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Deuxième numéro, Février 2020

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SOMMAIRE

Marine ENINGER

Paulin MAGIS

Christopher DE HARO

Article 1

Responsabilité civile : Réaffirmation ferme de l'arrêt Myr'Ho-Boot Shop - Inexécution contractuelle et responsabilité délictuelle

 (Cass. Ass. Plèn., 13 janvier 2020, n°17-19.964, P+B+R+I)

       Après des divergences et des hésitations, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation avait retenu le 6 octobre 2006 que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (note 1). Comme le précise la Haute juridiction de l’ordre judiciaire dans son arrêt du 13 janvier 2020 (note 2), et grâce à la nouvelle rédaction de ses arrêts, l’objectif de ce principe était de faciliter l’engagement de la responsabilité par le tiers au contrat en cas d’inexécution contractuelle lui causant un dommage, alors qu’il ne pouvait prouver de violation d’une obligation générale de prudence ou de sécurité ou de la violation du devoir de ne pas nuire à autrui. En effet, lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, les éléments permettant d’engager la responsabilité sont réunis, « le manquement contractuel étant en soi un fait illicite » (note 3).

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       La portée de l’arrêt de 2006, habituellement désigné comme l’arrêt Myr’ho-Boot Shop, a initialement été reprise par les différentes chambres de la Cour de cassation. Néanmoins, ces dernières années, une sorte de résistance s’était mise en place, notamment entre la 1ère Chambre Civile (note 4), la 2e Chambre Civile (note 5) et la Chambre Commerciale (note 6). L’Assemblée Plénière a donc remarqué qu’il existait des « incertitudes qu’il appartient à la Cour de lever » (note 7). Ainsi, au visa des anciens articles 1165, consacrant l’effet relatif des contrats et le fait qu’ils ne peuvent nuire aux tiers, et 1382 (devenu 1240) du Code civil, la Haute juridiction de l’ordre juridique réaffirme l’attendu fondamental de l’arrêt Myr’Ho-Boot Shop, en le reprenant à la lettre près.

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      Dès l’arrêt de 2006, des auteurs ont pu affirmer que la Cour de cassation avait abandonné la relativité de la faute contractuelle (note 8) pour consacrer le principe d’identité des fautes délictuelles et contractuelles (note 9). Pourtant, l’application de ce principe d’assimilation a été très critiquée. En effet, le tiers au contrat, s’il a subi un dommage, peut désormais de manière certaine se fonder sur une faute contractuelle pour engager la responsabilité délictuelle d’un des cocontractants. En conséquence, il peut opposer le contrat à l’une de ses parties, à cause de laquelle ce tiers a subi un préjudice du fait de l’inexécution contractuelle. Néanmoins, le cocontractant débiteur ne pourra pas se défendre en opposant certaines stipulations contractuelles qui lui auraient été favorables, et ce en raison de l’effet relatif des contrats (ancien article 1165, aujourd’hui 1199 du Code civil). « Cette incohérence et cette injustice », selon Patrice Jourdain (note 10), déjà critiquées en 2006, seront à n’en pas douter à nouveau pointées du doigt par les commentateurs dans les prochains mois.

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       A la différence de l’arrêt Myr’Ho-Boot Shop, un nouvel élément de contexte existe en 2020 : le projet de réforme de la responsabilité civile. Celui-ci prévoit en son article 1234 alinéa 1er que « Lorsque l'inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l'un des faits générateurs visés à la section II du chapitre II » (note 11). Ainsi, le projet de réforme maintient l’engagement de la responsabilité délictuelle, le tiers au contrat n’étant pas une partie. Néanmoins, ce texte s’avère moins protecteur que les jurisprudences de 2006 et de 2020 car ce tiers devra démontrer l’un des faits générateurs de la section 2 du chapitre 2, c'est-à-dire le fait d’une chose ou le fait d’autrui dont le débiteur est responsable, ou alors une faute, mais la faute contractuelle n’est pas prévue. Le tiers devra donc apporter la preuve de « la violation d'une prescription légale ou le manquement au devoir général de prudence ou de diligence » (note 12).

