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Sixième numéro, Février 2021

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SOMMAIRE

DROIT D'AUTEUR : La recherche d'un équilibre entre préservation des libertés fondamentales et protection du droit d'auteur 

Depuis sa reconnaissance légale en 1791, le droit d’auteur est confronté à la problématique de la contrefaçon. S’il est primordial de protéger les droits exclusifs de l’auteur, les sanctions liées à la contrefaçon ne doivent pas méconnaître les libertés fondamentales telles que la liberté d’expression et de communication. Face à un attachement de plus en plus croissant des individus à leur liberté d’expression, le juge français a dû se positionner et mettre en balance les libertés fondamentales et la protection du droit d’auteur afin de trouver un juste équilibre.

Par Morgane SALEH

MARL :  Clauses de médiation et conciliation préalable : La liberté contractuelle au service du règlement amiable des litiges

Les clauses de conciliation préalable se trouvent aujourd’hui insérées dans de nombreux contrats, à tel point qu’elles tendent à devenir de véritables clauses de style. Cette tendance s’inscrit dans un contexte qui tend à la déjudiciarisation et à l’affirmation de l’autonomie de la volonté en matière procédurale. Cependant, elles sont assez souvent négligées lors des négociations, ce qui leur a valu le surnom de « midnight clauses ». Ainsi, eu égard au contentieux pléthorique relatif à ces clauses, cet article tâchera de dresser leurs contours sur plusieurs points clefs, afin d’éviter les écueils de rédaction.

Par Valentin ROUSSET

Le contrat d’artiste est en contrat particulier. Au fil des années, sa mise en œuvre a pu élever certains conflits entre artistes et maisons de disques dont le règlement a pu faire naître bon nombre de décisions venant clarifier le régime qui y est applicable. Aujourd’hui, la législation et la jurisprudence ont permis d’apporter des réponses claires aux zones de flou qu’entouraient ce contrat, mais encore une question mériterait une attention singulière : qui a les droits ?

MUSIQUE : Conflits entre artistes et maisons de disques : qui a les droits ? 

Droit des contrats et droit fiscal : le lien entre les deux matières ne nous vient pas de suite à l’esprit lorsque nous contractons, toutefois leurs interactions sont multiples et importantes. La fixation du prix en est un parfait exemple. En effet, à la question de savoir si le prix est librement déterminable, beaucoup répondront que oui et que dans la plupart des cas c’est le vendeur qui le fixe de manière quasiment indépendante. Or bien qu’il soit vrai que le principe de liberté́ contractuelle offre aux parties le pouvoir de fixer le prix de leur choix, le droit fiscal vient d'une part en encadrer la détermination et d'autre part en sanctionner les abus. Les sanctions d’un prix « trop bas » pouvant être très sévères, il peut s’avérer intéressant de se tourner vers l’administration avant de finaliser une convention à « tout prix »..

FISCALITE : Droit fiscal et liberté de fixation des prix dans les contrats 

Par Selma RASTODER

Par Asya CEKIC

JURISPRUDENCE : Le cas de force majeure invoqué par le créancier pour obtenir la résolution du contrat : commentaire de l’arrêt de la Cour de Cassation en date du 25 novembre 2020

Par Hugo SIGISMONDI

L’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 25 novembre 2020 fait partie de l’actualité jurisprudentielle incontournable en matière de droit des contrats, et permet de mieux appréhender les nouveaux textes issus de la réforme du 10 février 2016. Il est donc intéressant de discuter dans ce court article des considérations en jeu et des conclusions juridiques qui en découlent.

Morgane SALEH

Valentin ROUSSET

Selma RASTODER

Asya CEKIC

Hugo SIGISMONDI

Article 1

DROIT D'AUTEUR : La recherche d'un équilibre entre la préservation des libertés fondamentales et protection du droit d'auteur 

« La contrefaçon de son ouvrage est pour un auteur une honorable adversité dont son amour-propre se félicite plus sincèrement que son intérêt ne s'en plaint ».

Jean-Antoine Petit

 

Utiliser une citation pour introduire son propos, rien de plus classique. Mais alors que certains voient en cela un moyen d’expression, d’autres l’interprètent comme une exception au droit d’auteur (note 1). C’est de cette dualité que nous allons traiter, celle d’un combat entre préservation des libertés fondamentales et protection du droit d’auteur.

 

Depuis sa reconnaissance légale en 1791, le droit d’auteur est confronté à la problématique de la contrefaçon, définie par l’INPI comme « la reproduction, l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son propriétaire » (note 2). Les phénomènes d’industrialisation et de modernisation de nos sociétés ont participé à l’accroissement de cette pratique, qui n’a eu de cesse de s’imposer de par l’avènement d’un nouveau mode de communication : Internet. Les œuvres protégées étant rendues plus accessibles et plus facilement reproductibles, les atteintes au droit d’auteur se sont intensifiées, multipliées, devenant difficilement sanctionnables. Dès lors, il a été question de déterminer comment faire cesser la contrefaçon effectuée par des modes de communications que nous peinons à maîtriser tant ils sont complexes, question à laquelle plusieurs projets de loi ont tenté de répondre. Face à ces réponses, de nouvelles interrogations ont vu le jour. En effet, au-delà d’une facilitation à la contrefaçon, Internet a également participé à la montée en puissance de l’individualisme contemporain, allant de pair avec un fort attachement de chacun à ses libertés individuelles, devenues presque intouchables. Il a donc très rapidement été question de prendre en compte le respect des libertés fondamentales dans les mécanismes de protection des œuvres de l’esprit.

 

I. La position du juge français quant à la mise en balance des libertés fondamentales et du droit d’auteur

 

Internet est apparu comme l’outil de communication par excellence, permettant à toute personne possédant une connexion internet de s’exprimer librement face à un large public. Cela a eu pour conséquence d’accroître le contentieux autour de la contrefaçon, la reproduction d’œuvres protégées étant facilitée. C’est ainsi que l’on a pu assister à une banalisation des actes de contrefaçon par les utilisateurs de plates-formes qui ignorent tout, pour la plupart, des questions de droit d’auteur et ne se rendent pas compte de la portée de l’acte qu’ils commettent. Ce faisant, des actes qui paraissaient illégitimes dans le monde matériel eu égard aux règles du droit d’auteur se sont avérés être difficilement sanctionnables sur Internet. Les instances juridictionnelles ont donc dû réagir face à cette problématique, étant de plus en plus confrontées à des contentieux opposant libertés fondamentales et droit d’auteur.

 

Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a, par une décision du 10 juin 2009, affirmé l’importance des libertés de communication et d’expression (note 3). Cette décision est intervenue à l’occasion d’un recours formé à l’encontre de certaines dispositions de la loi HADOPI, faisant l’objet de vives contestations (note 4). Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur l’article 11 de la DDHC, lequel consacre la liberté de communication et d’expression.

 

Il était, en l’espèce, question de savoir si la possibilité de suspendre l’accès à Internet d’un utilisateur, en cas d’une réitération de téléchargement illégal d’œuvres protégées, portait atteinte aux libertés accordées par l’article 11 de la DDHC. Le Conseil constitutionnel aboutit à la conclusion suivante : la liberté de communication et d’expression comprend la liberté, pour les utilisateurs d’Internet, d’accéder aux services de communication au public en ligne. Le Conseil constitutionnel érige donc le libre accès à Internet en tant que liberté fondamentale en le plaçant au même niveau que la liberté d’expression et de communication. Le juge constitutionnel impose donc, par cette décision, à la HADOPI (note 5), de veiller au respect du droit d’accès à Internet des citoyens dès lors qu’elle envisagera l’application de cette sanction consistant à suspendre l’accès d’un utilisateur à internet. Il s’agit là d’imposer à la Haute Autorité en charge de la protection du droit d’auteur sur les plates-formes numériques de prendre en compte l’existence de libertés fondamentales et de veiller à leur respect dans le cadre d’éventuelles sanctions pour violation du droit d’auteur. Peu important les motivations justifiant le choix du juge, il apparaît évident que la protection du droit d’auteur est subordonnée à la prise en compte des libertés fondamentales en droit français.

