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Douzième numéro, Mars 2022

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SOMMAIRE
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Indépendance de l'avocat versus dépendance économique 

L’article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen pose le principe selon lequel tous sont égaux devant la loi. À ce titre, tous ceux qui se trouvent dans une situation équivalente devraient être soumis aux mêmes dispositions. Or, en fonction de quel critère détermine-t-on l’équivalence de situation ? Et, surtout, quelle est l’incidence de l’objet du contrat sur la mise en œuvre effective du principe d’égalité ? Le Conseil constitutionnel a apporté des clarifications qui vous seront présentées lors de cet article.

Par Julia PERES DE FREITAS

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Le droit de la compliance

Le droit de la compliance constitue aujourd’hui une toute récente branche de notre droit qui ne cesse de se développer en faisant peser de multiples contraintes sur les acteurs privés. Cette émergence de la compliance illustre ainsi la volonté d’imposer plusieurs objectifs d’intérêt général aux entreprises, ces derniers étant liés principalement à la corruption, le terrorisme, ou encore les conditions de travail. Mais qu’en est-il de l’efficacité de ces normes ? La notion de compliance est-elle reconnue de la même façon dans les différents États ? Cet article permettra d’étudier plus en amont ce droit de la compliance, fortement admis, mais dont les contours restent complexes à établir.

Par Clarence DOMMÉE

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Indépendance de l'avocat versus dépendance économique 

L’indépendance est l’un des piliers de la déontologie de la profession d’avocat, ce dernier devant constamment veiller à son respect. La question s’est cependant déjà posée quant à savoir si un avocat pouvait invoquer un consentement vicié par l’abus de dépendance économique à l’égard de son client et se prévaloir de la nullité de la convention d’honoraires conclue. Ainsi, l’indépendance inhérente à la profession d’avocat exclut-elle par principe l’état de dépendance économique de celui-ci ? Et quelles sont véritablement les conséquences d’un tel vice au regard de la déontologie de la profession ? Cet article tentera de répondre à ces questions épineuses en ayant notamment pour toile de fond un arrêt récent de la Cour de cassation.

Par Lisa GALDO

Article 1

Indépendance de l'avocat versus dépendance économique 

L’indépendance est « l’ADN de l’avocat » (note 1), l’un des piliers de la déontologie de cette profession. L’avocat doit, en toutes situations, être guidé par ce principe et veiller à son respect.

 

Toutefois, vis-à-vis de son client, il est légitime de se demander si l’avocat est en mesure d’invoquer un consentement vicié par la violence/l’abus de dépendance économique, et ainsi se prévaloir de la nullité de la convention d’honoraires conclue. Autrement dit, est-ce que l’indépendance inhérente à la profession d’avocat exclut-elle par principe l’état de dépendance économique de celui-ci ?

Voici la question centrale et innovante posée à la Cour de cassation dans un récent arrêt de la deuxième chambre civile du 9 décembre 2021 (n°20-10.096).

 

En l’espèce, un avocat s’était vu confier la défense des intérêts de l’AGS dans une série de dossiers. Après un jugement de première instance, la charge de poursuivre la procédure en appel a été confiée en grande partie à un autre avocat. Le premier avocat, ayant été dessaisi, a ainsi demandé à son bâtonnier de fixer ses honoraires en faisant valoir qu’il avait droit à un complément d’honoraires pour la première instance, à des honoraires pour la procédure d’appel et à une rémunération de son intervention lors de la procédure collective de ladite association.

 

Par cette nouvelle décision, les juges de la Cour de cassation, statuant sur renvoi, se sont prononcés sur cette notion de violence économique subie par un avocat qui, si elle est caractérisée, permet de fonder la nullité de la convention d’honoraires conclue entre l’avocat et son client.

 

La violence par abus de dépendance est une disposition relativement récente car, si la jurisprudence admettait déjà la violence économique, cette notion a été consacrée et précisée par l’Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats et du régime général de l’obligation, quelque peu modifiée par la Loi de ratification du 20 avril 2018. La violence par abus de dépendance est aujourd’hui prévue à l’article 1143 du Code civil.

