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Cinquième numéro, Novembre 2020

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SOMMAIRE

Si la prise en compte de la guérison des cancers par la Convention AERAS en droit des assurances est une grande avancée, celle-ci doit ne constituer qu’un premier pas et non une finalité. Les inéquations avec la réalité sont nombreuses et doivent être résolues, notamment avec une prise en compte de l’âge des patients.

REFLEXION :

De la quête d'une société responsable dans le droit positif

Cet article s’inscrit dans la postérité d’une précédente newsletter au sujet de la raison d’être. Il cherchera à envisager plus globalement le dispositif de responsabilisation des sociétés introduit par la loi Pacte. Aussi visera-t-il à porter une réflexion critique sur son effectivité et à s’interroger sur les pistes de développement futur destinées à lui donner une plus grande effectivité.

NUMERIQUE :

La question des smart contracts face aux règles du droit des contrats

Les nouvelles technologies occupent une place de plus en plus importante dans notre société. De nouveaux concepts naissent et influent sur les domaines dans lesquelles ils s’inscrivent. Or, leur appréhension au regard du droit positif soulève parfois quelques interrogations. Tel est le cas du smart contract, une nouvelle technologie s’inscrivant dans le domaine du droit des contrats.

La Cour de cassation a récemment effectué l’un des revirements le plus important de la décennie. Elle a ainsi refusé d’appliquer l’effet négatif du principe compétence-compétence à un consommateur international. L’analyse de cet arrêt va donc nous amener à reflechir sur la valeur de la protection apportée au consommateur.

 

Civ. 1, 30 sept 2020, F+S+P+B, n°18-19.241

Une nouvelle fois confrontée à l’appréciation de l’exigence de proportionnalité du cautionnement, la chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que lorsqu’une caution garantit le remboursement d’un prêt consenti à une société dans laquelle elle détient des parts sociales, l’évaluation de ses titres doit tenir compte du passif social. La disproportion doit donc s’apprécier eu égard à la valeur nette du patrimoine de la caution. 

SURETES :    L’associé caution des dettes sociales et la disproportion 

Par Valentin ROUSSET

Com., 7 octobre 2020, n°19-13.135

Morgane SALEH

Asya CEKIC

Valentin ROUSSET

Marine ENINGER

Article 1

Assurances : Convention AERAS : un décalage avec la réalité

Le contrat d’assurance est, comme son nom d’indique, un contrat. En cela, il est régi par la liberté contractuelle, principe essentiel du droit des contrats. Celle-ci comprend le droit « de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme dans les limites fixées par la loi » (note 1). 

 

Une compagnie d’assurance doit impérativement opérer une sélection des risques afin de maintenir l’équilibre de la mutualité. De cet équilibre dépend la possible indemnisation de tous les assurés en cas de sinistre. C’est pour cette raison que les assurances ont pu refuser d’assurer des personnes atteintes de cancers, ou d’autres maladies graves et longues. Ainsi, ces personnes ne pouvaient contracter aucune assurance, ou alors dans des contrats avec des primes extrêmement élevées, à tel point qu’ils ne pouvaient pas, en pratique, conclure ce contrat. 

 

Par conséquent, au nom d’un objectif de maintien de l’équilibre de la mutualité, certes absolument nécessaire, de nombreuses personnes se sont vu discriminées en raison de leur état de santé. A titre d’exemple, elles ne pouvaient obtenir aucun prêt bancaire sans assurance emprunteur, ce qui les contraignaient à demeurer locataire ad vitam aeternam.

 

         I.   Historique et droit positif de la convention AERAS

 

Face à cette impossibilité d’obtenir une assurance pour les personnes concernées, le législateur a adopté le 19 septembre 2001 une convention Belorgey. Cependant en pratique, celle-ci n’a eu que peu d’effets, les banques et les assurances n’en tenant généralement pas compte (note 2). En 2006, la convention AERAS lui a succédé : s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé. Cette convention ne concernait initialement pas les anciens malades de cancer. C’est en 2015 qu’ils sont intégrés par la loi Touraine, qui crée le droit à l’oubli. Enfin, l’avenant « Convention AREAS 2019 » renforce ce droit à l’oubli et fournit une grille de préférence (note 3). En l’occurrence, la dernière grille est entrée en vigueur le 1erseptembre 2020 (note 4).

 

Le droit à l’oubli signifie qu’après l’écoulement d’un délai défini à compter de l’arrêt du protocole thérapeutique, et en l’absence de rechute, les anciens malades n’auront plus à déclarer aux compagnies d’assurance leur cancer. Corrélativement, même si celles-ci ont connaissance de cette pathologie, elles ne peuvent plus utiliser cette information pour accorder ou refuser un prêt, pour calculer la prime d’assurance ou pour résilier le contrat. Après différentes évolutions, et en l’état du droit positif, le délai du droit à l’oubli est de dix ans après l’arrêt des traitements. Pour le cancer de l’enfant et du jeune adulte de moins de vingt et un ans, le délai est de cinq ans (note 5). 

 

La grille de référence aide quant à elle de pouvoir conclure un contrat d’assurance dans un délai moindre que les dix ou cinq ans du droit à l’oubli. Elle permet, avec une déclaration de la pathologie ancienne, d’obtenir un contrat avec une absence de surprime, ou avec un taux de surprime maximale encadré. Cette grille définit elle-même les différentes maladies et situations dans lesquelles ce mécanisme peut être mis en place. Ainsi, certains anciens malades peuvent obtenir des assurances plus rapidement, à des taux identiques à une autre personne, ou à des taux plus élevés mais relativement abordables (note 6). 

 

          II.  La convention AERAS : une rupture avec la réalité médicale

 

Il serait possible de penser que la convention a permis de trouver un équilibre des intérêts antagonistes : sans rechute, les anciens malades pourront emprunter après un certain délai. Les assurances quant à elles sont protégées contre les rechutes et décès fréquents. En effet, les durées de la convention AERAS sont fondées sur les délais médicaux et statistiques de la guérison. La médecine parle de guérison pour un cancer lorsque, à l’issue d’une période de rémission, plus de 95% des patients atteints de cette tumeur n’ont plus jamais rechuté. Ainsi, une fois ce stade atteint, la compagnie d’assurance ne prend pas davantage de risque qu’en assurant une personne « saine », qui peut elle aussi à tout moment déclarer un cancer. 

 

Pourtant, les délais de la convention AERAS ne sont parfois pas en conformité avec la réalité médicale de la guérison d’un cancer. Par exemple, avec le cancer de la thyroïde, « la guérison statistique est atteinte dès le début du traitement pour 95% des patients âgés de 15 à 44 ans » (note 7). Or le délai du droit à l’oubli selon la convention pour ces cancers est de trois, six ou dix ans en fonction du stade du cancer. 

Le cancer de la thyroïde n’est pas le seul exemple. Quelle est alors la raison de cet écart entre la convention et la réalité ? 