 

Ce ne fut pas la dernière fois que le juge français se prononcera en faveur de la prise en compte des libertés fondamentales en matière de contrefaçon. Le 15 mai 2015, à l’occasion de l’arrêt Klasen (note 6), la Cour de cassation a réaffirmé l’exigence pour les juges du fond d’appréciation proportionnelle de l’équilibre entre la sanction de la contrefaçon et la préservation des libertés fondamentales avant de prononcer une sanction. Il était en l’espèce question d’apprécier l’acte de contrefaçon au regard de la liberté d’expression consacrée à l’article 10 de la CEDH. Dans cette affaire, la Cour a sanctionné les juges du fond en ce qu’ils n’avaient pas procédé à ce travail d’appréciation de proportionnalité entre la sanction pour contrefaçon d’une part et l’atteinte à la liberté d’expression induite par cette sanction d’autre part. Ainsi, la Cour de cassation confère aux juges du fond un rôle d’arbitre dans les cas de mise en balance des droits d’auteur et libertés fondamentales.

 

Ces décisions tendent-elles à faire entrer les libertés fondamentales dans le champ des exceptions légales au droit d’auteur? Sans qu’il soit besoin d’aller aussi loin, il est évident que le juge français place les atteintes au droit d’auteur sous le contrôle du respect des libertés fondamentales, à travers une exigence de contrôle de proportionnalité. En aucun cas le juge impose la primauté des libertés fondamentales sur le droit d’auteur. Une chose est sûre, il existe une interdiction de sanctionner une atteinte au droit d’auteur au détriment d’une liberté fondamentale.

 

Les mesures visant à protéger le droit d’auteur doivent donc prendre en compte l’exigence de contrôle de proportionnalité exigée par le juge français, afin de recevoir une application effective en pratique. Le 17 avril 2019 a été adoptée la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (note 7). Il est alors intéressant de se pencher sur les choix des parlementaires européens quant aux mesures visant une meilleure protection des œuvres protégées sur Internet. Sont-elles respectueuses des libertés fondamentales? À défaut, serait-ce le signe de l’inefficacité des mesures européennes?

 

II. L’enjeu des dispositions de la directive européenne 2019/790 face à l’exigence de proportionnalité

 

Le but de ce projet de directive était de permettre une meilleure rétribution de l’auteur (note 8), par un contrôle plus important de l’utilisation en ligne des œuvres protégées, impliquant de facto une plus grande restriction à la liberté de communication et d’expression des utilisateurs. Cette directive a vivement été critiquée en raison notamment des moyens mis en œuvre afin de satisfaire une meilleure protection du droit d’auteur dans le marché numérique (note 9). Il était principalement question du contrôle de l’utilisation d’œuvres protégées par des moyens trop aléatoires, rendant précaire la position des utilisateurs des plateformes, notamment dans leur possibilité de s’exprimer librement.

 

À ce titre, l’article 17 de la directive a fait l’objet de nombreuses contestations (note 10). Il impose aux plates-formes d’obtenir l’accord des ayants droit pour la diffusion de leurs œuvres, le but étant de permettre une juste rémunération des auteurs en cas d’utilisation illégale d’une œuvre protégée. À défaut, leur responsabilité pourra être engagée si un utilisateur diffuse l’œuvre protégée, sauf à ce qu’elles démontrent qu’un sérieux effort d’obtention de l’accord a été mené, que tout a été fait pour supprimer l’œuvre après avoir été mis au courant de sa publication et de son caractère litigieux et qu’ont été mis en place des mécanismes pour empêcher ces œuvres d’être publiées de manière préventive et a posteriori. De ces exigences, sont nées des inquiétudes. Beaucoup ont vu en cet article une exigence de filtrage préventif de contenu, implicitement imposée par la directive européenne, restreignant à l’upload la faculté pour les utilisateurs de publier du contenu (note11). La directive incite de ce fait les plates-formes à se munir d’algorithmes programmés pour censurer automatiquement des vidéos reprenant des œuvres non-libres de droit. La lettre même de l’article 17 n’impose en rien la mise en place de ce contrôle a priori. Il est néanmoins très incitatif. Les plates-formes auront tout intérêt à mettre en place des algorithmes détectant la moindre utilisation non autorisée d’œuvres protégées afin de ne jamais voir leur responsabilité engagée sous couvert d’avoir mis en œuvre tous les moyens possibles pour éviter de tels évènements.

 

Cet article pose donc problème à plusieurs niveaux. Tout d’abord, une limitation préventive des publications sur Internet semble être une solution excessive dans un système prônant le juste équilibre entre liberté de communication et protection du droit d’auteur. Une telle mesure tend à donner l’avantage à la protection du droit d’auteur. Mais encore, et c’est un argument largement avancé par les opposants à cette directive, les algorithmes ne seront-ils pas trompés lorsqu’il s’agira de contrôler une œuvre parodique, faisant partie des exceptions légales au droit d’auteur (note 12)? Comment cet algorithme pourra-t-il faire la différence entre parodie et reproduction illégale de l’œuvre? Cela revient à s’interroger sur la fiabilité des algorithmes et leur aptitude à prendre en compte des nuances avec lesquelles les humains ont l’habitude de composer (note 13). Le fait qu’un tel filtrage puisse, potentiellement, ne pas faire la distinction entre usage licite et illicite d’œuvres tend à déséquilibrer d’avantage la balance faite entre liberté d’expression et protection du droit d’auteur. Cet article semble donc faire défaut à l’exigence de proportionnalité et de juste équilibre requise par le juge français ou tout du moins n’y répond pas complètement

 

Chaque utilisateur pourra contester la suppression de publications en ligne devant les juridictions étatiques. Il s’agira alors de s’intéresser à l’appréciation du juge à l’occasion des recours formés pour atteinte aux droit fondamentaux face à l’application de l’article 17, compte tenu de l’exigence de proportionnalité et de juste équilibre requis par la justice française. De sorte que, si le juge fait le choix d’une application stricte du contrôle de proportionnalité, ce qui semble probable eu égard à la jurisprudence antérieure, l’article 17 serait privé de sa substance, rendant cette mesure inefficace.

 

L’enjeu tient dans le fait de mettre en place des mesures protectrices des œuvres de l’esprit et respectueuses des droits et libertés fondamentales, sous peine d’être inefficaces, voire inapplicables au regard du contrôle de proportionnalité imposé par le juge français. Les libertés fondamentales s’érigent en une nouvelle exception au droit d’auteur, constituant une limite quant à l’étendu que peuvent revêtir les mesures ayant vocation à protéger les œuvres originales.

Note 1 : L’exception de citation fait partie des exceptions légales au droit d’auteur (article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle). Dans le cadre de cet article, nous allons traiter de la contrefaçon qui ne doit pas être confondue avec les exceptions permises par le législateur. La contrefaçon est, par définition, une utilisation illégale d’œuvres protégées.

Note 2 : https://www.inpi.fr/fr/valoriser-vos-actifs/faire-face-la-contrefacon/quest-ce-quune-contrefacon

Note 3 : https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2009-580-dc-du-10-juin-2009-communique-de-presse

Note 4 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000020735432/

Note 5 : Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet

Note 6 : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000030600576/

Note 7 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019L0790&from=EN

Note 8 : Les parlementaires européens ont cherché à mettre en œuvre des mesures permettant une meilleure protection des droits moraux et patrimoniaux des auteurs d’œuvres protégées sur les plates-formes numériques telles que Google news, Facebook, Youtube, etc. Le but étant de permettre aux auteurs d’être rémunérés dès lors qu’une de leurs œuvres est utilisée et mise en ligne par un utilisateur qui ne dispose pas des droits pour le faire.