 

            Ce récent arrêt, qui a été publié, permet de revenir sur ce vice du consentement ainsi que sur les conditions permettant de le caractériser (I). Tout en s’intéressant aux conséquences d’un tel vice au regard de la déontologie de la profession d’avocat et du principe d’indépendance (II). 

I. La notion de violence par état de dépendance économique

 

Comme un refrain connu par tous les juristes, la validité d’un contrat est conditionnée à la réunion de trois conditions : consentement, capacité, contenu licite et certain (article 1128 du Code civil). S’agissant du consentement, celui-ci doit être libre et exempt de vice. À ce titre, l’article 1130 du même code indique que l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement et donnent ainsi lieu à la nullité dudit contrat.

 

La violence se définit communément comme le comportement d’une des parties qui contraint l’autre à contracter soit par violence physique, soit par des menaces constituant une violence morale. Mais la violence peut aussi résulter du fait pour l’une des parties d’abuser de l’état de dépendance dans lequel se trouve l’autre.  

 

La jurisprudence avait déjà admis ce type de vice du consentement (arrêt de principe du 27 avril 1887), qui ne semble pas être considéré comme un nouveau vice mais plutôt comme une déclinaison de la violence. En effet, la Cour de cassation avait simplement indiqué que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » (Civ. 1re, 30 mai 2000, n° 98-15.242), ouvrant ainsi la voie à la prise en compte de ces situations du point de vue des vices du consentement. Par la suite, elle a dégagé les conditions de la violence économique en retenant que « seule l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (Civ. 1re, 3 avr. 2002, n° 00-12.932).

 

La violence économique a été consacrée par le nouvel article 1143 du Code civil. Ce dernier énonçant qu’« il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard (ajout de la loi de ratification), obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ». À noter que contrairement aux jurisprudences antérieures à la réforme, l’abus de dépendance n’est plus seulement économique, mais vise plus largement toutes situations de dépendance (mentale, psychologique etc.). 

Le texte prévoit alors plusieurs conditions devant être satisfaites pour qualifier un tel vice, à savoir : une situation de dépendance vis-à-vis du cocontractant, un abus de cette dépendance, entraînant l’obtention d’un avantage manifestement excessif. S’agissant de ces conditions, il semble y avoir un débat quant au fait de savoir si l’existence d’un abus est une condition autonome. Effectivement, pour certains auteurs (note 2), il paraît compliqué de prouver l’abus de dépendance sans même rechercher l’octroi d’un avantage manifestement excessif. Si bien que les conditions d’abus et d’avantage manifestement excessif seraient en réalité liées. Toutefois, pour une partie de la doctrine, ce nouvel arrêt de décembre 2021 ne mentionnerait que deux conditions devant être réunies. Alors, l’abus découlerait nécessairement de la preuve de l’avantage manifestement excessif et seulement deux conditions devraient être réunies.

Enfin, comme tous vices, l’abus doit être déterminant c’est-à-dire que sans lui, la partie n’aurait pas contracté ou à des conditions substantiellement différentes (article 1130 du Code civil).

 

Si les conditions sont réunies, le contrat, ou la convention d’honoraires en l’espèce, pourra être sanctionné par la nullité selon l’article 1178 du Code civil.

II. Dépendance économique et déontologie de la profession d’avocat

 

Dans la décision du 9 décembre 2021, le demandeur au pourvoi (l’association AGS) invoquait l’indépendance de l’avocat comme étant incompatible avec la dépendance économique de l’article 1143.  

 

La justice doit être indépendante afin de garantir notre État de droit. Les professionnels de la justice doivent nécessairement exercer leur profession de façon indépendante. A ce titre, l’article 1er de la loi (n° 71-1130) du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose que la profession d’avocat est une profession libérale et indépendante. Également, l’article 3 de cette même loi prévoit que l’avocat prête serment d’exercer ses fonctions « avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Autrement dit, le principe d’indépendance a été considéré comme « essentiel à la profession d’avocat » (note 3). Le doyen Cornu a défini cette notion comme « l’état de quelqu’un qui n’est tributaire de personne sur le plan matériel, moral, intellectuel, qui ne sent pas lié ou qui ne veut pas être soumis aux autres, qui ne se laisse pas influencer par ses appartenances politiques, religieuses, par des pressions extérieures ou par des intérêts propres ». Il s’agit de la « situation de celui qui n’est pas lié par un contrat de travail, qui travaille pour son propre compte » (note 4).