 

La convention distingue selon le type de cancer, mais elle n’individualise pas les délais en fonction de l’âge en patient de plus de vingt et un ans. Pourtant, le jeune adulte de vingt-deux ans à qui l’on vient de diagnostiquer un cancer aura un bien meilleur pronostic de guérison et dans un délai plus court qu’une personne plus âgée à qui le même cancer est diagnostiqué au même stade. En effet, si l’on peut guérir du cancer à tout âge, l’état général du patient a une incidence énorme sur les chances de guérison du cancer. Malheureusement, une personne âgée « affronte souvent, en même temps que le cancer, d’autres problèmes médicaux ou sociaux » (note 8). 

 

L’exemple du lymphome de Hogkin est frappant sur ce point. Ce cancer « touche habituellement les adolescents et les jeunes adultes » (note 9). Grâce à des traitements très poussés et adaptés, c’est l’un des cancers qui est le mieux guéri parmi tous ceux existant (note 10). Bien évidemment il y a différents éléments primordiaux pour arriver à de tels taux de guérison, mais l’état général du patient, qui dépend en partie de son âge, est un paramètre très important (note 11 ; l’âge du patient est d’ailleurs le premier élément cité pour établir un pronostic).

 

           III.  Possible évolution de la convention AERAS : vers une meilleure individualisation du droit à l’oubli ? 

 

La consécration du droit à l’oubli pour les personnes atteintes de cancer leur permet aujourd’hui de (re)vivre après leur maladie et de tourner définitivement la page… Dix ans après l’arrêt des traitements, et ce même si les risques de rechute sont, pour un patient jeune, très faibles. Sur ce point, la convention AERAS est bien loin de la réalité des cancers ! Le fait qu’elle prenne en considération l’enfant et le jeune adulte est certes une grande avancée mais il ne doit cependant pas s’agir d’une finalité pour la convention. Pourquoi ne pas continuer le progrès en affinant les délais du droit à l’oubli en fonction de l’âge du patient adulte, ce qui se fonde sur la réalité médicale et scientifique selon laquelle les malades jeunes guérissent mieux du cancer ? La situation entre un patient d’une vingtaine d’année et celui de quatre-vingt ans n’est pas la même. Elle doit donc être distinguée par la convention ! 

 

Il ne s’agit pas là de spéculations, mais bien de données médicales. Les assurances ont besoin de sécurité pour leur mutualité. Mais, dès lors que scientifiquement et statistiquement les pronostics de guérison sont différents, les délais du droit à l’oubli doivent être adaptés en fonction de l’âge, voire de la situation individuelle de chaque patient. Lorsque la guérison est très probable, l’assurance diminue drastiquement les risques qu’elle prend, ce qui permet le maintien de l’équilibre de la mutualité. 

 

Une assurance n’a de raison d’être que par l’existence d’un risque. Lorsque médicalement le pronostic de guérison est très favorable, les dangers pour l’équilibre de la mutualité deviennent très faibles. Pourquoi alors maintenir une discrimination envers ces anciens malades de cancers ? 

 

 

 

 

Marine ENINGER

Article 2

REFLEXION : La quête d'une société responsable dans le droit positif

Propos liminaire

 

         Cet article s’inscrit dans la postérité d’une précédente newsletter au sujet de la « raison d’être ». Il cherchera à envisager plus globalement le dispositif de responsabilisation introduit par la loi Pacte. Aussi visera-t-il à porter une réflexion critique sur son effectivité et à s’interroger sur les pistes de développement futur destinées à lui donner une plus grande effectivité. Toutefois, cet essai ne prétend pas détenir une quelconque vérité. Il n'est qu'un point de vue, une réflexion personnelle sur ce que pourraient être les perspectives futures du droit des sociétés. Il rejoint, ainsi, les idées d’une partie de la doctrine pour ouvrir le débat sur une question sensible mais capitale dans la construction du Droit demain. Il est donc à lire avec un léger recul, comme l’incarnation d’une certaine vision du monde qui, loin d’être unanimement partagée, se veut source de réflexions. 

 

***

 

La société française de défense et de technologie Thales a fait une intéressante annonce en septembre dernier par l’intermédiaire de Monsieur Patrice Caine, son Président. Ce dernier a présenté sur ses réseaux sociaux, non sans fierté, le travail de « six mois de rédaction » qui a mené à la naissance d’une « raison d’être » pour Thales. Six longs mois pour établir la précieuse clause destinée à parfaire les statuts et l’image de la société. Six longs mois pour produire une phrase de sept mots destinée à révolutionner le quotidien d’un groupe de 83.000 salariés. Le résultat est percutant, prodigieux et accrocheur : « Construire un avenir auquel nous pouvons tous faire confiance ». 

 

Si d’un point de vue communication, le slogan est parfait, subtil et direct, il semble aussi qu’il s’agit d’une « raison d’être », notion juridique issue de la loi Pacte (note 1). C’est en constatant ce décalage entre l’essence du texte et son utilisation par les professionnels qu’a germé l’idée de s’interroger sur le véritable intérêt de cet « attelage de responsabilisation des sociétés ». 

 

Cette étude se consacrera donc à l’analyse de ce dispositif qui se base principalement sur trois textes en vigueur. Elle permettra de mettre en exergue qu’il s’agit d’un premier pas dans la quête d’une société responsable, véritable enjeu du monde économique de demain, dont la réussite future devra inexorablement résulter d’un encadrement juridique efficient. 

 

          I.  L’« attelage de responsabilisation des sociétés » de la loi Pacte : entre progrès et insuffisance

 

La récente Loi PACTE a introduit la possibilité d’insérer des objectifs humanistes et responsables au sein même des statuts d’une société, sans pour autant altérer la forme sociale de celle-ci. Il convient alors d’analyser ces dispositions regroupées principalement au sein de trois textes qui constituent ensemble un véritable attelage de la société responsable de première génération. Cette analogie sera utilisée dans cet article pour désigner l’ensemble des textes introduits par la Loi PACTE, relativement à la construction de sociétés soucieuses de leur écosystème et de l’intérêt général.

 

Au-delà de porter modification de l’article 1833 du Code civil, en y ajoutant une disposition supplémentaire consacrant l’intérêt social, ainsi que le nécessaire respect de l’environnement et des enjeux sociaux (A), la loi PACTE a procédé à deux innovations de premier plan qui ont provoqué de nombreuses réactions des professionnels et des universitaires. 

 

Sur recommandation du rapport Sénard-Notat, il a été inséré dans l’article 1835 du Code civil, la faculté de faire figurer une « raison d’être » dans les statuts de toute société, première étape du processus de construction de la société responsable par ladite Loi (B).  

Une seconde étape a, également, été introduite pour aller plus loin dans la démarche de responsabilisation sociale et écologique de la société. Il s’agit du statut de « société à mission » (C), qui suppose de satisfaire aux conditions additionnelles de l’article L.210-10 du Code de commerce.