Note 9 : https://www.nextinpact.com/article/29607/108144-directive-droit-dauteur-pologne-attaque-larticle-17-sur-fond-liberte-dexpression

Note 10 : https://aturquoise.com/blog/inquietudes-des-ayants-droit-au-sujet-de-la-transposition-de-larticle-17-de-la-directive-droit-dauteur

Note 11 : https://www.nextinpact.com/article/29012/107399-pourquoi-directive-droit-dauteur-peut-aboutir-a-filtrage-upload

Note 12 : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037388886/2018-09-07

Note 13 : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/09/22/apres-avoir-favorise-les-algorithmes-pour-moderer-les-contenus-youtube-fait-marche-arriere_6053181_4408996.html

Morgane SALEH

Article 2

CLAUSES DE MEDIATION ET CONCILIATION PREALABLE : La liberté contractuelle au service du règlement amiable des litiges

      « Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ». Cette invective lancée par Balzac à un magistrat de son époque démontre à elle seule le caractère ancien des réflexions tendant à remettre en question la légitimité et la compétence du juge pour résoudre les litiges. C’est ainsi que depuis longtemps, de nombreuses voix se sont élevées pour promouvoir le règlement amiable des litiges. Un mouvement qui s’est considérablement accéléré depuis les années 1990 en se fondant sur la technique contractuelle. Les clauses de conciliation et de médiation préalable se trouvent aujourd’hui insérées dans de nombreux contrats, à tel point qu’elles tendent à devenir de véritables clauses de style. Cette tendance s’inscrit dans un contexte qui tend de plus en plus à la déjudiciarisation et à l’affirmation de l’autonomie de la volonté en matière procédurale.

 

Il est d’usage de désigner par clauses de conciliation, toutes les stipulations contractuelles organisant le règlement amiable du litige sous l’égide d’un tiers. Il faut toutefois effectuer une distinction entre les clauses de médiation et de conciliation préalable, bien que sans incidence sur le régime applicable. Elle se fonde sur un critère personnel : l’identité du tiers accompagnant et organisant le règlement amiable du litige. Si ce dernier est un conciliateur de justice, la clause sera une clause de conciliation préalable. A défaut, il sera utilisé plus rigoureusement le terme de médiation. Cela dit, ces clauses sont généralement désignées dans la pratique par le terme générique de « clause de conciliation préalable » et seront donc ici envisagées comme une seule et unique catégorie de stipulation contractuelle.

 

Eu égard au contentieux pléthorique relatif à ces clauses, cet article tâchera de dresser leurs contours sur plusieurs points clefs, afin d’éviter les écueils de rédaction.

 

I. Du régime des clauses de conciliation préalable

 

Avant toute chose, il faut considérer que ces clauses sont, en principe, parfaitement valables, en dehors du droit de la consommation qui se borne toujours à les interdire (note 1).

 

S’agissant de leur régime, le Code de procédure civile donne des précisions sur la qualité du tiers intervenant, en ses articles 1532 à 1535. C’est ainsi que le tiers médiateur ou conciliateur peut être une personne physique ou morale, n’ayant pas fait l’objet de condamnations pénales, mais il ne sera pas nécessaire, contrairement à la médiation judiciaire, de démontrer une quelconque expertise ou formation à la médiation. En dehors de ces prévisions, le Code reste muet et c’est la Jurisprudence qui a peu à peu dessiné les contours du régime de ces clauses.

 

Il est marqué par plusieurs aspects essentiels relativement à leur mise en œuvre. Il faut, en premier lieu, considérer que ces dernières n’imposent aux parties qu’une seule obligation de moyens, si bien que celles-ci ne seront pas obligées de parvenir à un accord. Néanmoins, le déroulement de la procédure supposera d’y prendre part de bonne foi, car à défaut les clauses ne sauraient porter leurs fruits. En second lieu, la mise en œuvre de ces clauses conduit à la suspension du délai de prescription de l’action (note 2), ce qui encourage leur stipulation et contribue à leur pleine efficacité.

 

Aussi, relativement à cette effectivité, elles ont longtemps été dépourvues de toute sanction. Mais, par deux célèbres arrêts rendus en chambre mixte le 14 février 2003, la Cour de cassation a choisi de les assortir d’une vigoureuse sanction sur le terrain de l’irrecevabilité. Dès lors, en cas de non-respect de la clause, le requérant se verra opposer une fin de non-recevoir. Ce choix n’est pas anodin et témoigne d’une volonté de leur conférer une grande efficacité, peut-être en dépit de la logique puisqu’elles sont, dès lors, invocables à toute hauteur de procédure, et donc même en appel. Certains relèveront alors qu’il aurait été plus cohérent de les sanctionner par une exception de procédure, nécessairement invoquée in limine litis, tant la différenciation des sanctions des diverses clauses portant sur la procédure ne trouve pas d’explication rationnelle. Comment justifier que les clauses attributives de juridiction soient des exceptions de procédure, alors que les clauses de médiation peuvent être soulevées en tout état de cause par une fin de non-recevoir ? Toujours est-il que cette sanction donne à ces dernières une portée considérable.

 

L’effectivité de ces clauses trouve, cependant, quelques limites qu’il convient de soulever. D’abord, il est entendu que la fin de non-recevoir ne peut être invoquée par la partie qui a renoncé au bénéfice de la clause de médiation. Aussi la jurisprudence a-t-elle pu considérer qu’en droit du travail la violation d’une clause de conciliation n’empêchait pas de saisir le juge (note 3). Cette limite intervient sur le terrain d’un contrat déséquilibré, en allant toutefois moins loin que le droit de la consommation dans l’entrave à ces clauses. L’aménagement se justifie cependant, au-delà de la nature du contrat, par l’existence d’une procédure de conciliation obligatoire au Conseil de prud’hommes, devant le Bureau de conciliation et d’orientation.

 

Enfin, il n’est pas superflu de préciser que le défaut de mise en œuvre d’une clause de médiation n’est pas susceptible d’être régularisé par sa mise en œuvre en cours d’instance (note 4). C’est ainsi qu’il faudra prêter une particulière attention au contrat pour rechercher l’existence d’une telle clause car une fois le juge saisi il sera déjà trop tard. Leur mise en œuvre est donc fondamentale et, à défaut, le défendeur se prévalant de la clause pourra invoquer une fin de non-recevoir, qui pourra, au surplus, être accompagnée de dommages-intérêts si la manœuvre s’avère dilatoire (note 5).

 

Le régime de ces clauses étant précisé, il faut à présent s’intéresser à leur rédaction.

 

II. De la pratique des clauses de conciliation préalable

 

Sur le contenu de ces clauses, plusieurs points sont à préciser aux fins d’une bonne rédaction. Le contentieux ayant été nourri par des clauses maladroites, voire dépourvues de réel contenu, il semble aujourd’hui se dégager les caractères d’une clause efficiente.

 

En effet, la clause de conciliation ou de médiation préalable se doit avant tout d’être précise, non équivoque et expresse. Au-delà du rejet d’une conciliation obligatoire tacite ou ambigüe, l’exigence de précision de la clause est particulièrement importante. Elle a, toutefois, fait l’objet de certaines divergences entre la chambre commerciale et la troisième chambre civile dans son appréciation (note 6). La position de la chambre commerciale tenait à subordonner leur qualification de clause de conciliation préalable et obligatoire à la présence de « conditions particulières de mise en œuvre », tandis que la troisième chambre civile se montrait très souple dans l’appréciation de telles clauses. Depuis, la chambre commerciale s’est quelque peu ralliée à la position de la troisième chambre civile, en nuançant cette exigence de précision de la procédure par le biais d’une appréciation plus souple. Ainsi, la clause devra être suffisamment précise, sans pour autant devoir être d’une lourdeur contraignante. Cette exigence sera aisément satisfaite en établissant les modalités de désignation du tiers (note 7). Il reste dans l’intérêt des parties de prévoir une clause sur mesure avec une procédure détaillée, aux fins d’une médiation efficiente.

