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Neuvième numéro, Octobre 2021
DROIT COMPARE : Droit chinois des contrats : étude de droit comparé sino-français
En raison des impératifs de la pratique des affaires, l’action bénéficie de modalités de cession simplifiées qui peuvent être aménagées contractuellement par les statuts. Pourtant, la propriété d’une action dépend du droit fondamental qu’est la propriété. Cette analyse propose une réponse aux incertitudes de l’article L. 227-19 alinéa 1er du Code de commerce en se fondant sur ce droit constitutionnel et conventionnel.
DROITS FONDAMENTAUX : Vers une lutte contre les clauses compromissoires internationales déséquilibrées
Les clauses compromissoires sont extrêmement utiles, notamment dans le domaine du commerce international. Mais parfois, elles peuvent s'avérer problématiques voir dangereuses lorsqu'elles sont porteuses de déséquilibres. Est-il possible de lutter contre ce déséquilibre ? Le recours aux droits fondamentaux et notamment au droit à un procès équitable est-il opportun ? Cet article vous donnera quelques éléments de réponse sur un sujet brûlant d'actualité, où rien n'est encore fixé !
Par Marine ENINGER
Par Asya CEKIC
TECHNIQUE CONTRACTUELLE : L'utilité d'une clause d'imprévision après l'ordonnance de 2016
Que représente la clause de Hardship pour vous ? Pour certains, c’est la jurisprudence canal de Craponne, pour d’autres, c’est l’actuel article 1195 du code civil, ou encore la stipulation « must-have» au sein de nombreuses conventions. En principe, nous connaissons tous cette clause, de nom, de vue, mais connaissons-nous son origine ? Et la rédigeons-nous convenablement ? Cette note tentera de vous délivrer son histoire, et vous proposera des lignes directrices pour sa rédaction.
JURISPRUDENCE : Cass. 3e civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554 : Tout vient à point…
Près de trente ans après le fameux arrêt "Consorts Cruz" du 15 décembre 1993 et cinq ans après la consécration du nouvel article 1124 du Code civil, la Cour de cassation a opéré, le 23 juin dernier, un important revirement de jurisprudence certes tardif, mais tout de même retentissant. A l'heure où l'encre des plus prestigieux observateurs du Code civil coule à flot, cet article propose de revenir modestement sur cette solution qui surprend davantage par sa temporalité que par sa substance.
Oscar MUGNIER
Marine ENINGER
Valentin ROUSSET
Asya CEKIC
TECHNIQUE CONTRACTUELLE : L'utilité d'une clause d'imprévision après l'ordonnance de 2016
Chers lecteurs,
Cet article, qui traite d’un sujet déjà évoqué par la Doctrine à de nombreuses reprises, a été rédigé dans l’optique de rendre plus accessible le droit et la pratique de la clause d’imprévision. Il s’adresse à toute personne désireuse de s’informer sur ce sujet. Cette note mènera votre lecture à travers l’histoire de la clause de Hardship, ses aspects légaux et des conseils de rédaction. Nous ferons toutefois abstraction de la situation sanitaire actuelle pour cette étude. Nous retenons votre attention sur le fait que cette note ne peut suppléer l’importance de consulter un professionnel du droit dans vos démarches juridiques.
La théorie de l’imprévision a connu bien des remous depuis plusieurs siècles. Cinq ans après la consécration de l’article 1195 au sein du code civil, nous revenons sur l’histoire de cette notion et de l’utilité, encore d’actualité, d’une clause d’imprévision, appelée également clause de Hardship ou clause de sauvegarde.
Section 1 -. La théorie de l’imprévision au fil du temps
Saint-Thomas considérait que l’homme qui ne respectait pas sa parole à raison de circonstances différentes du jour où il l’avait donnée ne pouvait être considéré comme fautif. Les post-glossateurs défendirent fermement cette thèse au moyen d’un adage latin aujourd’hui encore bien connu : rebus sic stantibus. Quelques siècles plus tard cependant, Grotius prit une position contraire en privilégiant le maintien du contrat au nom de la stabilité contractuelle (note 1). C’est à cette période que se crée une opposition entre deux modes de pensées : privilégier les circonstances extérieures au contrat pour une bonne application de celui-ci, rebus sic stantibus, ou consacrer la force obligatoire du contrat et la stabilité contractuelle, pact sund servanda.
Le droit français a initialement soutenu, en 1804, le principe de la force obligatoire des contrats. Les juges de la Cour de cassation ont poursuivi la volonté du législateur, notamment dans le fameux arrêt Canal de Craponne (note 2), en réitérant sa position plusieurs fois (note 3).
En réponse à cette intangibilité contractuelle, à tout le moins en droit privé (note 4), les contrats internationaux ont vu naitre en leur sein des clauses de Hardship. Ces clauses, sophistiquées, répondent aux attentes des praticiens : elles envisagent l’avenir avec souplesse (note 5).
Suivant cette logique et constatant l’évolution progressive de notre droit (note 6), les juges du quai de l’Horloge nuança sa position et reconnut un devoir de renégociation du contrat fondé sur le principe de la bonne foi (note 7). Par ailleurs, et durant la même période, le droit européen, via les travaux effectués par la Commission sous l’initiative du professeur Ole Landö, a admis le principe de changement de circonstances (note 8).