A. De l’intérêt social : entre rupture et continuité

 

L’article 1833 du Code civil consacre dans son deuxième alinéa la notion d’intérêt social, jusqu’alors jurisprudentielle, et introduit une exigence nouvelle relative au respect de l’environnement. Cet apport va dans le sens d’une mutation de la structure juridique qu’est la société, qui ne peut plus aujourd’hui se fonder uniquement sur l’intérêt commun des associés, mais doit également ménager le respect de l’intérêt général et du mieux-être commun.

 

Cela dit, si ces nouveautés sont en théorie d’une importance majeure et constituent une obligation de moyen pour la société, elles demeurent assez limitées en pratique. En effet, le texte manque cruellement de force et s’apparente, en ce sens, à une législation peu normative. Ainsi, les délibérations et actes pris par la société en contrariété avec le second alinéa du nouvel article 1833 du Code civil ne feront pas encourir la nullité de la société. En revanche, ils pourront éventuellement faire l’objet d’une action en responsabilité pour faute contre les dirigeants, ce qui tend tout de même à lui conférer un certain rôle. Sur ces considérations, il peut être dressé le constat d’une relative mutation de la notion d’intérêt social, considérée autrefois par certains comme protectrice des créanciers et associés. Elle semble, aujourd’hui, être la figure de proue d’une protection de la société humaine, prise en globalité. 

 

C’est alors dans l’optique de poursuivre cette volonté qu’a été insérée la notion de « raison d’être » au sein de l’article 1835 du Code civil. 

 

B. De la notion de « raison d’être » : Première étape concrète du processus de construction des sociétés responsables

 

Le nouvel article 1835 du Code civil dispose que « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». En pratique, cette « raison d’être » résulte d’une décision des associés qui acceptent de modifier les statuts pour y insérer une « expression de l’utilité sociétale de la société, qui sera pour elle à la fois une boussole et un garde-fou » (note 2) quant aux décisions des organes sociaux. 

 

L’innovation apparaît alors majeure et pousse de nombreuses entreprises à se lancer dans l’aventure, telles qu’Arkéa, la Camif, Carrefour, le Crédit Agricole, EDF, la Maif, Michelin, ou encore la SNCF et Véolia, pour ne citer qu’elles. Toutefois, si l’engouement des acteurs économiques est important, il tient plus aux lacunes du texte qu’à ses qualités. Il semble, en effet, que l’innovation introduite dans l’article 1835 du Code civil est davantage un outil de communication pour les entreprises qu’une réelle avancée dans les démarches de RSE et de compliance. C’est ainsi que le texte apparaît quelque peu déceptif, non seulement dans sa rédaction assez floue, mais aussi relativement à son manque d’effectivité causé par l’absence de sanction. Ainsi, si le Conseil d’État a pu rappeler que cette faculté n’était pas « dépourvue de toute portée normative, dans la mesure où, pour les entreprises qui auront fait ce choix, l’inscription dans les statuts obligera à s’y conformer » (note 3), la nullité des délibérations et des actes sociétaires ne pourra venir en aucun cas d’une violation de la raison d’être de la société (note 4). 

 

Si le premier défaut peut être comblé par des travaux externes – il faut renvoyer vers le très pertinent guide rédigé par l’Observatoire de la RSE et le Collège des Directeurs du Développement Durable – le deuxième l’est plus difficilement et peut conduire à considérer cet apport législatif comme la première étape d’un processus qui est, lui-même, de première génération. 

 

C. De la société à mission : Seconde étape du processus de construction des sociétés responsables

 

La consécration d’un intérêt social élargi et la création de la notion de raison d’être s’apparentant à des étapes préliminaires vers la construction d’un édifice juridique plus ambitieux, il convient à présent de se pencher sur la notion de société à mission. 

 

Il faut partir du postulat selon lequel ces sociétés à mission ne sont, selon l’article L.210-10 et suivants du Code de commerce, pas de véritables formes sociales mais simplement une excroissance de la finalité sociétaire à d’autres considérations que les habituelles ambitions économiques des entrepreneurs. Il s’agit d’aller au-delà même des intérêts individuels et de l’intérêt commun. 

 

Schématiquement, la société à mission est une sorte de label destiné à récompenser les démarches altruistes des sociétés qui contribuent à un mieux-être global et à la satisfaction de l’intérêt général. L’innovation n’est pas française et résulte d’une relative transposition de la « benefit corporation » créée outre-Atlantique. Ce mécanisme s’inscrit dans le cadre de démarches de communication pro-éthique des entreprises et est régi par un véritable régime et l’obtention du « label » est soumis à de vraies conditions. Pour la première fois, le législateur, dans une certaine mesure, contraint l’opérateur souhaitant s’engager dans cette démarche et faire figure d’avant-gardiste. 

 

En effet, l’article L.210-10 du Code de commerce prévoit trois conditions essentielles pour espérer être labellisé et accéder au statut si convoité de la société à mission. Il convient d’inscrire une raison d’être dans les statuts (Cf supra : première étape du processus), déterminer une mission (c’est-à-dire des objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission d’intérêt général dans le cadre de son activité), et désigner un « comité de mission » qui veillera au bon déroulement de celle-ci, en tant qu’organe de surveillance et de contrôle. Ce n’est que si la société respecte ces conditions cumulatives, qu’elle pourra effectuer les démarches pour se faire agréer comme société à mission par un organisme tiers indépendant. Le cas échéant, il sera aussi nécessaire de procéder à l’enregistrement de cette qualité auprès du greffe du tribunal de commerce. 

 

La véritable force de communication de ce label est néanmoins soumise à de strictes conditions. Elles assurent une effectivité a priori du mécanisme, qui doit être complétée par un contrôle a posteriori destiné à lui donner toute sa substance juridique. C’est en ce sens qu’en cas de non-respect du cadre de la mission, le Président du tribunal de commerce, statuant en référé, pourra enjoindre la suppression de la mention “ société à mission ” de tous les actes, documents ou tout autre support émanant de la société. Cette sanction paraît, cependant, juridiquement assez faible, tout en présentant une plus grande force à travers le prisme de la communication. Elle représente, effectivement, un risque fort en termes d’image pour la société, qui plus est dans l’hypothèse d’une publication du jugement.  

 

Ainsi, il apparaît que ces textes visant à la création de sociétés plus responsables sont au mieux superficiellement normatifs, au pire dépourvus de toute force juridique. Il n’en reste pas moins que la société à mission est dotée d’un cadre légal intéressant, et ce contrairement aux deux autres textes qui ne sont finalement que les fondations de la construction. 