 

Aussi est-il judicieux de prévoir dans la clause que la procédure amiable devra être conduite conformément aux règles d’un organisme professionnel indépendant. A titre d’exemple, il pourra être désigné le règlement du centre de médiation et d'arbitrage de la Chambre de commerce de Paris (CMAP).

 

Enfin, il est opportun de prévoir au sein de la clause l’identité du médiateur ou du conciliateur et à défaut son mode de désignation. Plus encore, il est utile de stipuler la charge des frais de médiation au sein de la clause. À ce titre, les parties optent le plus souvent, à bon droit, pour une répartition égalitaire. La rémunération du médiateur peut aussi être envisagée par la clause, quoique succinctement car elle résultera le plus souvent de la convention conclue avec le tiers. Il demeure possible de prévoir une médiation par un tiers non rémunéré dans l’hypothèse où les moyens d’une partie rendraient cette stipulation utile. Cela reste, cependant, circonscrit dans de rares hypothèses où le tiers ne cherche pas à se rémunérer. Ainsi, il est une nouvelle fois laissé une grande place à la liberté contractuelle.

Pour illustrer ce propos, vous trouverez ci-dessous un modèle de clause de médiation désignant à cet effet une personne physique :

 

« Article X : Médiation

X.1. En cas de survenance d'un différend à propos du présent contrat, les parties tenteront de le résoudre à l'amiable.

En cas d'échec, les parties s’obligent à recourir à une procédure de médiation avant toute saisine d’une juridiction étatique ou de l’arbitre. Cette procédure sera soumise à la médiation de Me ..., domicilié au... (ci-après désigné comme le « médiateur »), sur saisine de la partie la plus diligente. Il disposera d’un délai de … mois pour mener à bien sa mission. D’un commun accord, les parties pourront décider de proroger le délai susvisé.

Si le médiateur ne peut pas mener à bien cette mission, le différend sera soumis à la médiation de Me ..., domicilié au…, désigné en qualité de « médiateur suppléant ».

 

X.2. Devant le médiateur, les parties s’engagent à collaborer de bonne foi pour la réussite de ladite procédure.

 

X.3. La mission du médiateur consiste dans l’assistance des parties afin qu’elles règlent le différend amiablement. À cette fin, il entendra chaque partie et toute personne dont il estimerait nécessaire de recueillir les observations. Le médiateur pourra aussi exiger la communication de tout document opportun et sera, dans ce cadre, soumis à un strict secret. Il exercera ladite mission conformément au Règlement du centre de médiation et d'arbitrage de la Chambre de commerce de Paris (CMAP).

Les parties pourront se faire représenter devant le médiateur par toute personne de leur choix.

 

X.4. La médiation prendra fin dès que le médiateur aura communiqué aux parties une proposition de règlement du litige, qui exposera également de manière détaillée les diligences accomplies au cours de la procédure et les difficultés qui auront pu être rencontrées.

La médiation pourra, également, prendre fin d’un commun accord des parties ou à la demande d'une seule d’entre elles si l'autre partie ne se présente pas ou ne se fait pas représenter devant le médiateur à la suite d’une convocation qui lui aura été dûment adressée.

La proposition de règlement du litige établie par le médiateur ne vaudra accord des parties que si celles-ci la signent. A défaut de recueillir l’assentiment des parties à la solution retenue, le litige pourra être porté devant le juge ou l’arbitre compétent sur saisine de la partie la plus diligente. Le cas échéant, il ne sera possible de produire devant le juge ou l’arbitre la proposition de règlement du litige et les observations adjointes sans l’accord exprès des deux parties.

 

X.5. Les honoraires du médiateur seront établis par convention ultérieure et, en tout état de cause, répartis par moitié entre les parties. »

 

Pour conclure, si les clauses de médiation et de conciliation préalable ont été dotées d’une grande efficacité par la Cour de cassation, il faudra être minutieux dans leur rédaction afin de leur donner, non seulement un réel contenu, mais aussi de les rendre efficientes.

 

Ainsi, si elles présentent de grands avantages relatifs au désengorgement des tribunaux et à leur efficacité, la pacification du contentieux qu’elles opèrent demeure à nuancer. Il est possible de s’interroger sur la réalité de cette prétendue pacification dans la mesure où leur effectivité conduit à imposer le règlement amiable pour tous les litiges résultant du contrat, en dépit de la véritable volonté, au moment du litige, d’un cocontractant. L’authentique conciliation ne résiderait-elle pas uniquement dans les accords amiables lors de la survenance du litige ? En somme, est-ce que l’efficacité de ces clauses ne serait-elle pas devenue le vrai problème, si ce n’est le danger de celles-ci ? Ce sont des questions qui méritent d’être soulevées et dont les réponses permettront sûrement de déterminer quels rapports contractuels veut-on fonder pour l’avenir. Si leur stipulation est bénéfique à bien des égards, les utiliser comme des clauses de style ne l’est peut-être pas. Le droit à l’accès à la justice (note 8) devrait prochainement, lui aussi, devenir un prisme d’analyse de ces clauses.

Valentin ROUSSET

Note 1 : Code de la consommation, Art. L.612-4 ;

Note 2 : Cass. ch. mixte 14 février 2003, n° 00-19.423 et 00-19.424 ;

Note 3 : Cass, soc, 5 décembre 2012, n° 11-20.004 ;

Note 4 : Cass. ch. Mixte, 12 décembre 2014, n° 13-19.684 ;

Note 5 : Code de procédure civile, Art. 123 ;

Note 6 : Cass, com, 29 avril 2014, n°12-27.004 ; Cass, Civ 3ème, 19 mai 2016, n°15-14.464 ;

Note 7 : Cass. com. 19 juin 2019, n° 17-28.804 ;

Note 8 : Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, Art. 6.

Article 3

Note 1 : Thèse de Jean-Yves Chabanne, 1999, Liberté contractuelle et le droit fiscal

Note 2 : Hors cas de rescision pour lésion en matière immobilière

Note 3 : L’article 1102 du Code civil issu de la réforme du droit des contrats dispose que : « chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. »

Note 4 : Liberté laissée aux contribuables dans la gestion de leurs affaires notamment d’emprunter la voie fiscalement la moins onéreuse ( (CE, 8e et 9e ss-sect., 20 mars 1989, n° 56087, Sté Malet Matériaux : sur le choix de procéder à un apport en capital suivi d’une réduction plutôt qu’à un abandon de créance taxable).

Note 5 : COZIAN (M), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, Op. cit. P22

Note 6 : L’article 1102 du Code civil : « (..) La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public »

Note 7 : OZIAN (M) : Crime et châtiment : Fulminations fiscales contre les dessous-de-table en cas de vente d'immeuble ou de fonds de commerce : article exposant les fortes sanctions à l’encontre des dessous-de-table

Note 8 : L’article 1102 du Code civil : « (..) La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public »

Note 9 : Article 64 du Livre des Procédures fiscales (LPF) prévoit la procédure de l’abus de droit fiscal

Note 10 : Article L17 du Livre des Procédures fiscales (LPF) prévoit la rectification des prix ou évaluations

Note 11 : Dans le cadre des droits d’enregistrements, taxe de publicité foncière ou TVA

Note 12 : Arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 18 mars 2019, n° 17/02187 : « celle qui est faite sous l’apparence d’un contrat à titre onéreux. Si juridiquement l’opération est régulière, l’administration a la faculté d’établir le véritable caractère de l’acte. Parmi les circonstances permettant de caractériser une donation déguisée figure la stipulation d’un prix dérisoire »

Note 13 : Définition du rescrit fiscal : pouvant être général ou porter sur une situation spéciale (comme par exemple l’abus de droit ou les prix de transferts) , le rescrit permet de poser une question à l’administration sur une situation pour laquelle on doute de la validité au regard d’un texte fiscal.  La réponse de l’administration l’engage et limite de facto son droit de remettre en cause la situation fiscale du demandeur.