Le législateur français, sous ces impulsions, brisa la jurisprudence de 1876 et consacra à l’article 1195 du code civil la révision pour imprévision (note 9).
Détaillée, la disposition prévoit une procédure en deux temps. Premièrement, en cas de survenance d’un évènement imprévisible rendant excessivement onéreux la continuation de la convention, la partie qui en subit les conséquences peutdemander à son cocontractant une renégociation. Pendant ce temps, le contrat se poursuit. Dans un second temps, l’article prévoit les conséquences d’un échec de la renégociation. Les parties peuvent ainsi convenir d’un accord commun de la fin du contrat, ou demander au juge d’adapter celui-ci, ou d’envisager sa terminaison. Dans cette dernière hypothèse, le juge peut mettre fin à l’accord contractuel à la demande de la partie la plus diligente.
La procédure établie est donc stricte. Néanmoins, elle apparait insuffisante à plusieurs égards. Elle empêche une application fluide et rigoureuse en pratique. Effectivement, le juriste est en droit de se poser pléthore de questions : qu’est-ce qu’une circonstance imprévisible ? Comment détermine-t-on le caractère excessivement onéreux ? Quels sont les effets d’une réussite des négociations ? Est-ce que le texte est d’ordre public ?
Vous l’aurez compris, une clause de Hardship ne doit pas être mise à pied, bien au contraire, d’autant plus qu’une telle clause est aujourd’hui au cœur des débats (note 10).
Section 2 - Conseils rédactionnels
Il conviendra alors dans cette note de vous présenter quelques conseils rédactionnels qui restent, bien évidemment, très malléables.
A titre liminaire, il conviendra de préciser que l’article 1195 n’est évidemment pas d’ordre public. Deux raisons à cette affirmation. D’une part, le texte prévoit lui-même la possibilité pour une partie « d’assumer le risque ». C’est-à-dire qu’il est contractuellement envisageable de rédiger une clause d’anti-imprévision. De la même manière, le rapport au Président de la République pour l’ordonnance du 10 février 2016 assure que lorsqu’une disposition n’a pas été précisée d’ordre public, elle ne l’est pas (note 11), ce qui est le cas pour l’article 1195 du code civil.
Nous pensons alors qu’il est nécessaire d’aborder plusieurs points pour une rédaction convenable de la clause. En premier lieu, il convient de délimiter le déclenchement de cette dernière selon les circonstances imprévisibles et le caractère excessivement onéreux de la continuation du contrat (1§-). Ensuite, il est souhaitable de clarifier la procédure et l’issue de la rencontre des parties : que se passe-t-il en cas d’échec ou de réussite de la renégociations ? (2§-).
1§ - Le déclenchement de la clause d’imprévision
S’agissant du déclenchement de la clause, nous estimons que la lettre de l’article 1195 est insuffisante. Par manque de précision, elle est susceptible d’engendrer un conflit dans sa mise en œuvre. Il est donc nécessaire de rédiger une clause de Hardship qui délimite convenablement les contours de son déclenchement. Elle doit notamment décrire ce qu’elle entend par « circonstances imprévisibles » et « caractère excessivement onéreux ».
A. La délimitation des circonstances imprévisibles
Il existe ainsi plusieurs manières de rédiger et de décrire les circonstances imprévisibles. La pratique regorge d’exemples.
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La rédaction d’une clause fleuve
Nous appelons clause fleuve, la clause qui consiste à être excessivement ouverte. Très large, elle considère que tout évènement modifiant l’équilibre contractuel peut être synonyme de renégociation de la convention. A l’avantage de couvrir effectivement tout évènement quel qu’il soit, nous pouvons reprocher à une telle écriture que, par manque de précision, elle est sujette à interprétation, et ainsi, à contentieux.
2. L’inventaire
Il est ensuite envisageable de concevoir une clause qui établit un inventaire des situations susceptibles d’intervenir. Le but recherché est d’identifier en amont et de manière claire et précise les évènements spécifiques pouvant déclencher la procédure de renégociation. A titre d’exemple, les praticiens ont déjà pu insérer dans leur contrat une clause d’imprévision prenant en considération le prix du fuel-oil (note 12), à la suite notamment du choc pétrolier des années 1970. Nous avons pu observer à la suite des attentats à l’encontre des deux tours jumelles le 11 septembre 2001, une autre illustration (Note 13). Ces exemples sont d’une telle précision que, s’ils surviennent, aucune contestation naîtra entre les parties. Néanmoins, le juriste prend le risque d’oublier certains évènements. Un tel oubli compromettrait la mise en place de la procédure de renégociation.
3. La solution hybride
Comme son nom l’indique, la solution hybride est un mélange entre les deux propositions précédentes.
Nous pensons que la solution hybride est la manière la plus adéquate de rédiger une telle clause. Constituée d’une phrase que nous pourrions qualifier d’accroche, laquelle permettrait d’accueillir toutes sortes de situations jusqu’alors imprévues, elle devra ensuite être complétée d’exemples pratiques correspondant aux craintes les plus importantes des cocontractants via l’adverbe « notamment », ou l’adjectif « tel ».