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      Le projet de réforme de la responsabilité civile prévoit néanmoins une exception : « Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables » (note 13). Ainsi, à la condition d’avoir un intérêt légitime, le tiers peut agir, ce qui est totalement innovant, sur le fondement de la responsabilité contractuelle et ne pas avoir à démontrer de fait générateur de la responsabilité délictuelle, puisque la simple inexécution causant un dommage est un fait générateur de la responsabilité contractuelle. Ainsi, à la preuve d’un fait générateur de responsabilité délictuelle, le projet de réforme permet de substituer la preuve d’un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat. Ce nouveau standard juridique ne manquera pas de poser des questions en pratique, notamment quant à son domaine. Enfin, cet article prévoit que « Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite », afin d’éviter des limitations de responsabilité à l’égard des tiers, sans que ceux-ci n’aient pu les accepter, n’étant évidemment pas parties au contrat.

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      En réalité cette double possibilité de mise en œuvre de la responsabilité offerte au  tiers, qui peut interroger au regard du principe de non-option des responsabilités, avait déjà été envisagée dès 2006 par la doctrine, afin de tenter de trouver une solution plus équitable pour les parties comme pour les tiers, après l’arrêt de 2006 (note 14). 

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      En conclusion, par cet arrêt de début d’année, l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation réaffirme très fermement sa jurisprudence de 2006. Toutefois, il semblerait que cette solution soit vouée à être contredite dans les prochains mois ou années au vu des articles du projet de réforme de la responsabilité civile. Il est néanmoins possible de s’interroger sur l’impact qu’aura cet arrêt lors des dernières discussions de ce projet, toujours susceptible de modifications. 

Marine ENINGER

Note 1 : Cass. Ass. Plén., 6 octobre 2006, n°05-13.255 : Bull. 2006, Ass. plén, n° 9.

Note 2 : Cass. Ass. Plén., 13 Janvier 2020, n°17-19.963.

Note 3 : VINEY (G.), « La responsabilité du débiteur à l’égard du tiers auquel il a causé un dommage en manquant à son obligation contractuelle », D. 2006. p. 2825.

Note 4 : Cass. Civ 1e, 15 décembre 2011, n°10-17.691.

Note 5 : Cass. Civ 3e, 18 mai 2017, n°16-11.203 : Bull. 2017, III, n° 64.

Note 6 : Cass. Com, 18 janvier 2017, n°14-18.832, 14-16.442.

Note 7 : Cass. Ass. plén., 13 Janvier 2020, n°17-19.963.

Note 8 : PORCHY-SIMON (S.), Droit civil, Les obligations, Paris, éd. Dalloz, Coll. Hypercours, S. PORCHY-SIMON, 12ème édition, p. 257.

Note 9 : AMRANI-MEKKI (S.) et FAUVARQUE-COSSON (B.), « Droit des contrats », D. 2007. p. 2966.

Note 10 : ibid.

Note 11 : Projet de réforme de la responsabilité civile de mars 2017, article 1234 alinéa 1er.

Note 12 : Projet de réforme de la responsabilité civile de mars 2017, article 1242.

Note 13 : Projet de réforme de la responsabilité civile de mars 2017, article 1234 alinéa 2.

Note 14 : JOURDAIN (P.), « La Cour de cassation consacre en Assemblée plénière le principe d'identité des fautes contractuelle et délictuelle », RTD Civ. 2007, p. 123.

Article 2

Consommation : La clause de déclaration de valeur liant un professionnel et un consommateur toujours présumée irréfragablement abusive (Cass. Civ 1ère, 11 décembre 2019, n°18-21164, P+B+I)

      Le caractère abusif des clauses limitatives de responsabilité entre professionnel et consommateur fait l’objet d’une règlementation établie, par le législateur, depuis déjà un certain temps, et qui n’est plus sujette à débat. On en retrouve trace dès la loi du 10 janvier 1978 à l’origine de la protection des consommateurs contre les clauses abusives et est désormais évoquée aux articles L.212-1 et R.212-1 du Code de la consommation. Le législateur a pris soin de déléguer au pouvoir règlementaire l’élaboration de deux listes de clauses, une liste « noire » composée de clauses présumées irréfragablement abusives et une autre « grise » qui contient des clauses simplement réputées abusives, à charge pour le professionnel de prouver le contraire.