Note 14 : Sanction en droit civil de l’absence de contrepartie sérieuse : le contrat encourt la nullité (1169 Code civil) / Sanction de la contrepartie simulée : Civ 31 mai 1858 prévoit que l’acte n’encourt pas la nullité, par principe, mais qu’il sera requalifié

Note 15 : Arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 18 mars 2019, n° 17/02187 : Plusieurs cessions de titres sont consenties au prix d’un euro symbolique au dirigeant d’un groupe de sociétés par son père, quelques jours à peine avant son décès. Assimilées à des donations déguisées, elles font l’objet d’un redressement mis en œuvre par l’administration fiscale sur le fondement de l’abus de droit

Note 16 : Article 1729 b et c du CGI : b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; elle est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire ; c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du prix stipulé dans un contrat ou en cas d'application de l'article 792 bis.

Note 17 : Citation tirée du Bulletin officiel des impôts du 02.08.2019 / BOI-CF-IOR-30

DROIT FISCAL ET LIBERTÉ DE FIXATION DES PRIX DANS LES CONTRATS

« Aujourd'hui, le contrat n'apparaît plus comme un monde fermé, hermétiquement clos. On ne peut le présenter abstraction faîte de l'environnement juridique dans lequel il se développe. Il ne peut se soustraire à l'omniprésence de la fiscalité : elle constitue un de ses milieux juridiques d'accueil. Alors que l'un et l'autre sont le champ d'investigations distinctes, ils se côtoient intimement dans la pratique » (note 1).

 

On peut affirmer que le contrat n’est jamais étranger à la fiscalité. La matière fiscale est inévitablement intéressée par les conséquences qui découlent d’une convention, puisqu’elle va venir en appréhender les fruits. Réciproquement, la matière contractuelle est conditionnée par des enjeux fiscaux qui doivent être envisagés dès la phase de négociation.

 

En effet, acheteur comme vendeur, du fait de leur conventions, se retrouveront potentiellement débiteurs du Trésor public. Lorsque le vendeur réalise une plus-value, celle-ci fera, sous certaines conditions, l’objet d’une imposition différente selon qu’elle porte sur la cession d’un bien mobilier ou immobilier. De même, selon la nature de son achat, l’acheteur sera redevable de divers impôts tels la TVA, ou droit d’enregistrement. Il faut aussi garder à l’idée que selon le caractère onéreux ou gratuit de la cession s’appliqueront différents régimes d’imposition. Le montant de l’impôt dû sera, selon le prix fixé dans la convention, plus ou moins important.

 

Étant donné que le prix est en partie constitutif de l’assiette de l’imposition, il pourrait y avoir un intérêt à le réduire. Afin d’illustrer le propos, nous pouvons prendre l’exemple suivant : dans l’hypothèse d’une cession privée d’un bien immobilier, on peut être imposé sur la plus-value. Le taux d’imposition applicable sera en théorie de 19% + 17,2% mais au-delà d’une plus-value de 50 000euros, s’ajoutera à cela une taxe supplémentaire « la taxe des plus-values immobilières élevées ». Le vendeur aura intérêt à faire attention, s’il est à la limite de ce montant, de limiter le plafond de son prix afin de ne pas être assujetti à cette taxe supplémentaire.

 

Finalement, selon le type de contrat et ses caractéristiques, notamment en rapport au prix, divers régimes fiscaux pourront être applicables. Par conséquent, le prix apparaît comme un outil contractuel permettant aux parties de réduire le montant de l’imposition due et donc corrélativement de réduire le coût de la transaction.

 

LE PRIX EST-IL LIBREMENT DETERMINE PAR LES PARTIES AU CONTRAT ?

 

Bien que conformément au principe de liberté contractuelle, le prix n’a en principe (note 2) ni à être juste ni à être équilibré, il ne peut pour autant être dérisoire ou fictif au risque d’être sanctionné par le droit fiscal.

 

I. L'encadrement des prix en droit fiscal

La liberté en matière contractuelle permet a priori de fixer librement le prix. Toutefois la réalité est telle que les parties doivent veiller à ne pas tomber dans l’abus de droit. Il est possible d’éviter ce type de contentieux en réalisant un rescrit auprès de l’administration.

 

      La liberté de fixation des prix dans les contrats

 

Le droit des contrats français est guidé par le principe majeur de la liberté contractuelle. (note 3) Ce principe offre une grande liberté aux parties notamment dans la détermination de la forme du contrat, du contenu et donc du prix.

Pour rappel, le prix n’a pas à être juste ou équilibré pour être valide. L’article 1168 prévoit que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat à moins que la loi n’en dispose autrement ».

 

Ce principe trouve son corollaire en droit fiscal dans la liberté des choix fiscaux autorisant le contribuable à opter pour la solution qui lui est fiscalement la plus favorable (note 4).  Maurice Cozian parlait, à ce propos, d’un « jeu subtil d’option » (note 5)

 

Cette liberté de choix peut pousser les contractant à rechercher le montage contractuel le plus avantageux fiscalement. Il arrive parfois que les parties, afin de transférer un bien gratuitement, organisent une « vente déguisée » permettant d’échapper aux droits d’enregistrement en matière de donation. En effet, le régime des droits d’enregistrement en matière de donation peut s’avérer beaucoup plus conséquent que celui des droits d’enregistrement en matière de vente. Par exemple, le taux d’imposition au titre des droits de mutation dans le cadre d’une donation entre personnes non parentes est de 60% de la valeur vénale du bien. La conclusion d’un contrat de vente peut alors s’avérer plus intéressante fiscalement que la réalisation d’un acte de donation.

 

Ceci étant dit et partant de l’exemple exposé ci-dessus, nous pouvons  être tentés d’utiliser les outils contractuels à notre disposition afin d’éluder le montant de l’imposition dû voire d’y échapper complètement. On pourrait aussi prévoir la vente d’un bien immobilier à un prix contractuellement bas, assortie d’un complément versé en « dessous-de-table ». Attention toutefois, ces comportements sont en principe frauduleux et donc fortement réprimés.

 

                       

      L’encadrement de la liberté de fixation des prix dans les contrats

 

Il existe des limites à la liberté contractuelle, au sein du Code civil (note 6),  mais aussi en droit fiscal. Il est nécessaire d’être conscient que ces pratiques sont assorties de fortes sanctions (note 7). 

 

La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public (note 8) et l’abus de droit fiscal peut être constitué si le contrat est réalisé dans l’unique but de contourner la loi fiscale et de faire bénéficier au contribuable d’un avantage fiscal indu (note 9).

 

En effet, puisque c’est la valeur vénale du bien, à savoir la valeur du marché, qui sert de base de calcul de l’imposition, toute manœuvre sur le prix qui viendrait baisser cette valeur pourrait être considérée comme abusive. Il est prévu (note 10) que l’administration puisse, dans le cadre des certains impôts (note 11), rectifier le prix du bien ayant servi de base pour le calcul de ces impôts. Le prix qui apparaîtrait  inférieur à la valeur vénale réelle des biens transmis, sur le fondement de l’acte anormal de gestion ou de la théorie de l’abus de droit fiscal, pourrait être revu à la hausse.

 

La théorie de l’abus de droit fiscal peut être constituée par simulation. La simulation repose sur un acte fictif,  c’est par exemple le cas de la donation déguisée.  En ce sens, dans un arrêt du 18 mars 2019 (note 12), il a été rappelé par la Cour d’appel de Paris que la donation déguisée peut être caractérisée par la stipulation d’un prix dérisoire.