Cette solution présente, à notre sens, plus d’avantages que d’inconvénients. En effet, si l’évènement en question fait partie intégrante de la liste d’exemples, les parties se réuniront pour renégocier le contrat. A défaut, les parties pourront toujours se référer à cette liste pour une application plus claire de la clause.
B. Le caractère excessivement onéreux
Comme observé plus en amont de cette note, l’article 1195 nous expose que le déclenchement du mécanisme de cet article est soumis à une exécution « excessivement onéreuse ». Là encore, nous rencontrons un texte lacunaire qui ne permet pas une application limpide de la théorie de l’imprévision. Comment devons-nous identifier ce caractère ? Devons-nous prendre en considération une interprétation subjective ou objective ? Ce sont des questionnements qui témoignent encore une fois de l’importance de rédiger une clause claire à ce sujet, pour éviter toutes les contestations postérieures.
Ainsi, les parties doivent identifier la condition « excessivement onéreuse », ou, à tout le moins, la condition financière qui engendrerait le déclenchement du mécanisme. Souvent, les rédacteurs emploient les termes « bouleversement de l’économie du contrat » (note 14) ou « charges excessives ». Cette solution, qui peut apparaitre légèrement plus compréhensible, n’est pas exempte de tout reproche. En effet, bien que ces expressions modifient, pour rendre plus claire la formule choisie par le législateur, elles restent en tout état de cause sensiblement troubles et ne permettent pas une application stricte du dispositif en cas de survenance d’un évènement imprévu.
Il nous semble ainsi plus judicieux de définir un seuil, un pourcentage, sur lequel les parties pourront se fonder pour le déclenchement de la clause. A titre d’exemple : « si le coût des matières premières augmente de plus de 50% de son prix initial… ». Ces seuils, doivent alors être établis selon les circonstances économiques qui entourent le contrat : taille de l’entreprise, du marché, les circonstances sociales et/ou politiques. Là où l’économiste mettra des chiffres, le juriste mettra des mots.
2§- Modalités et issues de la rencontre des parties
A. La procédure de la renégociation
Une fois que les conditions susvisées sont réunies, les parties doivent se réunir pour envisager la renégociation du contrat. Néanmoins, il convient à ce stade d’indiquer avec précision la procédure à suivre. Cette étape de la rédaction, qui peut paraitre moins importante que les autres, est tout aussi primordiale.
A titre comparatif, le fondement légal de l’imprévision dispose que la partie subissant l’évènement imprévu peut « demander » à son cocontractant une renégociation. Que signifie cette lettre du législateur ? Une demande par simple courrier ? Un appel téléphonique ? Un SMS ? Mail ? Une signification ou une notification ? Pour des raisons de preuve, de coût et de rapidité, nous vous invitons à privilégier la lettre recommandée avec accusé de réception ou le mail avec accusé de réception.
Les parties peuvent encore prévoir au sein du contrat une interdiction de soulever cette clause pendant un certain temps. Ce délai peut être envisagé dans le but d’éviter les abus. A titre d’exemple, nous pouvons inciter les rédacteurs à écrire au sein de leur contrat la formule suivante : « les parties s’interdisent à faire usage de cet article pendant une année à compter de la signature du présent contrat. » Une telle formule redonnera de l’importance à la force obligatoire du contrat, tout du moins pendant cette période.
Durant la négociation ensuite, il ne faudra pas hésiter à déterminer la répartition des charges et les modalités de cette réunion. Plusieurs questions interviennent de nouveau. Quid du déplacement ? De l’intervention d’un tiers, expert dans le domaine du contrat ? De la désignation du tiers ensuite, si les parties conviennent d’en désigner un. Pour ce dernier aspect, les parties peuvent habilement désigner un expert issu de la CCI de Paris.
Il nous semble ensuite de première importance de clarifier la durée de la renégociation. En effet, certaines négociations peuvent se dérouler sur plusieurs semaines, mois, voire années. Il serait, en tout état de cause, contre-productif qu’une négociation contractuelle s’étale sur plusieurs mois, voire années selon la situation. Si l’une des parties déclenche le mécanisme de cette clause, il est évident qu’elle se place dans une situation d’urgence ou de quasi-urgence. Selon l’importance du contrat, nous invitons les parties à ne pas soumettre leur rencontre à une période supérieure à six mois.
Les cocontractants doivent inévitablement se positionner sur le sujet suivant : suspension ou continuation du contrat pendant le temps de la renégociation ? L’article 1195 prévoit expressément que la convention doit se poursuivre pendant le temps de la renégociation. Néanmoins, la continuation du contrat pendant ce temps n’apparait pas être une solution viable dans toutes les situations. Effectivement, la poursuite de l’accord contractuel peut avoir des conséquences économiques désastreuses pour la partie qui subit l’évènement imprévisible. Il est donc parfois nécessaire de pallier ces conséquences en suspendant le contrat, au moins pendant une période de transition.
B. L’issue de la renégociation
In fine, la dernière question qui se pose est de savoir comment réagir à la fin de la renégociation. Quid de l’échec ou de la réussite de la rencontre des cocontractants ? Il faut de prime abord se remémorer que l’obligation de renégociation issue de l’article 1195 n’est en rien liée à une quelconque obligation de trouver un accord (note 15).