 

      L’arrêt de la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation du 11 décembre 2019 ne remet pas en question cette règlementation. Au contraire, il se borne à appliquer strictement cette dernière en faisant application de la liste « noire » des clauses présumées irréfragablement abusives à une clause du contrat en cause. Celle-ci relève bien, selon la Cour, de l’article R.212-1 6° du Code de la consommation qui interdit toute clause visant à « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ». L’arrêt ne semble pas mériter davantage de développement. Pourtant il convient de souligner l’originalité de cette affaire, le consommateur se prévalait du caractère abusif d’une clause de déclaration de valeur qu’il a complété unilatéralement, sans l’intervention du professionnel (note 1). 

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      En l’espèce, un particulier avait fait appel à une société de déménagement. Lors du trajet, deux meubles sont endommagés, des réserves sont alors inscrites sur la lettre de voiture et le particulier a assigné la société en indemnisation du préjudice subi. La lettre de voiture, formant le contrat entre les parties, mentionne une clause fixant le montant de l’indemnisation éventuelle pour les meubles non listés à 152 euros pour chaque meuble. Le professionnel a donc tenté d’invoquer l’application de cette clause afin de limiter sa responsabilité. Ce qui doit attirer l’attention est que cette clause de déclaration de valeur a été remplie de manière unilatérale par le consommateur. En effet, le montant de l’indemnisation éventuelle a été fixé unilatéralement par ce dernier, sans intervention de l'entreprise de déménagement qui l'a acceptée. Le jugement rendu en premier et dernier ressort se fonde notamment sur cet argument pour rejeter le caractère abusif de la clause et en conséquence la demande du consommateur (note 2). Se posait alors la question de savoir si ces clauses de déclaration de valeur peuvent s’appliquer et aboutir à limiter le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur.

 

      En droit, la Cour de cassation s’oppose à l’avis de la Commission des clauses abusives (Recom. N°82-02) et répond par la négative en reconnaissant le caractère abusif d’une telle clause. La Cour se base sur la rédaction l’article L.212-1 du Code de la consommation, celui-ci n’opérant aucune distinction selon que la clause abusive est négociée entre les parties ou imposée par l’une d’elles, contrairement au droit commun et à l’article 1171 du Code civil. De la même manière, la liste « noire » de l’article R.212-1 sanctionne toutes les clauses limitatives de responsabilité, sans aucune distinction (note 3). On retrouve dans ce raisonnement la logique du droit de la consommation : il s’agit de protéger de façon automatique une catégorie de contractants, le consommateur, plutôt que de protéger les volontés individuelles (note 4). Une clause visant à limiter le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur est forcément abusive, qu’importe que le montant de l’indemnisation ait été fixé par le consommateur. En ce sens, la clause de déclaration de valeur entre déménageur professionnel et consommateur, ayant pour finalité de limiter la responsabilité du déménageur en cas de perte ou d’avarie, ne peut qu’être présumée irréfragablement abusive. La Cour entend favoriser la protection du consommateur en appliquant strictement la règlementation et tient à faire connaître cette décision aux juges du fond et à la Commission des clauses abusives, en publiant cet arrêt au Bulletin des arrêts des chambres civiles et au BICC.

Paulin MAGIS

Note 1 : CATTALANO (G.), « Une clause présumée irréfragablement abusive est abusive, même si elle est rédigée par le consommateur », L’ESSENTIEL Droit des contrats, 2020, N°01 p. 3.

Note 2 : WOLTERS KLUWER FRANCE - https://www.actualitesdudroit.fr  « gare aux clauses limitatives de responsabilité dans les contrats de déménagement », 16 décembre 2019.

Note 3 : CATTALANO (G.), op. cit., p. 3.

Note 4 : Ibid.