 

      La possible interrogation de l’Administration sur la validité des prix : les rescrits

 

En cas de doute sur la fixation du prix il est possible de consulter l’administration par la formulation d’un rescrit fiscal (note 13). Ce rescrit permet de lever le flou qui règne et ainsi de pallier une situation d’insécurité juridique.

 

L’administration fiscale peut, dans ce cadre, valider le prix que l’on pense être proche de la valeur du marché mais elle est aussi tout à fait libre de fixer un prix un autre prix qu’elle considère, elle, comme étant la vraie valeur vénale.

 

Si l’administration valide le prix dans le cadre du rescrit, il est garanti au contribuable qu’il ne se verra pas reprocher sa politique de fixation du prix. En ce sens, ce mécanisme opère à une véritable purge des risques.

 

 

II. La répression des prix fictifs ou dérisoires en droit fiscal 

 

       Des sanctions sévères face à des prix dérisoires ou donations déguisées

 

Outre les sanctions du droit civil (note 14), le droit fiscal prévoit de sévères sanctions en la matière.  Un prix dérisoire ou encore la qualification frauduleuse de l’acte établi par les parties peuvent être considérés comme inopposable à l’administration. Le fisc a alors le pouvoir de restituer la véritable situation afin d’imposer le contribuable à cette hauteur (note 15). De plus, en cas de qualification d’abus de droit, une sanction fiscale consistant en une majoration (note 16) de 80% du montant de l’imposition que le montage a permis d’éluder, assortie des intérêts et pénalités de retard, peut-être requise par l’administration.

 

Généralement, la procédure lancée par un vérificateur avec l’accord de son supérieur hiérarchique mène à l’avis du Comité de l’abus de droit fiscal que l’administration sera libre de suivre ou non. Toutefois, il faut rappeler que la mise en cause de la sincérité des actes ou conventions conclues par les contribuables ne peut que revêtir un caractère exceptionnel (note 17).

 

Finalement, il conviendra de bien avoir à l’esprit, lors de la conclusion d’un contrat, que le prix fixé doit l’être d’une part en conformité avec le droit civil et d’autre part en harmonie avec les règles fiscales.

 

Par conséquent, dans le cadre d’une opération contractuelle importante, il peut être intéressant de se tourner vers le rescrit fiscal afin de valider la conformité du montage juridique envisagé et d’éviter des conséquences économiques pouvant être désastreuses.

 

NB : de par la richesse, diversité et complexité de la matière fiscale, cet article n’a pas pour prétention d’être exhaustif. Il n’épuise pas l’intégralité des problématiques liées à la liberté de fixation du prix en fiscalité et n’est somme toute qu’une introduction sur un thème porteur d’enjeux considérables.

Selma RASTODER

ARTICLE 4

Asya CEKIC

Note 1 : Article L.7121-3 du Code du travail

Note 2 : Cass. Soc., 20 déc. 2006, n°05-43.057, J. Ph. Smet dit Johnny Hallyday c/ Sté Universal Music

Note 3 : Cass. Soc., 10 juill. 2002, n°00-45.135

Note 4 : Cass. 1re civ., 5 juill. 2006, n° 05-10463, aff. Guesh Patti

Note 5 : Cass. Soc., 21 juin 2004, n°02-43.793

MUSIQUE ; Conflits entre artistes et maisons de disques : qui a les droits ? 

Patrick Bruel a, en 1991, posé une question à tous ses auditeurs :  Qui a le droit ? Nous pourrions utiliser cette même question, sur la même mélodie, en ce qui concerne la rupture d’un contrat d’artiste avec une maison de disques. Dans un tel cas de figure toutefois, le pluriel s’impose : qui a les droits ? Quel est le régime juridique applicable à ce contrat si polyvalent qu’est le contrat d’artiste ?

 

Récemment, certains évènements du monde musical ont fait beaucoup de bruit. En effet, certains artistes, comme Freeze Corleone cette année, ou Taylor Swift en 2019, ont rompu leur contrat d’artiste, ou se sont vu imposer une telle rupture. Pour des raisons variées, cette rupture de contrat, qui semble simple, est un cas complexe qu’il est utile d’étudier. La rupture d’un tel contrat emporte des effets si importants pour la vie de l’artiste, mais également pour la notoriété de la maison de disques, qu’il faut l’envisager avec précaution, dès le commencement de la relation contractuelle. Alors, le contrat d’enregistrement, ou le contrat d’artiste, est-il soumis à une règlementation particulière, notamment en ce qui concerne sa rupture ?

 

Il est essentiel de comprendre comment sont appréhendés les artistes-interprètes par la loi pour régler la question des contrats auxquels ils sont soumis. Deux droits se croisent ici, faisant ainsi la particularité du contrat d’enregistrement, mais également du statut d’artiste-interprète. D’abord, l’article L.212-1 du Code de la propriété intellectuelle nous indique qu’à l’exclusion de l’artiste de complément, l’artiste-interprète ou exécutant, est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière, une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de risque ou de marionnettes. Par ailleurs, exercer la profession d’artiste-interprète donne lieu à un certain nombre de droits tels que l’assurance chômage, la sécurité sociale, les congés, mais aussi la retraite. Alors, en parallèle au code de la propriété intellectuelle, on imagine que le code du travail trouve aussi à s’appliquer. Comment est donc gérée cette dualité pendant, mais surtout après la relation contractuelle ?

 

I. La gestion de la relation contractuelle entre l’artiste-interprète et la maison de disques

 

La gestion de la relation contractuelle entre l’artiste-interprète et la maison de disques soulève plusieurs questions, tant concernant l’articulation des dispositions du code du travail et du code de la propriété intellectuelle pour ériger le contrat d’enregistrement, que concernant le régime applicable aux œuvres produites.

 

            A. L’articulation des dispositions du droit du travail et de la propriété intellectuelle dans la relation contractuelle

 

En ce qui concerne l’aspect social du contrat d’enregistrement, l’article L.7121-1 du Code du travail indique que « les artistes du spectacle sont soumis au présent code ». Nous comprenons donc que le code du travail s’applique bel et bien. L’article L.7121-2 du même code ajoute ainsi une liste des artistes qualifiés d’artistes du « spectacle » : nous pouvons trouver dans cette liste limitative le musicien, mais également le chansonnier par exemple. Lorsqu’à l’égard de l’un des artistes cités par l’article L.7121-2 du Code du travail est conclu un contrat, le code du travail dispose qu’une présomption de contrat de travail est créée (Note 1). Ainsi, tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail. Cette présomption, rappelée par le code du travail, subsiste « quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties ». L’article L.7121-4 du même code rappelle d’ailleurs que la présomption subsiste, même s’il est prouvé que l’artiste conserve la liberté d’expression de son art, qu’il est propriétaire de tout ou partie du matériel utilisé ou qu’il emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder. Comment, dès lors, articuler ces dispositions avec le droit de la propriété intellectuelle ?

 

La réponse reste simple en pratique, même si cela semble contrevenir à l’essence même de ce qu’ est un artiste. Dès lors, un contrat de travail, appelé « contrat d’enregistrement », parfois « contrat d’artiste », est parallèlement conclu en même temps qu’une cession de droits voisins. La combinaison des dispositions du code du travail avec un contrat de cession de droits voisins génère ainsi un contrat d’enregistrement, soumis aux deux règlementations. C’est alors ici que se croisent les deux droits différents : les droits du travail et de la propriété intellectuelle. La clause insérée dans le contrat de travail par laquelle l’artiste va autoriser expressément son producteur à fixer son interprétation et à la communiquer au public va permettre l’intégration de la législation portant sur la propriété intellectuelle. Il faut tout de même porter une certaine attention ici, puisque les deux aspects du contrat sont indépendants. Cela signifie donc que la seule conclusion du contrat de travail ne permet pas au producteur d’exploiter les enregistrements d’après l’article L.212-10 du Code de propriété intellectuelle. Il faut prévoir cette cession de droits voisins pour que le producteur exploite les droits en cause. C’est une fois que cette autorisation par l’artiste-interprète donnée, d’après l’article L.212-3 du Code de propriété intellectuelle, que la reproduction et la communication au public du son et de l’image par le producteur sera octroyée.