Une fois n’est pas coutume, selon les principes de la liberté contractuelle, les parties ont la possibilité de définir elles-mêmes les effets d’un éventuel nouvel accord. Deux solutions semblent s’offrir au rédacteur, il pourra établir un avenant à la convention selon la clause d’avenant si le contrat en possède une, ou alors créer un nouveau contrat. Nous ne pouvons qu’avertir les rédacteurs sur le choix de la deuxième option. En effet, si la primo convention a été signée ante réforme de 2016, alors la nouvelle sera soumise à un droit différent, c’est-à-dire celui post ordonnance du 10 février 2016 et aujourd’hui, postérieur même à la loi de ratification de 2018 (note 16 – note 17).
En cas d’échec de la négociation, les cocontractants devront cette fois-ci définir la suite de leur relation contractuelle voire commerciale : résiliation amiable ou poursuite du contrat ? Bien évidemment, nous déconseillons vivement la rupture unilatérale de la convention sans juste motif ni préavis, si aucune clause ne prévoit une telle rupture, laquelle peut provoquer une rupture brutale des relations commerciales établies, prohibée et sanctionnée par l’article L. 442-1, II du code de commerce.
Quoi qu’il advienne, il nous semble que la partie la plus diligente pourra toujours saisir le juge en cas d’échec de la renégociation, conformément à la lettre de l’article 1195 du code civil, à condition que le texte soit applicable matériellement et temporellement.
En tout état de cause, les négociations devront se poursuivre sous le principe de bonne foi, aujourd’hui codifié in extenso à l’article 1104 du code civil, mais également à l’article 1112-1 du code civil, appliqué spécifiquement aux négociations contractuelles.
Oscar MUGNIER
Note 1 : Jurisclasseur – Fascicule unique CONTRAT force obligatoire – bonne foi
Note 2 : Cass. Civ. 6 mars 1876, DP 1876. 1. 193, note Giboulot
Note 3 : Par exemple : Cass. Civ. 6 juin 1921
Note 4 : Pour la consécration de la théorie de l’imprévision en droit public : CE, 30 mars 1916 compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, GAJA 22 éd. Dalloz 2019, n°28, p. 175
Note 5 : Technique contractuelle, J-M. Mousseron, Ed. Francis Lefebvre 2017
Note 6 : A titre d’exemple, voir la Loi n°92-60 du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs
Note 7 : Com. 3 nov. 1992, no 90-18.547, Bull. civ. IV, no 338 ; JCP 1993. II. 22164, note Virassamy ; RTD civ. 1993. 124, obs. Mestre
Note 8 : Art. 6 : 111. Principes de droit européen des contrats, Principes Landö
Note 9 : Article 1195 du code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016
Note 10 : Podcast n°1, La chronique des DPC : « Le droit des contrats et la crise de la Covid-19 »
Note 11 : Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Note 12 : CA Paris 1976 28 septembre 1976, JCP 1978, II, 18810 note J. Robert
Note 13 : Banque et droit, septembre/octobre 2003 n°27
Note 14 : Les principales clauses du droit des affaires, F. BUY, M. LAMOUREUX, J. MESTRE, J-C. RODA, Coll. Les intégrales, 2e Ed. LGDJ
Note 15 : Cass. Com. 3 octobre 2006, n°04-13.214
Note 16 : Loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Note 17 : Blandine Mallet-‐Bricout, « Une ratification multidimensionnelle – À propos de la loi de ratification n°2018‐287 du 20 avril 2018 », RTD civ. 2018/3
Vers une lutte contre les clauses compromissoires internationales déséquilibrées grâce aux droits fondamentaux ? L’exemple de la saga Subway
La clause compromissoire est celle qui permet de soumettre un litige à l’arbitrage avant même que ce différend ne naisse. Bien que cela soit parfois contesté du fait de leur nature même (note 1), les clauses procédurales peuvent être déséquilibrées, et ce, de différentes manières. D’abord, la clause peut être intrinsèquement déséquilibrée, en ce qu’elle donne un avantage net à une partie de par ses termes. Parfois, c’est la mise en œuvre de cette clause qui crée un déséquilibre entre les parties (note 2). Ce déséquilibre apparait tout particulièrement avec la clause compromissoire car elle induit généralement des frais importants, tels que la rémunération des arbitres, les frais de transport ou les frais de traduction des actes de la procédure. Pourtant, cette clause est très utilisée dans la pratique, et notamment dans le commerce international, du fait de ses très nombreux avantages (confidentialité, choix des arbitres, souplesse, célérité, etc.).
Est-il possible de lutter contre le déséquilibre parfois induit par cette clause compromissoire grâce aux droits fondamentaux, et notamment grâce au droit à un procès équitable ?
Dans deux décisions récentes dites Subway, les juridictions françaises semblent tendre vers une réponse positive, sans toutefois l’exprimer de manière explicite. La cour d’appel de Paris a tout d’abord accepté la validité d’une clause compromissoire induisant un déséquilibre car la partie n’avait pas démontré son impécuniosité (I). Par la suite, le tribunal de commerce de Paris a écarté une clause similaire sur le fondement de l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce par une argumentation très critiquable (II).