Article 3

Les grands débats du droit des contrats : Faut-il maintenir
la condition de prévisibilité du dommage en responsabilité contractuelle ?

      A la fin de l’année 2019, le Gouvernement a annoncé que les discussions concernant la réforme de la responsabilité civile allaient se tenir à partir du dernier trimestre de 2020. Parmi les questions soulevées par ce sujet, se pose, depuis longtemps, celle du maintien ou non de la condition de prévisibilité du dommage dans le cadre de la responsabilité contractuelle. Alors que l’avant-projet de réforme conserve cette condition en précisant, dans son article 1251, que « sauf faute lourde ou dolosive, le débiteur n'est tenu de réparer que les conséquences de l'inexécution raisonnablement prévisibles lors de la formation du contrat », un débat a eu lieu au sein de la promotion du M2 Droit et Pratique des Contrats entre deux étudiants aux avis divergents…

Au soutien de la suppression de la condition de prévisibilité

      Pour commencer, la notion même du « dommage prévisible » pose question. Le dommage dont la survenance est prévisible, mais dont l’étendue est imprévisible, est-il réparable ? Le dommage corporel doit-il être présumé prévisible ? Qu’en est-il du dommage qui devient prévisible postérieurement à la conclusion du contrat mais antérieurement à l’inexécution de l’obligation ? Lorsque la créance a été cédée, comment doit s’apprécier la condition de prévisibilité du dommage au regard de la situation du créancier-cessionnaire ? Ces interrogations, avant toute discussion sur le contenu de la règle, fragilisent la légitimité de la condition de prévisibilité du dommage, condition parfois éludée par la jurisprudence (note 1).

Au soutien du maintien de la condition de prévisibilité

      En réalité, ces interrogations n’existent qu’en raison d’une incompréhension quant à la notion de prévisibilité du dommage. Le contrat est par nature un acte de prévision. Ainsi, que prévoient les parties lorsqu’elles contractent ? A titre principal, l’exécution des obligations, ainsi que tous leurs accessoires, et notamment une possible inexécution. Par conséquent, le dommage prévisible pourrait en réalité être l’inexécution de l’une des obligations prévues au contrat. Autrement dit, ce qui est prévu par les parties, c’est la conclusion d’obligations, donc n’est prévu de manière certaine que le dommage causé par l’inexécution de l’une d’entre elles. Ainsi, seul ce dommage précis peut être prévu par les parties, mais pas celui qui peut survenir du fait des conséquences de cette inexécution. En effet, de telles conséquences ne rentrant en principe pas dans la sphère contractuelle, elles n’ont pas pu être objectivement prévues par les parties. Cette conception objective de la prévisibilité est celle retenue par la Cour de cassation (note 2). A titre d’exemple, dans un contrat de vente, ne sont prévisibles que les dommages constitués par la non-délivrance du bien vendu et par l’absence de paiement du prix par l’acquéreur. Pour ce qui est de la créance cédée à un tiers, avec cette définition de la prévisibilité, aucune difficulté ne se pose. En effet, le cessionnaire a nécessairement connaissance des obligations que le débiteur doit exécuter, et ainsi, le dommage résultant de l’inexécution d’une de celles-ci est nécessairement prévisible.

      Avec l’objectif de limiter les cas d’engagement de la responsabilité contractuelle, cette définition de la prévisibilité, tout comme le Code civil, semblent effectuer une double confusion.

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      D’une part, en considérant que le dommage est établi par la seule inexécution de l’obligation, il est fait un amalgame entre le fait générateur de responsabilité et le dommage réparable. Ces deux éléments, pourtant distincts, sont alors constitués par le même fait : l’inexécution contractuelle. D’autre part, une confusion est faite entre « prévisibilité du dommage » et « causalité directe ». Il ressort des articles 1231-3 et 1231-4 du Code civil  que ne sont réparables que les dommages directs. Toutefois, tout dommage directement causé par l’inexécution n’est pas toujours prévisible et, a contrario, tout dommage prévisible n’est pas nécessairement la résultante directe de l’inexécution (note 3). Or, s’il est compréhensible que le législateur ne veuille pas ouvrir l’indemnisation aux dommages indirects, il serait bénéfique pour un meilleur équilibre entre les parties d’ouvrir l’indemnisation à tous les dommages trouvant leur cause directe dans l’inexécution de l’obligation.