 

Cet « attelage de responsabilisation » permet aujourd’hui aux sociétés de toute forme de renforcer une communication d’entreprise responsable, sans être, pour autant, pieds et poings liés par leurs bonnes intentions. L’effectivité de ce dernier dépendra en grande partie de la portée que les juges lui donneront. Eux seuls sont garants, en attendant de nouvelles interventions législatives, de l’effectivité de l’intérêt social, de la raison d’être et de la société à mission. 

 

Constatant l’état du droit positif, il faut à présent explorer des pistes de réflexion qui pourraient, à l’avenir, fonder la construction d’une société responsable de deuxième génération.

 

      II.  La construction de la structure responsable de demain : le passage à la seconde génération

 

Allant dans le sens de la construction d’entreprises plus responsables et plus éthiques, l’« attelage de responsabilisation » de la loi PACTE apparait insuffisant à certains égards. Dès lors, s’il convient de rechercher comment construire la structure juridique de demain, il ne sera pas, pour autant, question de faire table rase de ces nouvelles dispositions. Elles doivent être un socle sur lequel sera construit le Droit de demain. Ainsi, si la nécessité d’aller plus loin dans ce processus ne fait pas doute, il reste à déterminer comment y procéder. 

 

Le premier élément de progrès pourrait se trouver dans la volonté individuelle des acteurs économiques de doter leurs structures de « raison d’être » digne de ce nom, en s’engageant dans de vraies démarches éco et socio-responsables et en se fixant des objectifs concrets. En cela, il faut pousser les acteurs à aller dans le champ de la société à mission qui est, pour le moment, le seul dispositif qui contraint relativement ses sujets. Pour ce faire, des dispositifs fiscaux pourraient être pensés afin d’encourager les sociétés à s’engager dans les démarches pro-éthiques de la société à mission. 

 

A cet égard, apparaît la nécessité de ne pas se reposer uniquement sur la volonté individuelle mais plutôt de récompenser les démarches positives. Plus encore, l’effectivité des dispositifs pourrait venir de sanctions plus importantes, que cela soit par la nullité des décisions prises en violation de la « raison d’être » ou par la mise en place d’amendes civiles pour les sociétés qui ne respecteraient pas leurs missions. Missions qui devraient être, par ailleurs, des obligations de résultat. Dès lors, il serait opéré à un basculement, de l’incitation à la répression. 

 

Mais, au-delà de doter cet « attelage de responsabilisation » de vraies sanctions et d’un réel contenu normatif, il peut être envisagé d’aller encore plus loin en imposant aux sociétés, de toute nature, de se doter d’une « raison d’être ». Ainsi, non seulement le dispositif de cet article gagnerait en importance en s’imposant à toutes les sociétés, mais il viendrait, au surplus, donner une texture bien plus importante à l’intérêt social de l’article 1833, alinéa 2, du Code civil. La prise en compte d’enjeux sociaux et environnementaux serait alors concrète à travers la raison d’être de toutes les sociétés. 

 

Dans cette logique, il conviendrait de compléter l’article 1835 du Code civil pour ajouter, au-delà même des sanctions prévues en cas de non-respect, une condition de validité résidant dans un contenu spécial, clair, précis et non équivoque. A défaut de satisfaire à cette condition, des sanctions fortes pourraient être prévues, telles que la nullité de la société ou le rejet de son immatriculation. Ce dispositif pourrait alors s’accompagner de clauses types, édictées par décret, que les entrepreneurs pourraient adapter à l’objet social de leur société. L’idée serait alors de fournir un tutoriel clé en main pour se doter d’une raison d’être et respecter les exigences légales. 

 

Enfin, cette raison d’être traduisant des missions, un organe de contrôle devrait être mis en place, à l’instar des dispositions actuelles relatives à la société à mission. Cela dit, en procédant à cet apport, la société à mission perdrait de son intérêt et il serait alors opportun de fusionner les deux dispositifs. L’objectif étant d’assurer un respect de missions s’articulant autour des notions d’éthique et de responsabilité sociale et écologique, seul importe sa réalisation. Ce n’est pas le véhicule juridique qui fonde l’essence d’un texte mais sa finalité. 

 

Il semble donc que l’atteinte de cette dernière soit subordonnée à une intervention plus importante du législateur pour contraindre les opérateurs. Pour aller dans le sens de la promotion éthique au sein de l’entreprise, il n’est, une nouvelle fois, pas suffisant de se fonder sur l’initiative individuelle. L’avenir est alors entre les mains du législateur afin de fonder la société responsable de deuxième génération, celle qui permettra de construire un avenir sain, à la fois économiquement, mais aussi humainement, socialement et écologiquement. Pour ce faire, il faudra sûrement en passer par de petites avancées, mais les pierres que nous posons aujourd’hui seront le socle de la réussite de demain. 

Valentin ROUSSET

Note 1 : Loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises ; 

Note 2 : Observatoire de la RSE et Collège des Directeurs du Développement Durable ; 

Note 3 : Conseil d’État, Avis du 14 juin 2018 ;

Note 4 : 2ème alinéa de l’article L.235-1 du Code de commerce. 

Article 3

NUMERIQUE : La question des smart contracts face aux règles du droit des                                 contrats

C’est en 1997 que Nick Szabo évoquait pour la première fois le concept des smart contracts (note 1), mais ce n’est que plus tard, avec le développement de la blockchain, que ce concept a gagné en popularité. La compagnie d’assurance AXA a été l’une des premières entreprises à utiliser cette nouvelle technologie. Elle avait pour but de créer un « produit d’assurance d’un nouveau genre » permettant une indemnisation automatique des passagers en cas de retard d’un vol (note 2). L’intérêt que représentent les smart contracts dans les différents domaines de la vie des affaires conduit nécessairement les professionnels du droit à se questionner sur la réglementation applicable à cette nouvelle technologie. Il est ici question de savoir comment ce concept est appréhendé en droit positif.

 

            Qu’est-ce qu’un smart contract ?

 

Le smart contrat est une innovation portée par la technologie de la blockchain. Pour comprendre ce qu’est un smart contract, il faut donc, avant toute chose, comprendre ce qu’est la blockchain.

 

La blockchain est un système informatique permettant d’écrire de manière immuable une action entre deux parties dans un registre transparent que chacun peut consulter, registre constitué de blocs s’ajoutant les uns aux autres formant ainsi une chaîne. Elle permet la réalisation d’échanges de pair-à-pair, se passant ainsi des tiers de confiance. En somme, la blockchain peut être définie comme étant un grand livre de compte sécurisé, immuable et infalsifiable (note 3). La France a récemment conféré une valeur légale à la blockchain (note 4) en la définissant à l’article L223-12 du Code Monétaire et Financier en tant que « dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant l'authentification de ces opérations » (note 5). 