 

Cette indépendance peut être mise en péril dans l’hypothèse où un seul client constitue l’essentiel du travail et du chiffre d’affaires de l’avocat. Il est certain qu’aucun client ne devrait détenir un tel pouvoir économique sur le professionnel sous peine de voir ce dernier limité dans ses actions. Néanmoins, cela n’est pas si évident en pratique.

 

C’est ce principe central de la profession d’avocat qui est venu se mêler à la violence économique.

Ainsi, à la question de savoir si l’indépendance inhérente à la profession d’avocat exclut nécessairement l’état de dépendance économique d’un avocat, les juges de la Cour de cassation ont répondu par la négative au visa de l’ancien article 1111 du Code civil et de l’article 3 de la Loi de 1971. En effet, statuant sur le renvoi de la cour d’appel de Saint-Denis à la Réunion, la Cour de cassation a caractérisé l’état de dépendance économique dans lequel se trouvait l’avocat à l’égard de l’AGS ainsi que l’avantage excessif que l’association avait tiré, et en déduit que cette situation est constitutive d’un vice du consentement excluant l’existence d’un accord d’honoraires librement consenti entre les parties. Elle fixe alors les honoraires dus à l’avocat en application des critères définis à l’article 10 de la loi de 1971.

 

Par conséquent, l’indépendance de l’avocat ne prive pas ce dernier de la possibilité d’invoquer la dépendance économique vis-à-vis de son client, afin de faire annuler la convention d’honoraires jugée excessive. La Cour de cassation semble alors ne pas interpréter strictement le principe d’indépendance de l’avocat pour permettre une protection plus optimale de celui-ci. De sorte que, malgré les règles de déontologie, l’avocat reste un cocontractant comme un autre face à son client.

Lisa GALDO

Note 1 : L’indépendance, l’ADN de l’avocat, Dalloz Avocats, Nov. 2015, n° 11

Note 2 : Tel que H. Barbier, « La violence par abus de dépendance », La Semaine Juridique – Édition Générale, n° 15, 11 avril 2016, pp. 722-724

Note 3 : Assemblée Générale de l’UIA tenue à Porto, le 30 octobre 2018

Note 4 : G. Cornu, Voc. Juridique, PUF, 2022

 

Bibliographie : 

  • Merryl Hervieu, L’indépendance de l’avocat n’exclut pas sa dépendance économique, Dalloz Actu, 2022

  • Patrick CHAUVEL, Violence, Répertoire de droit civil, Avril 2019 (actualisation : Décembre 2021)

  • Mathias Latina, LEDC janv. 2022, n° DCO200n4

  • Cédric Hélaine, Convention d'honoraires d'avocat : possibilité d'annulation pour contrainte économique et violence, Dalloz actualité, 13 décembre 2021

Le droit de la compliance

Clarence DOMMÉE

Bibliographie : 

  • N. BORGA, JC. MARIN, JC RODA, « Compliance : l’entreprise, le régulateur et le juge », D. 2018

  • D. SCHNAPPER, A. SCHNAPPER, « Puissante et fragile, l’entreprise en démocratie », Éditions Odile Jacob, 2020

 

Note 1 : Cour d’appel de Paris, le 5 mai 2021, n°19-15.680.

Note 2 : O.DEBAT, « Compliance : une éthique choisie ou subie », Revue Juridique Thémis de l'Université de Montréal, vol. 50 (n°3). p. 543-569.