I. L’acceptation de la clause compromissoire à défaut de réelle argumentation sur l’impécuniosité d’une partie
Dans sa décision du 2 juin 2020 (note 3), la Cour d’appel de Paris a décidé que le franchisé « ne justifie pas en quoi son impécuniosité alléguée au jour de la mise en œuvre de la procédure arbitrale pourrait affecter la validité de la clause d’arbitrage ».
Par cette phrase, la Cour suggère implicitement que l’impécuniosité d’une partie pourrait conduire à invalider une clause compromissoire. M. Sachs explique qu’il y a « une absence d’aide judiciaire dans la procédure arbitrale. […] L’aide judiciaire repose sur les principes du droit à un procès équitable d’une part et de la garantie de l’accès à la justice d’autre part. [Ils] sont des principes prépondérants dans toute société démocratique » (note 4).
Par conséquent, la remise en cause de la clause compromissoire pourrait se faire sur le fondement du droit à un procès équitable. En effet, en dépit de tous les avantages que peut avoir la clause compromissoire, notamment dans le commerce international, le coût d’un arbitrage ne peut être ignoré. Différents frais découlent de cette clause, qui peuvent se révéler très importants pour une partie, à tel point qu’elle ne peut de facto faire valoir ses droits devant l’arbitre. Or, par la conclusion de la clause, cette même partie a renoncé à intenter une action devant le juge étatique. Elle ne peut donc aller ni devant le juge étatique (renonciation), ni devant le juge arbitral du fait de sa situation financière.
Certes, l’arbitrage est un mode de résolution des différends parfaitement accepté par l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Cependant, il pourrait y avoir une violation de cet article si la clause empêche une partie de faire entendre sa cause par un arbitre du fait de coûts trop importants. C’est pourquoi, « l’impossibilité de surmonter la question financière liée au coût de l’arbitrage entraine pour lui la renonciation à tout règlement juridictionnel. Il nous semble que cette situation est contraire à l’article 6-1 CEDH » (note 5). Ainsi, la question financière et celle des incidences de sa charge par une partie doit être prise en contre par les juridictions.
II. Le refus de la clause compromissoire sur le fondement incertain du déséquilibre significatif du Code de commerce
Dans une seconde décision rendue à la suite de l’action du Ministre de l’économie, le tribunal de commerce de Paris a jugé qu’il « ne saurait être prétendu que les commerçants de détail en France utilisent spontanément ce mode de règlement des conflits, ni même qu’ils y souscriraient dans un rapport d’égalité avec leur co-contractant » (note 6). Il a alors écarté différentes clauses sur le fondement du déséquilibre significatif de l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce.
Cette motivation est problématique et a été largement critiquée par la doctrine. Tout d’abord, le professeur Jourdan-Marques a expliqué que l’on « est gêné par l’utilisation de la formule « il ne saurait être prétendu », qui semble interdire la preuve contraire » (note 7). Ainsi, il serait présumé de manière irréfragable que les commerçants de détails ne peuvent pas recourir à une clause compromissoire. Pourtant, l'arbitrage demeure valable par principe et a une réelle utilité pour de nombreuses relations commerciales. L’argumentation du tribunal semble nier cette réalité… Si cette interprétation littérale n’est pas unanimement confirmée par la doctrine il n’en demeure pas moins que la motivation de ce jugement demeure critiquable. En effet, l’utilisation de la notion de spontanéité est aussi problématique car, dans la majorité des relations contractuelles, la plupart des éléments ne sont pas proposés spontanément par chacune des parties, et demeurent pourtant valides. C’est d’ailleurs tout le but des négociations ! Concernant l’argumentation sur l’accumulation des clauses déséquilibrées, le tribunal fait un lien entre le contrat d’adhésion (un contrat qui n’a pas été et n’a pas pu être négocié) et le déséquilibre. Pourtant, un contrat peut tout à fait être un contrat d’adhésion équilibré, et à l’inverse, un contrat négocié peut être déséquilibré. Une telle argumentation ne peut être acceptée.
Une autre argumentation aurait pu être avancée par le tribunal pour obtenir le même résultat : le droit à un procès équitable. Les juges expliquent qu’il n’est pas nécessaire « de rechercher si le coût est ou non supérieur ou inférieur à celui d’une procédure devant les tribunaux français ou à celui d’un mode alternatif de règlement des différends en France » (note 8). Toutefois, c’est ce point précis qui permet de caractériser le déséquilibre financier qui peut exister entre les parties (note 9). Contrairement à la décision précédente, il semblerait possible d’apprécier le respect du droit à un procès équitable en prenant en compte une multitude de clauses. Évidemment, le déséquilibre financier est plus facilement induit par certaines clauses, telle que la clause compromissoire. Mais parfois, d’autres clauses peuvent générer des frais importants, telle que la clause de choix de lois, qui peut impliquer d’avoir recours à un conseil d’un État étranger.
Conclusion
La clause compromissoire n’est pas intrinsèquement déséquilibrée. Elle est d’ailleurs très utile, notamment dans le domaine du commerce international. Elle ne doit alors pas être bannie et interdite de manière absolue. Néanmoins, elle induit parfois un déséquilibre qui ne doit pas être occulté et qui doit être pris en compte par les juges dans leur appréciation des relations contractuelles. Ainsi, lors de la négociation de leur contrat, les contractants doivent impérativement porter une attention toute particulière à cette clause trop souvent oubliée. Le droit à un procès équitable semble alors un outil tout à fait opportun pour contrôler ces clauses sans les abolir, afin de les interdire uniquement lorsque, de facto, une partie ne peut plus avoir un réel accès à la Justice du fait de l’application de cette clause, notamment pour des raisons financières.