 

Les smart contracts font partie des programmes informatiques autonomes fonctionnant dans le système de la blockchain « Ethereum » sous la forme d’un algorithme figeant un accord trouvé par deux parties. Ils permettent d’automatiser la réalisation du contrat ou de certaines clauses du contrat, si certaines conditions sont réunies ou si certains faits surviennent. Autrement dit, les smart contracts reposent sur des séquences d’opérations logiques, traduction de la boucle informatique « IF…THEN » : si la condition prévue est vérifiée, alors la conséquence prévue en adéquation s’exécute. C’est en cela que le smart contract devient intéressant. Mais, dans le même temps, ce critère peut poser des difficultés eu égard à certaines règles du droit des contrats. 

 

        I. La valeur juridique du smart contract

 

Il existe un débat doctrinal sur la valeur juridique du smart contract. Se pose la question de savoir s’il s’agit d’un contrat au sens du droit positif ou s’il est purement et simplement un mode d’exécution du contrat (note 6). La majorité de la doctrine s’accorde à dire qu’il s’agit d’un mode d’exécution du contrat, mais la question n’a pas encore été tranchée et les deux positions existent. 

 

L’appellation « smart contract » nous conduit instinctivement à penser que ce concept répond à la qualification de contrat telle que nous l’entendons en droit positif. Or, dans sa conception première, le smart contract a été imaginé, non comme un contrat au sens juridique du terme, mais comme un procédé ayant pour objectif d’exécuter le contrat (note 7). Il a donc été pensé en tant que support d’un contrat classique. Cela conduit une partie de la doctrine à penser qu’il n’a pas été conçu pour remplacer le contrat, mais seulement pour en simplifier l’exécution. 

 

Une définition des contrats électroniques est donnée dans le Code civil à son article 1127-1, disposant que le contrat électronique est un conclu par « quiconque propose à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les stipulations contractuelles applicables d'une manière qui permette leur conservation et leur reproduction ». Cette définition ne renvoie pas à celle du smart contract, suite logique de lignes de code permettant une exécution automatisée du contrat, mais bien à la définition d’un contrat conclu par le biais d’internet, deux concepts qu’il convient de distinguer. Les limites de cette définition ne permettent donc pas de donner au concept de smart contract la qualification de contrat. Du point de vu de ce courant doctrinal, le smart contract servirait à retranscrire, dans la blockchain, un contrat pré-existant, conclu selon les règles du droit des obligations, permettant ainsi aux parties de bénéficier du mode d’exécution des smart contracts, à savoir une exécution automatisée du contrat.

 

Une partie minoritaire de la doctrine plaide, quant à elle, en faveur du smart contract en tant que contrat sui generis. Ce « nouveau contrat » serait alors programmé directement dans la blockchain grâce à la technologie des smart contracts (note 8). Outre l’ambiguïté sémantique du terme, plusieurs critères peuvent créer un doute sur leur qualification juridique. Certains auteurs avancent l’argument de la rencontre des volontés pour mettre en évidence ce doute. En effet, l’article 1113 alinéa 1 du Code civil dispose : « Le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager ». L’application du smart contract est, en effet, rendue possible uniquement si les parties ont toutes deux convenu d’y avoir recours. Néanmoins, s’il y’a bien accord de volontés des parties quant à l’utilisation d’un smart contract, il ne porte pas sur les éléments essentiels du contrat. Au contraire, les parties s’accordent sur l’utilisation de cette technologie pour faciliter l’exécution d’un contrat préalablement conclu. Il y a donc accord de volontés, mais uniquement sur les modalités d’exécution du contrat, c’est-à-dire une exécution au travers du système informatique de la blockchain sur lequel repose le smart contract. Il semble donc délicat d’affirmer qu’il puisse être entendu comme un contrat d’un nouveau genre en se basant sur ce fondement. Ce courant de pensée reste marginal. La majorité des spécialistes du droit et des technologies blockchain s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas d’un contrat mais d’un mode d’exécution du contrat (note 9).

 

Quelle que soit la conception retenue, les smart contracts donnent naissance à des difficultés quant à l’application des règles du droit des obligations, que l’on se positionne tant au stade de la formation du contrat qu’à celui de son exécution. 

 

        II. Enjeux pratiques des smart contracts face aux règles du droit des contrats 

 

Nous ne pouvons nier les aspects positifs dont les acteurs économiques peuvent bénéficier grâce à la technologie des smart contracts, mais parallèlement à cette attractivité économique, cette nouvelle technologie semble engendrer de réelles difficultés juridiques.

 

Le critère de l’automatisation constitue un des avantages majeurs du smart contract. En effet, l’exécution automatisée du contrat conduit à une diminution drastique des coûts intermédiaires. Mais plus encore, l’exécution automatisée du contrat permet de diminuer, voire de supprimer les risques d’impayés puisque, dès lors que la prestation aura été effectuée, le paiement sera instantané. Plus qu’un gain d’argent, l’automatisation permet également un gain de temps, les obligations s’exécutant automatiquement dès la réception de signaux par l’algorithme. Au-delà des avantages du smart contract, il semble être essentiel d’aborder les problématiques que soulève cette technologie au regard de l’application des règles du droit des contrats.

 

Certaines caractéristiques, constituant l’essence même de la blockchain et du smart contract, conduisent à des incompatibilités avec les règles du droit des contrats. Tout d’abord, l’immuabilité de la blockchain est incompatible avec l’application de l’article 1195 du Code civil, lequel prévoit : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ». Le smart contract ne peut, par définition, prendre en compte ce changement de circonstances, sa modification étant rendue impossible du fait de l’immuabilité de la blockchain. Il existe néanmoins des smart contracts dit « actualisables » permettant une plus grande flexibilité vis-à-vis de l'immuabilité des contrats, mais ils n’apportent pas de solution permettant une application effective de l’article 1195 puisqu’il faudrait que l’événement soit préalablement programmé pour que le smart contract puisse être actualisé. Or, l’article 1195 du Code civil vise précisément les cas où la situation n’était pas prévisible. Cet article semble donc, pour l’heure, inapplicable aux smart contracts. Nous pourrions légitimement penser à une solution par l’intervention d’un Oracle, entité permettant de faire le lien entre ce qui se passe dans la blockchain et ce qui se passe à dans le monde réel (note 10), qui informerait sur cet événement imprévisible afin de permettre une application de la révision pour imprévision. Cette solution irait dans le sens d’une ré-introduction du tiers de confiance au sein même du système de la blockchain. Or, le propre de la blockchain est de permettre les échanges de pair-à-pair, supprimant ainsi l’intervention des tiers. Plus encore, cette solution ne saurait ignorer totalement l’immuabilité de la blockchain dans l’absolu. Quand bien même l’Oracle informerait  la blockchain d’un cas d’imprévision, les termes initiaux du smart contract ne seraient toujours pas modifiables. Au mieux, un nouveau smart contract permettrait l’anéantissement du précédent et le codage de nouveaux termes du contrat, prenant ainsi en compte la révision pour imprévision. 