Note 3 : L. D’AMBROSIO, « L'implication des acteurs privés dans la lutte contre la corruption : un bilan en demi-teinte de la loi Sapin 2 », RCS 2019.205

Note 4 : C.DELHAYE, « La compliance est rentrée dans les mœurs », Décideurs Magazine, 2018

Note 5 : JC. MAGENDIE, « Éthique et conformité dans les entreprises », Rev.sociétés 2019.730

Note 6 : LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

Note 7 : LOI n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre

Note 8 : LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises

Au regard du contexte actuel et des différents enjeux liés à la lutte contre la corruption, le terrorisme, le développement durable, ou encore le respect des droits de l’homme, les entreprises ont dû évoluer en conciliant ces enjeux avec la contrainte de la rentabilité et celle de la concurrence mondialisée. Lorsqu’elles existent et jouent un rôle majeur au sein des sociétés démocratiques, ces entreprises ont intérêt à se transformer afin de pallier les attentes des personnes qui les font vivre, notamment en introduisant une certaine éthique au sein de leur mode de fonctionnement.

 

C’est ainsi qu’a émergé la notion de compliance, issue du droit américain. Aujourd’hui, il s’agit d’une branche à part entière du droit français comme peut en témoigner le tout récent code de la compliance, dont la première édition date de septembre 2020.

 

Un arrêt rendu le 5 mai 2021 par la Cour d’appel de Paris illustre également cette émergence. Les juges ont en effet admis une rupture immédiate des relations commerciales établies sans préavis, au titre de l’article L.442-1 du Code de commerce, ceci du fait de la violation par l’une des parties contractantes d’une charte éthique. Cette violation a été caractérisée comme un manquement suffisamment grave du contractant à ses obligations contractuelles, ce qui justifiait ainsi la rupture desdites relations commerciales établies (Note 1).

 

Initialement, la compliance était intégrée de manière purement volontaire par certaines entreprises au sein de leur structure, il s’agissait avant tout d’une source de droit souple. Ce n’est plus le cas aujourd’hui puisque le législateur français s’est peu à peu emparé de cette question.

Dès lors, le respect des règles liées à la compliance peut être choisi par les entreprises, mais il peut également être subi par ces dernières, notamment dans l’hypothèse d’une pression indirecte qui serait exercée par les concurrents et partenaires, ou encore dans l’hypothèse d’une pression directe exercée par l’État lui-même (Note 2).

 

Si la notion de compliance a été rapidement intégrée par les acteurs privés (II) ainsi que par le législateur (III), la délimitation des contours de cette notion reste encore floue (I).

 

I. La définition complexe de la compliance

 

Le berceau de la compliance se trouve aux États-Unis, premier pays à avoir consacré cette idée d’admission, au sein du monde des affaires, d’une approche plus humaine, sociale et éthique des comportements.

Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), une loi américaine datant de 1977, a joué un rôle prépondérant dans cette consécration, son objectif premier étant de lutter contre toute pratique de corruption d’agents publics étrangers. Cette loi concernait non seulement les américains mais également les acteurs étrangers dans l’hypothèse d’un lien de rattachement avec les États-Unis. En témoigne la condamnation en 2006 de l’entreprise multinationale norvégienne Statoil, cotée à la bourse de New York, qui avait eu recours à des pratiques de corruption contraires au FCPA. 

Ces normes ont pour effet de renforcer le rôle des acteurs privés, notamment dans la lutte contre la corruption. Ces derniers peuvent donc, dans un sens, être qualifiés d’alliés des pouvoirs publics puisqu’ils contribuent de manière indirecte à la répression de différents crimes économiques (Note 3).

 

La compliance a été qualifiée de méthodologie permettant de « transformer des valeurs éthiques, des principes d’intégrité et une volonté de faire bien, en règles explicites, en actions de prévention tangibles et en résultats » (Note 4).

 

Dès lors, la délimitation de cette notion reste complexe à établir, notamment lorsqu’elle est confrontée à la notion d’éthique : ces deux notions se confondent-elles ou se complètent-elles ?

 

L’éthique et la compliance semblent s’imbriquer l’une dans l’autre puisque les règles de compliance se basent avant tout sur des fondements éthiques. La notion d’éthique aurait donc une portée bien plus large qui servirait de base aux normes de compliance, ce qui atteste d’une complémentarité fonctionnelle entre ces deux termes (note 5).

 

La compliance a donc rapidement été intégrée par différents acteurs, cependant, son essence-même est finalement très peu connue et ses contours diffèrent selon les droits nationaux.