Marine ENINGER
Note 1 : Pour une explication : DE FONTMICHEL (M.), L’équilibre contractuel des clauses relatives au litige, JCP G. n°21-22, 27 mai 2019, p. 583.
Note 2 : Ibid.
Note 3 : CA Paris, 2 juin 2020, n°17/18900.
Note 4 : SACKS (K.), La protection de la partie faible en arbitrage, Gaz. Pal. 17 juillet 2007, p. 22.
Note 5 : VALENCIA (F.), Parties faibles et accès à la justice en matière d’arbitrage, Rev. Arb. 2007, p. 45.
Note 6 : T. com Paris, 13 octobre 2020, n°2017005123.
Note 7 : JOURDAN-MARQUES (J.), Chronique d’arbitrage : compétence et corruption – le recours en annulation à rude épreuve, Dalloz actualité, 24 décembre 2020.
Note 8 : T. com Paris, 13 octobre 2020, n°2017005123.
Note 9 : JOURDAN-MARQUES (J.), Chronique d’arbitrage : compétence et corruption – le recours en annulation à rude épreuve, op. cit.
Cass. 3e civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554 : Tout vient à point…
« Tout vient à point, à qui sait attendre », dit le proverbe. Près de trente ans après l’arrêt « Consorts Cruz » du 15 décembre 1993 (Note 1) et 5 ans après la consécration du nouvel article 1124 du Code civil, la Cour de cassation a opéré le 23 juin dernier un revirement de jurisprudence certes tardif mais tout de même retentissant (Note 2). A l’heure où l’encre des plus prestigieux observateurs du droit civil coule à flot, cet article propose de revenir modestement sur cette solution qui surprend davantage par sa temporalité que par sa substance.
Dans le célèbre arrêt « Consorts Cruz », la Troisième chambre civile de la Cour de cassation avait considéré que « tant que les bénéficiaires n’avaient pas déclaré acquérir, l’obligation de la promettante ne constituait qu’une obligation de faire et que la levée d’option, postérieure à la rétractation de la promettante, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir ». En dépit des critiques, toutes plus virulentes les unes que les autres d’une doctrine quasi-unanime, cette solution fut confirmée à de nombreuses reprises, gardant le cap contre vents et marées.
Ainsi le droit antérieur à la réforme de 2016 ne permettait pas l’exécution forcée de la promesse unilatérale de contrat lorsque le promettant s’était rétracté pendant le délai d’option laissé au bénéficiaire, mais avant que celui-ci exerce son droit.
Il a donc fallu attendre l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 pour voir enfin le paradigme changer. En effet, désavouant la Cour de cassation, les rédacteurs de la réforme ont consacré au sein de l’article 1124 du Code civil la possibilité d’obtenir l’exécution forcée de la promesse de vente en dépit de la rétractation du promettant pendant le délai d’exercice de l’option.
Toutefois, cette disposition n’étant pas rétroactive, elle n’est en principe applicable qu’aux contrats conclus postérieurement au 1eroctobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance. Les contrats soumis au droit ancien demeuraient donc régis par la règle retenue par l’arrêt du 15 décembre 1993.
Ainsi, alors que la solution semblait acquise uniquement pour l’avenir, la Cour de cassation a opéré un tardif mais important revirement de jurisprudence par cet arrêt du 23 juin 2021. Il est cependant à noter que de précédentes décisions, rendues par la Chambre sociale de la Haute juridiction, avaient déjà retenu une telle solution en matière de droit du travail (Note 3).
Cette fois-ci, la solution est générale et non équivoque : dans les promesses de vente antérieures au 1er octobre 2016, la rétractation par le promettant pendant le délai de l’option n’empêche pas le bénéficiaire d’obtenir l’exécution forcée de ce contrat.
Pour revenir sur sa position classique, la Cour de cassation aurait pu se fonder sur le nouvel article 1124 du Code civil, et ce, en interprétant l’ancien droit à la lumière du nouveau (ce qu’elle a d’ailleurs fait relativement à d’autres problématiques). Ce n’est pourtant pas la motivation qu’elle a retenue. Ainsi, se fondant notamment sur les anciens articles 1134 et 1142 du Code civil, les juges de la Troisième chambre civile ont finalement repris les arguments développés ces trente dernières années par la doctrine, faisant alors prévaloir la force obligatoire et l’exécution forcée des promesses de contrat nonobstant toute rétractation qui interviendrait pendant le délai d’option laissé au bénéficiaire.
En outre, il est à noter que le raisonnement de la Troisième chambre civile est clair et didactique. Après avoir rappelé sa position antérieure, elle met en exergue la nature contractuelle de la promesse unilatérale de vente et affirme qu’à cet égard, il est nécessaire de donner plein effet aux stipulations des parties. Aussi le promettant s’oblige-t-il « à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat, sans possibilité de rétractation », et ce « sauf stipulation contraire ».