 

L’exécution des smart contracts fait également face à la problématique de la responsabilité, tant au niveau du régime juridique de responsabilité qu’à celui de son imputabilité (note 11). Ainsi, quel régime de responsabilité serait applicable en cas de défaillance du logiciel et, surtout, qui serait responsable de cette défaillance ? La responsabilité serait-t-elle imputable au programmateur du smart contract ? Ne pourrait-il pas bénéficier d’un mécanisme d’exonération de responsabilité compte tenu de la complexité de ces logiciels et de l’impossibilité pour un programmateur d’anticiper et d’identifier tous les problèmes liés à un programme codé sur la blockchain ? La responsabilité serait-t-elle imputable à l’Oracle dès lors qu’il est avéré que les informations fournies par ce dernier sont erronées ? (note 12). Il convient ici de rappeler que la blockchain se définit comme étant un système informatique décentralisé, il apparait, à ce titre difficile, voire impossible, de déterminer avec précision l’origine d’un problème informatique. Or, si nous ne sommes pas capables de connaitre de l’origine de la défaillance, comment l’application d’un quelconque régime de responsabilité pourrait-elle être rendue possible ?

 

Tous ces points constituent autant de questions qui restent en suspens, auxquelles il est indispensable que le législateur apporte des réponses afin de permettre une meilleure intelligibilité des smart contracts, concept innovant qui ne pourra déployer tous ses effets sans un cadre légal déterminé, gage de sécurité juridique. 

Morgane SALEH

ARTICLE 4

ARBITRAGE : L'effet négatif du principe compétence-compétence à

                            l'épreuve du droit de la consommation

           « En l'état de ces énonciations et constatations faisant ressortir que la société́ d'avocats PWC dirigeait son activité́ professionnelle au-delà̀ de la sphère territoriale de son barreau de rattachement, en proposant ses services à une clientèle internationale, domiciliée notamment en France, de sorte qu'en sa qualité de consommateur, Mme R, domiciliée en France, pouvait porter son action devant les juridictions françaises, la cour d'appel a légalement justifié sa décision » (note 1).

 

Le 30 septembre dernier, la Cour de cassation a mis fin à une jurisprudence, datant de 1997, et a effectué le revirement le plus conséquent de cette nouvelle décennie. Elle a ainsi apporté une réponse positive, à une question qui, pourtant, était réfutée depuis l’arrêt Jaguar du 21 mai 1997 (note 2), à savoir celle de la protection du consommateur, parti à un contrat international, contenant une clause compromissoire.

 

L’arrêt en question est donc particulier en sa teneur. En effet, celui-ci apporte une solution innovante en la matière : l’effet négatif du principe compétence-compétence n’impose pas, dans un contrat international, de renvoyer le consommateur devant l’arbitre pour discuter de sa compétence. Cette décision pose alors des limites à ce principe mais vient également ajouter une protection pour le consommateur, qui jusque-là, en matière internationale, était inexistante. 

 

          I. La clause compromissoire en matière de contrats de consommation 

 

Le régime applicable à la clause compromissoire est relativement protecteur vis-à-vis du consommateur (A). Toutefois, celui-ci varie en fonction de l’élément d’extranéité du contrat, et devient parfois un véritable danger pour lui (B). 

 

A- Une volonté ferme de protection du consommateur en matière interne 

 

Par nature, la relation contractuelle entre un professionnel et un consommateur semble déséquilibrée. Le droit de la consommation vise à rééquilibrer ces relations. C’est ainsi que, d’après Calais-Auloy, « il met à la charge des premiers des obligations qui sont autant de droits pour les seconds » (note 3).

En matière de droit de la consommation, et avant même le développement de la matière, la jurisprudence avait toujours été hostile à appliquer une clause compromissoire au consommateur. On se souviendra alors de l’arrêt dit « Prunier », du 10 juillet 1843 (note 4), qui condamnait la généralisation de la clause compromissoire suite au développement des contrats d’adhésion, qui n’aurait fait qu’accentuer le déséquilibre préexistant entre les parties à ce contrat. 

 

La loi du 18 novembre 2016 (note 5)est venue élargir le champ d’application des clauses compromissoires en matière de droit de la consommation. Par la modification de l’article 2061 du Code civil, on accepte qu’un contrat de consommation interne soit soumis à l’arbitrage, pourvu que soit démontrée l’acceptation ultérieure par le consommateur. Celui-ci reste protégé par l’article R.212-2 du Code de consommation qui classe les clauses compromissoires parmi les clauses dites grises, celles dont le professionnel doit prouver qu’elles ne sont pas abusives. D’ailleurs, le second alinéa de l’article 2061 du Code civil dispose que « lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée ». Ainsi, le consommateur aura le choix, soit d’initier une procédure arbitrale conformément à la clause compromissoire contenue dans son contrat, soit de recourir aux juridictions étatiques. La réforme opérée par la loi J21 permet donc au consommateur de choisir la voie qui, selon lui, serait la plus adaptée et la plus favorable à sa situation. 

Si toutefois la clause parait non-négociée, alors, c’est la directive n°93/13/CEE du Conseil des communautés européennes du 5 avril 1993 (note 6) qui sera applicable. L’article 3.1 de cette directive, transposée en droit français aux articles L.212-1 et R.212-2 du Code de consommation, dispose qu’une « clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ». 

Finalement, on pourrait considérer que l’article 2061 du Code civil est plus favorable au consommateur en droit interne, puisque les dispositions du Code de consommation laissent l’opportunité au professionnel de renverser la preuve.

 

Toutefois, cette réponse apportée par les textes relativement aux contrats de consommation internes, n’est pas la même en présence d’un contrat de consommation international, ou du moins, ne l’était pas jusqu’à peu.

 

B- Une solution divergente s’agissant des contrats de consommation en matière internationale

 

En matière internationale, le régime réside dans l’indépendance de la clause par rapport au droit applicable au contrat. Ainsi, l’article 2061 du Code civil, et possiblement les dispositions du Code de la consommation ne peuvent pas trouver application (note 7).

A titre indicatif, rappelons-nous de l’arrêt Jaguar du 21 mai 1997, dont la solution était reprise par l’arrêt Rado du 30 mars 2004 (note 8), qui se positionnait en faveur de la libéralisation de l’arbitrage, en validant une clause compromissoire dans une matière normalement d’ordre public. En conséquence, les juges avaient justifié l’application de la clause compromissoire dont il était question, en affirmant qu’en raison du principe d’autonomie de celle-ci en matière internationale, les contrats internationaux de consommation pouvaient être soumis à l’arbitrage. 