En France, nous retrouvons cette idée de compliance sous le terme de « conformité ». Or, cette traduction ne semble pas idéale au regard de la signification de ces deux notions, la conformité désignant l’obligation de se conformer aux règles, de les respecter strictement, la compliance désignant quant à elle une méthodologie que certains acteurs doivent suivre afin de répondre à plusieurs objectifs préalablement visés (lutte contre la corruption, le terrorisme, respect des conditions de travail…).

 

II. L’admission volontaire des règles de compliance par les acteurs privés

 

Dès la fin du 20e siècle, certaines entreprises se sont intéressées à ces règles de compliance et ont pu les intégrer de manière purement volontaire au sein de leur mode de fonctionnement. Cette reconnaissance s’explique notamment par le souhait des entreprises de véhiculer une image éthique et morale vis-à-vis de leurs clients, cocontractants ou concurrents. Par ailleurs, la compliance s’analyse aujourd’hui à la fois comme un outil de compétitivité entre les différents acteurs privés et comme un outil de management juridique (note 4).

 

De nombreuses entreprises ont ainsi adopté des codes de conduite, des chartes éthiques ou d’autres engagements semblables afin de se conformer aux attentes desdits clients, cocontractants ou concurrents, ou bien même de redorer leur image. Tel est le cas par exemple de l’entreprise TotalEnergies qui, sur son site internet, évoque son « engagement pour une conduite exemplaire », notamment à propos du respect des droits de l’homme. Ce groupe s’engagerait ainsi dans la prévention de la corruption, par le biais de l’adoption d’un programme de conformité anticorruption et d’un code de conduite. Il est également précisé que tout manquement aux documents précités donnerait lieu à des sanctions disciplinaires.

 

Néanmoins, un doute subsiste concernant la valeur juridique de ces documents adoptés par les entreprises. A priori, il s’agit de sources de droit souple qui caractérisent avant tout un ordre normatif et disciplinaire interne aux entreprises (Note 3). Il s’agirait avant tout, pour les entreprises, de mettre en lumière leurs valeurs et de promouvoir un comportement éthique. Ces documents contribuent donc en partie à la communication de l’entreprise envers différents acteurs.

 

Par ailleurs, les entreprises ont de plus en plus tendance à insérer dans leurs contrats des clauses dites éthiques, clauses de compliance ou encore clauses de due diligence. Celles-ci permettent aux acteurs privés de s’assurer que leurs cocontractants adoptent un comportement qui n’est pas contraire aux valeurs véhiculées en interne, ainsi qu’aux droits de l’homme de manière plus générale.

De telles clauses doivent en revanche respecter le rapport de force qui peut exister entre les entreprises contractantes. En effet, ces clauses ne doivent pas laisser place à des abus, notamment de la part des plus grandes entreprises qui profiteraient de leur position dominante.

Ces clauses peuvent également avoir pour effet de porter atteinte au secret des affaires ainsi qu’à la protection des données personnelles.

 

III. Des normes de compliance imposées par le législateur aux acteurs privés

 

Le législateur est intervenu afin d’introduire ces règles de compliance au sein de notre droit. Ainsi, aux côtés des sources dites de droit souple, viennent s’ajouter des sources de droit dur qui témoignent de la reconnaissance légale de la compliance.

Cette reconnaissance permet à l’État d’imposer certains objectifs aux entreprises et de prévoir des sanctions dans l’hypothèse où ces dernières ne les respecteraient pas.

 

La loi Sapin II du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (note 6), est une première illustration de ces règles de droit dur.

 

Cette loi est venue établir un socle de normes reposant sur cette idée de compliance. Celui-ci prévoit notamment l’adoption de dispositifs d’alerte, de codes de conduite qui permettent d’identifier de manière précise les comportements susceptibles d’être qualifiés de faits de corruption. L’article 17 de cette loi consacre une obligation légale vis-à-vis des entreprises qui doivent édicter des mesures de prévention concernant la commission de tels faits.