Néanmoins, cette petite révolution au sein de la jurisprudence aura sans doute un effet quelque peu limité pour l’avenir. D’une part le revirement aurait eu un impact bien plus fort s’il était intervenu en amont de la réforme du droit des contrats. D’autre part, s’il conduit à rendre inefficace la rétractation d’une promesse conclue avant le 1er octobre 2016, il ne devrait, a priori, pas porter une quelconque altération aux sanctions relatives à la conclusion du contrat promis avec un tiers, la solution antérieure demeurant toujours d’actualité et contraire au nouvel article 1124 du Code civil (Note 4).
Il faudra donc se contenter de ce revirement, tant sur un plan matériel que chronologique, qui a au moins le mérite d’unifier l’une des règles applicables à la promesse de contrat et ainsi faire cesser cette inepte contradiction.
Valentin ROUSSET
Note 1 : Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, n° 91-10.199.
Note 2 : Cass. 3e civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554.
Note 3 : Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20.103 et 16-20.104.
Note 4 : FRANCOIS C., Abandon de la jurisprudence Cruz par la troisième chambre civile : révolution tardive à la Cour de cassation, https://www.clementfrancois.fr, le 24 juin 2021.
Asya CEKIC
Droit chinois des contrats : étude de droit comparé sino-français
Durant les années 2000, la stratégie des entreprises françaises a été de conquérir de nouveaux territoires économiquement stratégiques. La multiplication des sociétés cotées en bourse a conduit les entreprises françaises à considérer la question de l’expansion vers l’Est comme un véritable atout notamment par son développement rapide. En effet, la Chine, pour accroitre son attractivité, s’est ouverte au capitalisme aux horizons du nouveau siècle. Cette ouverture au monde a alors suscité un grand engouement en Europe et ainsi donc en France. Le gouvernement en 2004 a alors permis au pays de rattraper le retard et de favoriser l’émergence de nouveaux accords économiques sino-français.
Malgré une implantation de multinationales relativement réussie sur le territoire chinois, à quelques exceptions près (note 1), les PME ayant une direction centralisée en France et gérant des filiales chinoises peuvent, quant à elles, rencontrer des difficultés notables, notamment juridiques.
Effectivement, la plupart des PME installées en Chine continuent de gérer les affaires juridiques à partir de la France, pour le compte des filiales, en employant des juristes formés en droit français, voire en droit international. Il faut donc constater que la maîtrise du droit chinois reste à désirer, alors qu’elle occupe une place primordiale dans les relations avec les cocontractants chinois, mais également étrangers, lorsque ce sont les filiales qui contractent directement.
Il n’en demeure pas moins que la présence française en Chine reste considérable, et certaines statistiques démontrent même que les entreprises déjà installées s’en sortent beaucoup mieux économiquement, même en sortie de crise sanitaire. Il est donc utile d’aborder les notions les plus importantes, divergentes comme convergentes avec le droit français, au travers de cette brève étude de droit comparé sino-français.
Le droit chinois des contrats : création d’un nouveau droit hybride
Le développement du droit des contrats en Chine a un caractère nouveau. Celui-ci s’est très amplement inspiré du code Napoléonien ainsi que du droit international des contrats, notamment de la Convention de Vienne de 1980, ou encore des principes UNIDROIT (note 2). Si ce droit des contrats a pu constituer un socle plutôt solide pour les contrats internationaux, tel n’est pas le cas en droit des contrats interne, qui est soumis à un régime plus strict.
Dès lors, le droit interne des contrats est un droit qui mélange des notions de droit administratif, de droit coutumier et d’un droit privé construit récemment (note 3). Ce mélange de différentes sources s’explique principalement par le rôle omniprésent et omnipotent que l’Etat continue de jouer lorsqu’il s’agit d’économie des entreprises, se traduisant majoritairement par certaines ingérences administratives. Ainsi, les entreprises françaises en Chine font face à une coexistence au sein d’un même droit, de normes traditionnelles, de règles modernes, et d’emprunts aux droits occidentaux, et dont le mode d’application reste difficile à résoudre.
Nous pouvons noter dès lors que quelques différences apparaissent : le droit chinois est attaché au comportement du cocontractant dans la relation pré-contractuelle, contractuelle et même post-contractuelle. Cette particularité provient tout droit du confucianisme, religion majoritaire en Chine, qui déplace alors les relations informelles au cœur même des contrats en plan principal, tout en ayant pour effet d’entrainement de diminuer l’importance de son contenu. Ainsi, il est très souvent recommandé aux entreprises françaises de toujours préciser la valeur contractuelle de n’importe quel échange qui intervient entre les parties, car si le cocontractant français se conduit, sans y mettre la forme écrite, comme ayant pour finalité la conclusion du contrat, celui-ci sera considéré comme déjà conclu pour la partie chinoise, ainsi que pour les juridictions étatiques.
Cette importance du comportement dans les relations emporte d’ailleurs une autre conséquence sur les relations contractuelles entre les partenaires : la conciliation et la médiation dans les contrats comme règle de principe dans tous les contrats sino-français. Il est incontestable que son absence pourrait provoquer de vives réactions chez le partenaire chinois (note 4).