 

Il arrive parfois que des relations conflictuelles entre artistes et producteurs naissent, comme dans le cas de Johnny Hallyday et la maison de disques « Universal Music ». Que devient alors le contrat d’enregistrement et qu’en est-il des œuvres rendues publiques par la maison de disques ? En bref, à qui appartiennent les droits et les masters ?

 

          B. Le sort particulier des œuvres produites par l’artiste-interprète

 

Les œuvres réalisées par l’artiste-interprète et produites par la maison de disques pendant la durée de la relation contractuelle sont appelés « masters » ou « bandes-mères masterisées ». Ce sont plus précisément tous les enregistrements originaux à partir desquels les œuvres sont dupliquées. Il est ici primordial de porter une attention particulière sur un point : la propriété des masters dépend de la qualification de ceux-ci. Si le master est qualifié de bien meuble, c’est une propriété corporelle et il y a lieu d’appliquer les règles du Code civil concernant le droit des biens  : celui qui dispose de la propriété corporelle de l’œuvre n’est investi d’aucun des droits moraux et patrimoniaux de celle-ci. Ceux-ci sont les droits incorporels qui sont la propriété du producteur, au sens de l’article L.213-1 du Code de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire qu’il faut être « la personne physique ou morale, qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence de son ».

 

Pour illustrer ce qu’il advient des masters une fois produits, l’exemple de Johnny Hallyday semble s’y prêter. La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt en ce sens le 20 décembre 2006 (Note 2), lorsque celui-ci avait demandé la rupture du contrat qui le liait à sa maison de disques. La cour de cassation a répondu à plusieurs questions, qui jusque-là restaient relativement floues : quelles sont les conséquences de la rupture du contrat d’enregistrement entre un artiste-interprète et sa maison de disques ? Plus clairement, toutes les œuvres produites, rendues publiques ou non, jusqu’à cette rupture (ou non) appartiennent-elles au producteur ou à l’artiste?

 

Avant toute jurisprudence sur le sujet, l’article L. 111-3 du Code de propriété intellectuelle a tenté de régler cette question en affirmant que la propriété incorporelle, c’est-à-dire le droit qui comporte les attributs d’ordre intellectuel et moral et d’ordre patrimonial, est indépendante de la propriété de l’objet matériel. L’explication semble encore compliquée. L’article explique que l’acquéreur de l’objet matériel n’est investi d’aucun des droits prévus dans le code de propriété intellectuelle : détenir la propriété matérielle des masters ne permet pas pour autant de les exploiter. Aucun droit d’auteur n’y est associé, donc leur jouissance n’est pas octroyée à celui qui détient l’objet matériel. Pour répondre simplement à la question, les droits d’exploitation, soit ceux qui relèvent de la propriété incorporelle, appartiennent au producteur, qui est désigné dans le contrat d’enregistrement, comme étant le cessionnaire des droits voisins de l’artiste.

 

L’arrêt du 20 décembre 2006 avait donc donné une réponse claire par son attendu de principe et était venu ajouter une clarification à l’article L. 111-3 du Code de propriété intellectuelle : la résiliation d’un commun accord du contrat d’enregistrement exclusif, n’y met fin que pour l’avenir de sorte qu’elle n’a pas pour effet d’anéantir rétroactivement les cessions antérieurement intervenues sur les enregistrements réalisés en cours de contrat. Cette jurisprudence s’applique également de façon légitime aux masters produits dans le cadre contractuel. Ainsi, dans cette affaire, le producteur restait cessionnaire des droits voisins de l’artiste-interprète sur les enregistrements réalisés, et il avait en conséquence à bon droit refusé la demande de restitution des bandes mères masterisées.

 

Le producteur reste donc généralement propriétaire des masters, ce qui parait légitime dans la mesure où c’est celui qui a pris l’initiative et a financé les enregistrements, d’après la lettre de l’article L.213-1 du Code de propriété intellectuelle.

 

II. L’extinction du contrat d’artiste : entre continuation de l’exclusivité et libération de l’artiste-interprète

 

Une fois le contrat d’artiste mené à son terme, plusieurs situations sont à prendre en considération, notamment en ce qui concerne la libération de l’artiste-interprète, mais également ce qui découle de cette extinction selon si l’on est en hypothèse de résolution du contrat, ou de sa résiliation.

 

          A. Les clauses spécifiques au contrat d’artiste : une libération partielle de l’artiste-interprète

 

Plusieurs clauses dans le contrat d’enregistrement règlent les relations post-contractuelles. Ainsi, au terme du contrat, l’artiste n’est plus lié par la clause d’exclusivité qui est, le plus généralement, prévue dans le contrat. Pour autant, est-ce que le terme du contrat libère totalement l’artiste ?

 

La réponse est négative, en ce sens où certaines clauses du contrat seront encore appliquées après la relation contractuelle. Ceci est le cas notamment pour ce qui a été développé précédemment, c’est-à-dire pour la clause relative à la propriété des masters, mais également pour la clause qu’on appelle « back-catalogue ».

 

En ce qui concerne les masters, il est généralement prévu que le producteur reste propriétaire des masters à l’expiration du contrat. De plus, la clause « back-catalogue » stipule que le producteur reste cessionnaire exclusif des droits d’exploitation sur les enregistrements, à concurrence de la durée des droits voisins. Une fois la relation contractuelle arrivée à son terme, le producteur pourra donc continuer d’exploiter les enregistrements, les dupliquer par exemple dans des compilations, sans oublier pour autant de respecter le droit moral de l’artiste.

 

Toutefois, dans la plupart des contrats d’enregistrement, la clause de catalogue prévoit également une interdiction pour l’artiste de réenregistrer les titres pour son propre compte ou le compte d’un autre producteur, avec une certaine durée prévue dans la clause. La clause de catalogue est-elle alors une clause de non-concurrence ?

 

Tout dépend des conditions de la clause de catalogue, il faudrait pour cela qu’elle remplisse les mêmes conditions de validité de la clause de non-concurrence, et qu’elle soit assortie d’une contrepartie financière pour qu’elle soit qualifiée de clause de non-concurrence. Ceci est notamment expliqué par un arrêt du 10 juillet 2002 de la chambre sociale (Note 3) dans lequel la Cour de cassation affirme que la clause doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et l’espace, tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié et être assortie d’une contrepartie financière.

 

En pratique, cette clause est considérée comme une extension de l’exclusivité qui a pour objet d’interdire à l’artiste, une fois la période d’exclusivité arrivée à son terme, d’enregistrer pour son propre compte ou celui d’un tiers et d’exploiter tout nouvel enregistrement d’un titre récemment enregistré avec la maison de disque.

 

Juridiquement, cette clause catalogue est une clause de non-concurrence, qui, pour être valable, doit donc être limitée dans le temps et l’espace. Elle doit également être rémunérée, ce qui est souvent oublié dans les contrats proposés aux artistes. La rémunération est librement fixée en accord avec l’artiste, et consiste souvent en un pourcentage du cachet prévu par la convention collective de l’édition phonographique pour l’enregistrement d’un titre.

 

         B. Les effets de l’extinction du contrat d’artiste

 

Il faut distinguer deux voies différentes, les effets ne seront pas les mêmes si l’artiste demande la résiliation du contrat ou qu’il demande la résolution du contrat.