Ces mesures peuvent être caractérisées comme des procédures d’évaluation de la situation des différents clients ou fournisseurs, ce qui permet de cartographier les risques concernant les cas de blanchiment d’argent, de fraude, de terrorisme également (note 3). Ce même article prévoit une responsabilité quant à la mise en œuvre du dispositif de conformité anticorruption, celle-ci pèse sur les dirigeants des entreprises concernées. 

 

En revanche, cette obligation légale ne concerne que certaines catégories d’entreprises, à savoir, les entreprises comportant au minimum 500 salariés ; ou celles qui appartiennent à un groupe de sociétés avec une société mère, et dont le siège social est en France, avec au minimum 500 salariés, et ayant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.

 

La loi Vigilance du 27 mars 2017, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (note 7), est une seconde illustration.

Celle-ci prévoit un devoir de vigilance des sociétés mères vis-à-vis de leurs filiales. Certaines dispositions consacrent la mise en place d’une responsabilisation des acteurs privés avec des règles portant sur la prévention ou encore l’auto-régulation.

Il y a également ce souhait d’introduire une logique de contrainte vis-à-vis des entreprises, afin qu’il n’y ait plus uniquement des démarches volontaires. Néanmoins, cette volonté législative fait l’objet de certaines critiques concernant son coût, nécessairement élevé, ainsi que son efficacité qui reste douteuse.

 

Enfin, la loi Pacte (note 8), datant du 22 mai 2019, fait elle aussi référence à une certaine éthique en matière de droit des sociétés en ce qu’elle reconnait d’une part, la possibilité pour les entreprises d’inscrire une raison d’être dans leurs statuts, et d’autre part l’existence de sociétés à mission poursuivant différents objectifs sociaux et environnementaux.

Article 2

La prescription biennale en contrats d’assurances et l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : Une dérogation à la prescription de droit commun conforme à la Constitution

Depuis l’intégration de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen au bloc de constitutionnalité (note 1), le principe d’égalité devant la loi est de valeur constitutionnelle. Toutefois, il n’est pas absolu. Par une décision QPC du 17 décembre 2021 (note 2), le Conseil constitutionnel a rappelé le caractère relatif de ce principe : le législateur dispose d’une large marge d’appréciation pour modeler les contours de l’égalité devant la loi.

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 octobre 2021, par la Cour de cassation, d’une question prioritaire de constitutionnalité, portant sur la conformité de la prescription biennale en matière de contrat d’assurances – exception à la prescription quinquennale en droit commun – à la Constitution.

 

L’article L. 114-1 du Code des assurances dispose ainsi que « toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance. » Cette disposition vient en contradiction à la disposition de droit commun selon laquelle « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer (note 3). »

 

Dans le cas de l’espèce, les requérants argumentaient qu’une telle divergence de la loi portait atteinte au principe d’égalité devant la loi, dans la mesure où les assurés se trouvent dans une position d’équivalente faiblesse par rapport aux consommateurs, qui disposent, eux, d’un délai de prescription étendu.

 

Si le principe d’égalité devant la loi, de valeur constitutionnelle, est, de toute logique, protégé par le Conseil constitutionnel, le cadre d’exceptions auquel il est soumis fait également l’objet d’un contrôle minutieux par le gardien des libertés fondamentales.

 

Ainsi, il est de jurisprudence constante (note 4) que le législateur admette une différence de traitement – normalement dénoncée par l’article 6 de la Déclaration – dès lors qu’elle est « en rapport direct avec la norme qui l’établit (note 5). » Il en résulte que la large marge d’appréciation – et de manœuvre – laissée au législateur pour décider des dérogations au principe constitutionnel peut apparaître, ainsi, quelque peu étonnante.

 

Une telle posture du Conseil constitutionnel va ainsi à l’encontre de la tradition civiliste de protection de la partie faible, mais qui trouve, ici, une justification dans la particularité du contrat d’assurance.

 

I. La recherche habituelle de la protection de la partie faible

 

Nombreuses sont les illustrations d’une position protectionniste de la partie faible adoptée par le législateur. C’est le cas notamment de l’obligation de mise en garde à l’établissement bancaire, dans le cadre des contrats de cautionnement, dès lors que la caution est considérée non-avertie, ou si elle adopte une position de consommatrice. Ainsi, manque à son devoir d’obligation de mise en garde, la banque qui ne prévient pas l’emprunteur d’un risque d’endettement, résultant de l’octroi du prêt, au regard de ses capacités financières.