La personnalisation des différentes sources étrangères
Le droit chinois des contrats est grandement inspiré des principes civilistes français, comme il a été évoqué précédemment. Nous pourrions alors citer le principe de l’autonomie de la volonté, de l’effet relatif des contrats, ou encore de la force obligatoire de celui-ci. En effet, l’article 8 de la loi de 1999 (note 5) prévoit que « Un contrat légalement formé est protégé par la loi ». Cet article est à rapprocher de l’article 1103 nouveau du Code civil français (1134 ancien) qui dispose que « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
La liberté contractuelle connaît cependant de très fortes restrictions, d’une part, par une très large définition de l’ordre public, et d’autre part, comme évoqué, par le contrôle de l’Etat.
A titre d’exemple, l’article 7 de la loi du 15 mars 1999 donne la définition qui suit : « Les contrats ne doivent pas violer les lois ou règlements, doivent respecter la moralité publique et éviter de porter atteinte à l’ordre économique et social, ou porter atteinte aux intérêts publics ». On le constate, la définition est si large qu’il est pratiquement possible d’opposer l’ordre public pour tous les contrats conclus et qui feraient l’objet d’une action en nullité. Par ailleurs, il faut noter qu’en parallèle à une définition large, les tribunaux ont un pouvoir d’interprétation des textes très (trop ?) étendu.
D’autres difficultés apparaissent, notamment au regard de la procédure d’enregistrement et d’approbation de certains contrats (note 6). En pratique, on considère que la majeure partie des contrats conclus avec des entreprises étrangères font l’objet de ces formalités d’enregistrement et d’approbation préalable par les autorités publiques du contrat en question. On peut donc en arriver à considérer que, dans ces contrats, la relation n’est plus bipartite, mais presque tripartite, l’Etat jouant un rôle majeur pour que le contrat puisse déployer ses effets (à noter que les considérations pour approuver ou non le contrat ne sont pas toujours juridiques).
Cette procédure est à respecter à peine d’engager la responsabilité contractuelle, et non délictuelle, de celui qui n’aurait pas soumis le contrat à ladite procédure.
La trace de l’hybridité du droit chinois des contrats dans la pratique juridique
Parce que la Chine reste toutefois un territoire en quête d’attractivité, le système juridique ne contient pas seulement des aspects négatifs.
Le droit chinois des contrats étant un droit jeune, neuf et inspiré de plusieurs droits étrangers, il reste favorable aux échanges internationaux.
La principale qualité de ce système juridique est que la loi soumet les parties à une obligation générale de confidentialité et d’interdiction d’utilisation de tous secrets d’affaires échangés lors de pourparlers. Dès lors, même s’il faut toujours conditionner l’échange d’informations à un accord de confidentialité, le droit commun reste très fortement protecteur en cas d’absence d’un tel accord. Ce système juridique est d’ailleurs très attaché à l’équité (tirée de la common law) et de la bonne foi (tirée du droit civil). Cela permet alors au juge d’écarter la force obligatoire du contrat pour parfois considérer les changements de circonstances dans la relation, et d’interpréter le contrat au nom de l’équité et de la bonne foi.
De plus, contrairement au droit français, le droit chinois ne fait aucune distinction entre personne physique ou personne morale, chinoise ou étrangère, ce qui permet une uniformité de traitement des parties ainsi qu’une égalité la plus totale.
Notamment, pour que le droit soit plus facilement lisible, la loi sur les contrats de 1999 a été introduite dans le « Code civil » le 1er janvier 2021, ce qui permet à la Chine de se construire un véritable droit qui lui est propre et qui prend en compte les considérations économiques et de développement.
Par conséquent, si le droit chinois des contrats est en constante évolution, qu’il devient très efficace, et qu’il a pour volonté d’assurer une réelle sécurité juridique aux opérateurs économiques, il n’en demeure pas moins qu’il est essentiel pour les entreprises ayant des filiales en Chine de se former sur son droit. Si le droit chinois des contrats est d’une certaine façon similaire à celui étudié en France par les juristes et qu’il n’est pas insurmontable, les influences extérieures poussent les entreprises françaises à devoir prendre les mesures adéquates pour se former au droit chinois des contrats. Quoi qu’il en soit, et si tel n’est pas le cas, les entreprises françaises ont encore la possibilité de s’y adapter, l’économie chinoise étant constamment en évolution, et son territoire étant plein d’opportunités pour les entreprises étrangères.
Note 1 : On peut prendre comme exemple les entreprises comme Carrefour ou Auchan qui ont quitté en 2019 et 2020 le marché chinois.
Note 2 : Institut International pour l’Unification du Droit Privé, harmonisant et coordonnant la lex mercatoria et édictant des principes de droit uniforme pour régir le commerce international.
Note 3 : La Chine s’ouvre économiquement en 1979 et emporte une vague d’adoption de lois et règlements, 1400 lois nationales modifiées, 26 nouveaux règlements adoptés, comme la loi sur les contrats, et le Code civil en 2021.
Note 4 : Article 128 de la loi du 15 mars 1999 qui incite les parties à résoudre les litiges en ayant préalablement recours à la conciliation et à la médiation, ou encore à l’arbitrage.
Note 5 : Loi du 15 mars 1999 sur les contrats, codifié dans le Code civil en 2021.
Note 6 : Par exemple, un contrat de prêt entre une société mère étrangère et une société fille chinoise est soumis à approbation.