Cette solution paraissait d’autant plus justifiée dans la mesure où elle prônait les intérêts du Commerce international, tout comme dans les arrêts Jaguar et Rado, où il était justement question de contrats de consommation internationaux, qui opéraient des « transferts de fonds et de biens » d’un État à un autre. La solution était rationnelle et cohérente, dans le sens où la clause compromissoire était, et demeure encore, une clause indépendante du reste du contrat. Si celle-ci était soumise au droit français, elle n’aurait pas été valide et serait tombée dans le régime des clauses abusives du code de la consommation, d’après la loi du 18 novembre 2016 et l’article 2061 du Code civil.  En l’espèce, il était question de contrats internationaux, et par l’effet négatif du principe compétence-compétence, le juge français devait déclarer son incompétence et renvoyer directement le litige à l’arbitrage, qui par l’effet positif du principe compétence-compétence, se serait alors déclaré compétent. 

Cette position est d’ailleurs la position partagée par l’article 1448 du Code de procédure civile, aux termes duquel « si un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ». Cela revient donc à déclarer qu’il appartient aux arbitres de statuer sur la validité ou les limites de leur investiture. La juridiction étatique est donc incompétente en la matière, si elle ne constate pas que la convention d’arbitrage est manifestement nulle. 

Finalement, la seule option envisageable pourun consommateur partie à un contrat de consommation international était d’accepter l’effet négatif du principe compétence-compétence, puis de se diriger vers un tribunal arbitral, qui, par l’effet positif du principe compétence-compétence, aurait jugé de l’arbitrabilité de la clause, pour finalement pouvoir revenir vers le juge étatique. 

 

Cette divergence de solutions entre la matière interne et la matière internationale, en ce qui concerne les contrats de consommation, prouvait l’efficacité du principe compétence-compétence, et montrait la détermination, dans la volonté de la Cour de cassation, d’appliquer ce principe strictement.

 

               II. Le naufrage des arrêts Rado et Jaguar : un revirement décisif de la Cour de cassation

 

La Cour de cassation, par son revirement du 30 septembre 2020 (note 9), a donc décidé de faire barrière aux arrêts Rado et Jaguar, en se positionnant « contre » le principe compétence-compétence, et en prouvant la nécessité de protéger le consommateur sur la scène internationale (A). Ce revirement peut ainsi pousser à des interrogations quant à l’efficacité même de ce principe lorsqu’il ne concerne pas des acteurs économiques forts, et par conséquent, inquiéter le monde de l’arbitrage (B). 

 

A- La marginalisation de la Cour de cassation quant au principe compétence-compétence

 

L’arrêt du 30 septembre 2020 vient donc chambouler plus de deux décennies durant lesquelles la Cour de cassation semblait être claire, même si elle manquait parfois de sensibilité à l’égard des consommateurs. 

Ce considérable revirement de jurisprudence fait penser au régime que la chambre sociale appliquait aux travailleurs en matière de clauses compromissoires. Celle-ci juge de manière constante que « la clause compromissoire insérée dans un contrat de travail international n’est pas opposable au salarié qui a saisi régulièrement la juridiction française compétente en vertu des règles applicables » (note 10). On pourrait presque croire en une contradiction avec la première chambre civile, dans la mesure où celle-ci, comme évoqué, ne traitait pas de la même manière les contrats de consommation internationaux. 

 

            En l’espèce, il est question d’une succession en Espagne. Un héritier fait appel à une société d’avocats espagnols pour se faire assister pendant la succession. Suite à un litige survenant entre la société et l’héritier, ce dernier saisit les juridictions françaises. La société soulève une exception d’incompétence des juridictions françaises au profit du tribunal arbitral, en se basant sur la clause compromissoire insérée dans le contrat. Elle se prévaut du principe compétence-compétence et demande à la juridiction française de se déclarer incompétente afin que le tribunal arbitral puisse se prononcer sur sa compétence, tout en justifiant que la clause n’est pas manifestement nulle ou inapplicable. Jusque-là, au regard des solutions rendues antérieurement, le moyen de défense de la société paraissait bien fondé. La Cour d’Appel de Versailles, par un arrêt du 15 février 2018 (note 11), écarte l’exception d’incompétence et retient la compétence des juridictions françaises. De plus, elle en vient à contrôler la validité de la clause, toujours en violation du principe compétence-compétence. Elle juge que la clause n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, et, présentant un caractère standardisé, qu’elle serait abusive. 

La société forme donc un pourvoi en cassation. Contre toute attente, la Cour de cassation le rejette. Pour ce faire, la Cour de cassation fonde sa motivation sur le droit communautaire, et affirme que l’effet négatif du principe compétence-compétence ne saurait faire obstacle à l’exercice des droits conférés au consommateur par le biais de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, et qu’il revient aux juridictions nationales d’en contrôler la sauvegarde et le respect de ceux-ci. 

 

La Cour de cassation a donc continué à examiner la validité de la clause compromissoire, tout en écartant l’effet négatif du principe compétence-compétence. Cela amène d’ailleurs à reconsidérer la portée juridique de ce principe devant les juridictions étatiques, lorsqu’il est question de consommateur international. Cette mise à l’écart du principe et cette volonté d’émancipation de la Cour de cassation serait-elle inquiétante au regard de l’avenir des clauses compromissoires ? 

 

B- L’inquiétant rejet de l’effet négatif du principe compétence-compétence

 

Toutes ces considérations amènent finalement à une question : le champ d’application de l’effet négatif du principe compétence-compétence serait-il en train de se réduire ? 

Le premier élément qui viendrait ici à l’esprit serait le cas, mentionné précédemment, d’une clause compromissoire dans un contrat de travail international, pour lequel est l’application du principe compétence-compétence comme cité précédemment. En constatant qu’après le contrat de travail international, c’est désormais au tour du contrat de consommation international de faire l’objet d’un rejet de l’effet négatif du principe compétence-compétence, on pourrait en conclure que celui-ci serait systématique dans les rapports contractuels mettant en relation une partie faible et une partie forte. On pourrait, pour cela, citer le Professeur Fontmichel, pour qui les « faibles ne devraient pas être confrontés à cette justice privée considérée comme l’apanage du monde des affaires et des puissants » (note 12).

Le rejet de l’effet négatif du principe compétence-compétence pourrait ainsi inquiéter le monde de l’arbitrage, dans la mesure où ce dernier pourrait s’avérer être inadapté au règlement de différends dont l’enjeu serait moindre, et c’est ce pourquoi la clause compromissoire avait été écartée dans l’arrêt dit « Prunier » de 1843. 

Finalement, la question serait de savoir si la clause compromissoire, insérée dans un contrat naturellement déséquilibré, accroît ce déséquilibre ? Par exemple, dans le cas des contrats de franchise, on aurait tendance à penser que la clause compromissoire constitue une clause abusive. Ce pourrait être le cas dans un contrat de distribution également, au sens du droit civil. Au sens du droit de la consommation, évidemment, cela n’aurait aucune incidence dans la mesure où le contrat de franchise ne met pas en relation un consommateur ou un non-professionnel et un professionnel. On peut donc considérer que dans les contrats de franchise, il n’y aurait pas de « partie faible », dans le sens où les deux parties sont des professionnels. 

