau et Guillot.

Note 5 : Pour la même condition de certitude en cas de faute intentionnelle, voir : Cass. Civ 2e, 22 octobre 2015, n°14-25.494 : Dalloz Actualité, 10 nov. 2015, note De Ravel d’Esclapon.

Note 6 : Pour approfondir (sur) la distinction professionnel-non professionnel, voir : CHANTEPIE (G.) et SAUPHANOR-BROUILLAUD (N.), Répertoire de droit civil – Déséquilibre significatif, mis à jour en février 2020.

Article 4

COMPARATIVE LAW : The notion of contract in French and British Law

      As it is often said and repeated, contract is a fundamental tool for the practice of business. Consequently, contract is a crucial notion in every legal system. With the development of international trade, a thorough understanding of this notion in the different legal systems is necessary in order to reassure economic actors and to enhance international business.

 

      French law, belonging to the civilian tradition, and British law, belonging to the Common Law tradition, have a different approach of the notion of contract. But these two legal systems do share some similarities and the recent reform of French law tends to reconcile their visions of the notion.  We can mention, for instance, the disappearance of the notion of “cause” in French law.

 

      These new developments of the notion of contract in French Law can make us wonder if differences still exist between French and British Law as to their vision of the notion of contract.

 

       To make a contract, it needs to be valid, so, it is important to firstly take a look at the conditions of validity of a contract in these two legal systems (I). Then, when a contract is legally entered into, it has to be performed and contracting parties can endure some difficulties during performance. Therefore, it is also important to examine how these two legal systems manage these complications during the performance of the contract (II).

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I. Conditions of validity of the contract

     

       Unlike British Law, French Law has a normative approach, indeed conditions of validity can be found at the new article 1128 of French Civil Code. There are three conditions of validity in French law: consent, capacity and a legal and certain content. While in British Law, validity of contract depends of three elements: a mutual agreement, the intention to create legal relations and consideration.

 

       Consent is the expression of the willingness to be engaged by the contract. The two legal systems agree that the contract is a mutual agreement which requires an offer and an acceptance. Both legal systems consider that the terms of the offer must be certain, and that the terms of the acceptance must be identical to the offer in order to reach a mutual agreement. (note 1)

 

       The condition of capacity corresponds to the legal ability to make a contract. This condition is also found in British law, under which parties must be legally able to enter into a contract.

 

       The last condition in French Law is recent: a legal and certain content has replaced the notion of “cause” which has disappeared from the Civil Code since the reform of 2016. The “cause” was often compared to the notion of consideration, as the requirement of a counter-part for each party. Even if the notion of cause has disappeared from the French Civil Code, the requirement of a counter-part still exists in French law. We can mention the new article 1169 about contract for pecuniary interest, which specifies that for this type of contract the counter-part cannot be illusory or derisory. However, elimination of the “cause” tends to reconcile British and French views of contract as this notion did not have a real equivalent in British Law.

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II. Management of difficulties during performance of the contract

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      The two legal systems know the concept of “force majeure”. Also, with the reform of 2016, French law has integrated the concept of “imprévision” while British law can handle changes of circumstances which lead to serious difficulties for performance with the concept of Frustration or an appropriate “force majeure” clause in a well-written contract.

 

      The concept of “force majeure” has its origin in French law, which has developed a specific doctrine. This notion corresponds to an event that prevents one party from performing its obligation: if this event is established as a case of “force majeure”, no sanction can be applied to the party that did not perform its obligation. The article 1218 of the French Civil Code specifies that an event of “force majeure” must reunite three criteria: the event must be external to the party, unpredictable and irresistible.

 

      However, under British Law, there is no doctrine of “force majeure”. Instead, the term “force majeure“ is a convenient label used to refer to clauses which relieve a party from the performance of its contractual obligations when that performance is impacted by events beyond its control. (note 2) French law provides more security by putting a common frame for parties who did not plan a case of “force majeure”, but both legal systems allow parties to adapt the circumstances of “force majeure” or even to exclude the possibility of recognition of a case of “force majeure” by a stipulation in the contract.

 

      Unlike “force majeure”, a case of “imprévision” corresponds to changes of circumstances during the performance of a contract, which makes the performance really difficult for one party but not impossible. Originally, French law refused to allow the judge to modify the contract in the event of changes of circumstances, due to the principle of binding force of contract. This refusal has been illustrated in the famous jurisprudence Canal de Craponne (1876). But with the reform of 2016, French law has integrated the notion of “imprévision” with the new article 1195 of the French Civil Code which allows parties to renegotiate terms of the contract and even allows the judge to modify the contract.

 

       However, British law has the concept of frustration, which can be compared to “force majeure” as it corresponds to a termination of a contract due to the impossibility to perform it, but it has a larger scope of application as it can be applied to a contract that can be performed but with serious difficulties. (note 3) The theory of frustration has been accepted by British law since Taylor v Caldwell (1863) with the “implied terms” which lead to the termination of a contract when changes of circumstances modify the nature of the contract.

 

      These two mechanisms, frustration and “imprévision” do not have the same logic. Frustration is a theory on an examination of consideration between the parties, while “imprévision” is based on the obligation of good faith of the parties. Also, the two theories do not reach the same objective, as the first one results in the early termination of the contract and the other one results in the renegotiation of the contract. Nevertheless, the recent acceptance of “imprévision” by French Law tends to reconcile the two legal systems as it provides a mechanism to deal with serious difficulties with performance

 

      In summary, these two legal systems share a lot of similarities. Conditions of validity are formally different but have the same examination of an enforceable agreement. The two systems leave to the parties the possibility to anticipate management of difficulties and impossibilities of performance. French law seems even more liberal than British law as it allows parties to exclude “imprévision” of their contract with a simple clause of risk acceptance while frustration can only be excluded with a force majeure clause that deals “fully and completely” with the unexpected event.

Paulin MAGIS

Note 1 : ANNO (C.), « La validité du contrat : approche comparée entre la France et l’Angleterre » Le Petit Juriste, 12/11/2015.

Note 2 :  https://www.ashurst.com/en/news-and-insights/legal-updates/quickguide---force-majeure-under-common-law/

Note 3 : MAXTE (L.), « La notion de contrat en droit franco-britannique », Les blogs pédagogiques de l’Université Paris Nanterre, 30/11/2011

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