 

La sanction du déséquilibre significatif en droit commun s’érige également dans une protection concrète de la partie faible du contrat. Consacrée à l’article 1171 du Code civil, elle prévoit que les clauses abusives, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont réputées non écrites. Il en résulte que le délai d’action dans le cas d’un déséquilibre significatif engendré par le contrat, est imprescriptible. En extradant la prescription à laquelle les victimes d’un déséquilibre significatif devaient se conformer, le législateur a cherché à favoriser le régime de réparation du préjudice subi par la partie faible du contrat.

 

Même en dehors du régime protectionniste de l’article 1171 du Code civil, le délai de prescription d’action en droit commun est de cinq ans. Ainsi, les victimes d’un préjudice subi en raison d’un manquement contractuel ou délictuel peuvent engager la responsabilité de son co-contractant (ou de l’auteur du dommage) pendant cinq ans, dont le point de départ varie en fonction de la nature du manquement (note 6).

 

Si le législateur fait preuve d’une habitude constante de recherche de protection de la partie faible dans le cadre d’un contrat, des limites – strictement encadrées - sont prévues.

 

II. Une dérogation justifiée par la particularité du contrat d’assurance

 

Lors de la décision du 17 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a jugé que le principe d’égalité prévu à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen n’interdit pas le législateur d’y prévoir des dérogations, dès lors que la « différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. »

 

Il s’agit du caractère relatif du principe d’égalité devant la loi qui est rappelé par le Conseil constitutionnel. Dans le cas de l’espèce, ce caractère relatif est traduit par la particularité du contrat d’assurance, qui justifie, ainsi, une dérogation aux dispositions de droit commun.

 

Le contrat d’assurances, à la différence des contrats soumis au droit de la consommation, a pour objet la garantie d’un risque en contrepartie du versement d’une prime ou cotisation. Or, les contrats soumis au droit de la consommation, quant à eux, se caractérisent par la livraison d’une chose, ou la prestation d’un service, en contrepartie d’un prix convenu entre les parties.

 

Ainsi, le Conseil constitutionnel décide que « la différence de traitement critiquée par les requérants, qui est ainsi fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de la loi. »

 

Le Conseil constitutionnel rappelle ainsi que la « différence de situation » n’est pas subordonnée à la position contractuelle des parties eu égard à son co-contractant, mais à la divergence de l’objet des contrats auxquels elles sont liées. Ainsi, afin de déterminer la légitimité de la différence de traitement dans le cas de l’espèce, le Conseil constitutionnel ne se fonde pas sur la potentielle équivalence de situation entre l’assuré et le consommateur. De ce fait, si l’on peut considérer que la position où se trouvent aussi bien l’assuré que le consommateur - eu égard à ses co-contractants - constitue une position de faiblesse, la divergence d’objet des contrats emporte à retenir une différence de situation entre ces deux parties.

 

Une distinction de l’objet contractuel traduit ainsi une différence de situation qui justifie une différence de traitement, et constitue ainsi une dérogation légale au principe d’égalité devant la loi. L’objet du contrat d’assurance étant ainsi distinct de celui des contrats soumis au droit de la consommation, la différence de traitement reprochée par les requérants est fondée sur une différence de situation, qui est en rapport direct avec l’objet de la loi. Il en résulte qu’aucune violation de l’article 6 DDHC ne peut être constatée.

Julia PERES DE FREITAS

Note 1 : 1 Décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973, Taxation d’office

Note 2 : Décision n° 2021-957 QPC du 17 décembre 2021

Note 3 : Article 2224 du Code civil

Note 4 : Cons. const., déc. n° 96-380 DC du 23 juillet 1996

Note 5 : idem

Note 6 : Par exemple, pour invoquer la nullité du contrat pour erreur, le point de départ consiste dans le jour où l’erreur a été découvert ; pour violence, le jour où celle-ci a cessé

Article 3
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