Dans cet arrêt, la cour d’appel a caractérisé le déséquilibre significatif, en ce que le consommateur se voyait imposer le recours à l’arbitrage. Comme la clause compromissoire conduisait à soustraire le différend de la compétence du juge étatique, celle-ci empêchait donc, assez logiquement, l’application de la directive en matière de clauses abusives.

 

Dès lors, il est opportun de se demander si la justice contractuelle ne plaiderait-elle pas pour un bannissement des clauses compromissoires au sein de contrats par nature déséquilibrés entre une partie forte et une partie faible ? Si la réponse peut faire débat, la question mérite, pour sa part, d’être soulevée. 

Asya CEKIC

Note 1 : Civ. 1ère, 30 sept. 2020, FS-P+B, n°18-19.241

Note 2 : Civ. 1ère, 21 mai 1997, n°95-11.427 et n°95-11.427

Note 3 : « Droit de la consommation », Jean Calais-Auloy, Éditions Dalloz, février 2020

Note 4 : Civ., 10 juill. 1843, Cie L’alliance c/ Prunier

Note 5 : Loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle

Note 6 : Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, transposée par la loi n°95-96 du 1er février 1995

Note 7 : Arrêt « Zanzi », Civ. 1ère, 5 janv. 1999, n°96-21.430

Note 8 : Civ. 1ère, 30 mars 2004, n°02-12.259

Note 9 : Civ. 1ère, 30 sept. 2020, FS-P+B, n°18-19.241

Note 10 : Soc., 16 févr. 1999, n°96-40.643

Note 11 : CA Versailles, 15 févr. 2018, n°17/03779

Note 12 : « Le faible et l’arbitrage », Maximin de Fontmichel, éditions Economica, Avril 2013

ARTICLE 5

SURETES : L'associé caution des dettes sociales et la disproportion

                      Cour de cassation, chambre commerciale, 7 octobre 2020

                      n° 19-13.135

       Le 7 octobre dernier, la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée sur l’interprétation de l’exigence de proportionnalité du contrat de cautionnement. A cet égard, il semble que cette condition d’efficacité du cautionnement pose, encore aujourd’hui, des questions relatives à son appréciation par le juge.

L’analyse de cet arrêt suppose de rappeler brièvement les contours de cette condition de proportionnalité du cautionnement, dont le contenu a fait l’objet de nombreux revirements et devrait à l’avenir connaître de nouvelles mutations avec le projet de réforme du droit des sûretés. Ce n’est qu’à la suite de cette étude que sera évoqué le cœur de l’arrêt en question. 

 

             I.  De la proportionnalité du cautionnement 

 

A l’origine restreinte au champ du droit de la consommation, l’exigence de proportionnalité du cautionnement a vu son champ d’application s’étendre, puis se réduire au gré des évolutions jurisprudentielles impulsées par la Cour de cassation (notamment Cass. Com. 17 juin 1997, « Macron », n° 95-14.105 ; et Cass Com. 8 oct. 2002, « Nahoun », n° 99-18.619). Elle se fonde aujourd’hui sur le texte de l’article L.332-1 du Code de la consommation, dans sa version postérieure à la Loi du 1er août 2003, qui prévoit qu’« un créancier professionnel ne peut pas se prévaloir du cautionnement consenti par une personne physique s’il était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution, à moins que le patrimoine de celle-ci, au moment où elle est appelée, lui permette de faire face à son engagement ». Il est donc entendu que cette disposition ne concerne que les rapports entre une caution personne physique et un créancier professionnel. 

 

Cette condition d’effectivité de la mise en œuvre du cautionnement visant à protéger la caution doit alors se fonder sur une appréciation de la proportionnalité entre le patrimoine de la caution et son engagement. La particularité de celle-ci réside dans la temporalité de cette appréciation. Il faut considérer que le texte prévoit un principe d’appréciation au jour de la conclusion, mais également une exception permettant de vérifier si, au jour de l’appel de la caution, l’engagement est manifestement disproportionné au regard de ses capacités financières. In fine, il faut estimer que la réelle appréciation de la disproportion doit être effectuée au regard du patrimoine au jour de l’appel de la caution par le créancier. 

 

Dès lors, il faut remarquer que cet article est un instrument efficace pour protéger une caution personne physique s’engageant envers un créancier professionnel. Et ce, d’autant plus, que la sanction de la disproportion se fonde aujourd’hui sur l’impossibilité totale d’agir contre la caution. Il faut noter que l’avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’Association Capitant prévoit de renoncer à cette sanction radicale qui a cristallisé de nombreuses critiques. Si ce dernier venait à se concrétiser, la réduction deviendrait la nouvelle sanction, de sorte à rétablir un peu plus d’équilibre dans les rapports au sein du contrat de cautionnement. 

 

     II.  De l’appréciation de la disproportion pour les associés cautions de dettes sociales

 

En dépit de la relative clarté du texte, un grand nombre d’interrogations ont vu le jour en jurisprudence, au sujet de l’interprétation de la disproportion, qui n’ont semble-t-il pas toutes été épuisées. En ce sens, le récent arrêt du 7 octobre 2020 de la chambre commerciale est venu trancher une nouvelle problématique sur l’interprétation de la disproportion.

 

La question qui se posait à la Cour était celle de l’évaluation du patrimoine de l’associé caution des dettes sociales : fallait-il prendre en compte le passif de la société pour évaluer la valeur des parts sociales au sein du patrimoine de l’associé s’étant porté caution ? 

 

La Cour répond par la positive, indiquant clairement que la disproportion du cautionnement devait être appréciée, en prenant en compte la valeur nette du patrimoine de la caution, ce qui implique de tenir compte du passif social pour évaluer les parts de ce dernier. Ainsi, il faudra retenir de cet arrêt, que lorsqu’une caution garantit le remboursement d’un prêt consenti à une société dans laquelle elle détient des parts sociales, l’évaluation de ces titres, partie intégrante de son patrimoine, doit tenir compte du passif social. 

 

Cet arrêt s’inscrit alors dans le sillage d’une jurisprudence assez constante dans la protection de la caution. Il avait été, par le passé, déjà estimé qu’il était nécessaire de prendre en considération la valeur des parts et des comptes courants d’associés pour apprécier la disproportion (Cass. com. 26 janvier 2016, n°13-28.378). 

 

La Cour de cassation persiste et signe, ce qui devrait par ailleurs perdurer dans la postérité de cet arrêt. Il ne fait aucun doute que la nouvelle sanction que devrait instaurer la future réforme conduira les juges à se montrer toujours plus vaillants dans la protection des cautions personnes physiques qui s’engagent envers des créanciers professionnels. Ainsi, si la nouvelle sanction devrait rétablir un semblant d’équilibre pour protéger les droits des créanciers, tout porte à penser que l’interprétation de la disproportion devrait se poursuivre en faveur des cautions.

Valentin ROUSSET

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