 

La jurisprudence a éclairé les effets de la résiliation du contrat d’artiste par un arrêt du 5 juillet 2006 rendu par la première chambre civile (Note 4). Ainsi, dans une telle hypothèse, la Cour de cassation considère que cela n’a d’effets que pour l’avenir de sorte que la cession de droits consentie antérieurement n’est pas remise en cause, sauf si les parties en avaient convenu différemment. Cela étant, même si le contrat d’enregistrement est rompu, la cession de droits continue de produire des effets.

 

A l’inverse, dans l’affaire qui opposait Mc Solaar à la maison de disques Universal Music (Note 5), c’est-à-dire dans un cas de demande de résolution du contrat d’artiste, il y aura des effets rétroactifs. Dans cette hypothèse précise, on considère qu’aucune relation contractuelle n’a existé. Ainsi, le producteur ne dispose plus des droits de l’artiste et doit lui remettre alors les masters.

 

L’arrêt qui avait rejeté le pourvoi de Universal Music avait été clair : la résolution du contrat a pour effet de l’anéantir et de remettre les parties en l’état où elles se trouvaient antérieurement, sous la seule réserve de l’impossibilité pratique. Elle avait complété ses propos en expliquant que le producteur ayant perdu par l’effet de la résolution, le bénéfice de la cession des droits voisins, il lui était interdit d’exploiter les enregistrements réalisés et devait remettre les supports à l’artiste. Le bémol ici qui est posé par la Cour de cassation dans les termes « l’impossibilité pratique », c’est que l’artiste, qui récupère les masters, ne pourra pas pour autant les exploiter, il n’en devient pas propriétaire.

 

Peut-être pourrions-nous sur ce point relever que si le contrat est résolu, et qu’il est censé n’avoir jamais existé, par conséquence logique, la clause de catalogue non plus n’existe plus. Ainsi, même si l’artiste-interprète ne peut pas exploiter lesdits masters, pourrait-il avoir le droit de réenregistrer les œuvres précédemment produites ? La question reste relativement discutable et aucune jurisprudence n’est venue apporter de clarification sur cette solution qui pourrait être envisagée par l’artiste.

 

Toujours est-il que dans ces deux hypothèses de résiliation, amiable ou judiciaire, et de résolution, la solution qui semblerait la plus favorable à l’artiste-interprète est incontestablement la seconde, qui lui apporterait alors plus de sécurité pour ses affaires post-contractuelles.

ARTICLE 5

JURISPRUDENCE : Le cas de force majeure invoqué par le créancier pour obtenir la résolution du contrat : commentaire de l’arrêt de la Cour de Cassation en date du 25 novembre 2020

Le nouveau droit des contrats laisse circonspects les acteurs du droit français, qui sont dans l’attente de voir la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire se prononcer sur les problématiques juridiques qu’il soulève. 

 

La Première Chambre Civile de la Cour de Cassation, dans un arrêt du 25 novembre dernier (note 1), a rendu une solution intéressante du point de vue de l’interprétation de l’article 1218 nouveau du code civil (note 2), issu de la réforme du droit des contrats du 10 février 2016. L’arrêt est voué à la plus large diffusion par la première chambre civile.

 

En effet, la situation de crise sanitaire exceptionnelle que nous traversons a suscité un intérêt particulier autour du cas de force majeure, prévue à l’article 1218 susmentionné, afin d’obtenir la résolution de nombreux contrats en cours (et nécessairement bouleversés par les conséquences de la Covid-19) sur ce fondement.

 

Si l’arrêt en question vient apporter des précisions utiles sur le cas de force majeure en matière contractuelle, il convient de préciser que les circonstances en l’espèce sont étrangères à l’épidémie actuelle.

 

Il s’agit ici d’un couple, M. et Mme. X, ayant souscrit un contrat d’hébergement auprès de la société Chaîne thermale du soleil, pour une durée comprise entre le 30 septembre 2017 et le 22 octobre 2017. Le paiement relatif à cette prestation a été effectué par M. X, débiteur du prix, le 30 septembre 2017.

 

Cependant, au cours du contrat d’hébergement, le 04 octobre 2017, M. X se voit hospitaliser en urgence, mettant ainsi un terme à son séjour. Sa femme, Mme. X, le rejoint par la suite à l’hôpital le 08 octobre 2017.

 

C’est dans ce contexte que M. X saisit la justice afin d’obtenir la résolution du contrat et une indemnisation au titre des prestations dont il n’a pu profiter, du fait que le séjour ait pris fin en raison d’une circonstance, en l’espèce l’hospitalisation en urgence, revêtant les caractères de la force majeure. Un jugement en dernier ressort sera rendu en sa faveur par le tribunal d’instance de Manosque (note 3).

 

La société Chaîne thermale du soleil forme conséquemment un pourvoi en cassation. La problématique à laquelle est alors confrontée la Cour de Cassation est de savoir si la résolution du contrat par le contractant créancier qui invoque le cas de force majeure et dont le bénéfice de la prestation lui est rendu impossible par celle-ci, est recevable ?

 

A cela les magistrats ont répondu par la négative, dans la mesure où il convient de faire une distinction importante. L’article 1218 du Code civil, dans son alinéa 1er, dispose : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. »

 

Le choix de la rédaction prend tout son sens : en l’espèce, si M. X est créancier de la prestation, il est surtout débiteur du prix, et l’hospitalisation en urgence, qui constitue le cas de force majeure, l’empêche manifestement de profiter de la prestation d’hébergement, mais a contrario ne l’empêche pas d’exécuter son obligation au sens de l’article visé, qui ici est le paiement du prix : celui-ci a d’ores et déjà été effectué. Tout comme l’exécution de l’obligation qui incombe à la société d’hébergement, à savoir être en mesure de fournir la prestation aux époux X, n’est pas effectivement compromise.

 

On comprend donc ici que les circonstances revêtant le cas de force majeure et la qualification de celle-ci ne sont pas remises en question, mais que la résolution du contrat par le créancier pour échapper au paiement du prix sur le fondement de cette même force majeure, n’est pas recevable puisqu’elle n’est pas de nature à empêcher l’exécution de son obligation de paiement du prix de la prestation. Il ne faut donc pas confondre, en présence d’un cas de force majeure, impossibilité d’exécution en tant que débiteur, et impossibilité de jouissance de la prestation en tant que créancier : si la première permet la résolution du contrat sur le fondement de l’article 1218 du Code civil, il n’en est pas de même pour la seconde.  

 

La portée de l’arrêt reste cependant à nuancer dans la mesure où il est propre au cas d’espèce (il se rapproche grandement d’un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 septembre 2014 (note 4)), et puisque les obligations des parties peuvent être de différentes natures, cela implique un examen approfondi des parties et des obligations pouvant bénéficier ou non de la force majeure en matière contractuelle. Les solutions à l’avenir pourront donc varier selon les facteurs en présence, mais il faut tout de même souligner que l’arrêt ici commenté vient contredire un précédent arrêt rendu le 10 février 1998 par la Cour de Cassation (note 5).

 

A titre de conclusion, il est bienvenu de préciser que la force majeure peut être aménagée contractuellement par les parties, selon le principe de la liberté contractuelle : ainsi il est tout à fait possible de se prémunir de l’interprétation des juges et de prévoir expressément les conséquences de la survenance d’un cas de force majeure pour chacune des parties.

 

Hugo SIGISMONDI

Note 1 : Civ. 1ère, 25 novembre 2020, P+B+R+I, n° 19-21.060

Note 2 : Article 1218 code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »

Note 3 : Jugement du tribunal d’instance de Manosque, 27 mai 2019

Note 4 : Cass com, 16 septembre 2014, n° 13-20.306

Note 5 : Civ. 1ère, 10 février 1998, n° 96-13.316

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