      Une nouvelle fois, il faut revenir au principe : est prévisible l’exécution de l’obligation. Le dommage réparable étant l’inexécution de l’obligation, et l’obligation étant elle-même prévisible, une inexécution contractuelle ne peut conduire qu’à un dommage prévisible dans le cadre du contrat. Pour ce qui est du dommage prévisible, mais non direct, ce n’est plus le critère de la prévisibilité dont il est question, mais celui du lien de causalité. Ainsi, si un dommage est prévisible mais ne cause pas de préjudice direct, la responsabilité ne pourra être recherchée, du seul fait de l’absence de lien de causalité. Autrement dit, la prévisibilité du dommage d’origine contractuelle est une condition d’engagement de la responsabilité contractuelle (note 4). Quant à lui, le critère du caractère direct ou non de l’inexécution porte uniquement sur le calcul des dommages et intérêts (note 5), et non sur l’engagement de la responsabilité. Les concernant, Pothier prévoyait d’ailleurs que seuls ceux intrinsèques, autrement dit ceux réparant directement le préjudice à la chose même objet de l’inexécution, ouvraient droit à réparation, alors que les dommages et intérêts extrinsèques, c'est-à-dire ceux que l’inexécution aurait occasionné « d’ailleurs dans ses autres biens » ne peuvent être réparés (note 6).

      Cette exception ou dérogation au principe de réparation intégrale du préjudice peut se justifier par le domaine de la responsabilité. En effet, il convient de rappeler que la responsabilité contractuelle est distincte de la responsabilité délictuelle, ou tout du moins que leurs régimes sont différents du fait de la conclusion du contrat, acte de prévision. Une telle prévision ne peut pas être admise dans le domaine de la responsabilité délictuelle, faute d’acte de prévision tel qu’un contrat. C’est sur cette même justification que se fonde la possibilité de clauses limitatives de responsabilité en matière contractuelle, ce qui est refusé en matière délictuelle.

      Cependant, cette distinction entre dommages et intérêts intrinsèques et extrinsèques crée, en matière de responsabilité contractuelle, « une dérogation difficilement justifiable au principe de la réparation intégrale » (note 7). Selon ce principe, dès lors que les conditions de mise en jeu de la responsabilité sont réunies, la personne lésée doit obtenir une réparation égale à la perte qu’elle a subie, sans que celle-ci ne puisse être inférieure (note 8). Or, l’exigence de prévisibilité du dommage fait qu’alors que les conditions de la responsabilité sont réunies, il est refusé à la victime de se voir remise dans le statu quo ante, ce qui constitue une atteinte excessive au principe de réparation intégrale. Par exemple, la Cour de Cassation refuse de considérer que le fait de rater un avion suite au retard ou à l’annulation du train devant mener le voyageur à l’aéroport est un dommage prévisible pour le transporteur ferroviaire susceptible de réparation (note 9). Ainsi, le voyageur pourra être indemnisé pour le retard du train mais pas pour avoir raté son avion, ce qui constitue bien une atteinte au principe de réparation intégrale. Si une telle exception pourrait se comprendre en présence de cocontractants professionnels de même spécialité, aucune disposition n’exclut cette condition de prévisibilité pour les contrats conclus avec un non-professionnel ou un consommateur. De même, cette règle ne fait pas l’objet d’aménagements en présence d’un contrat d’adhésion (note 10). Le recours à ce standard juridique place alors l’ensemble des créanciers dans une situation d’incertitude, dans la mesure où les conséquences d’une inexécution pourront potentiellement peser sur leur tête. Il est donc reproché au créancier insatisfait d’avoir mal choisi son débiteur ou, pire encore, de lui avoir accordé une trop grande confiance.

      Conclusions du débat : En réalité, la réponse à cette question dépend de la manière dont est appréhendée la nature des dommages et intérêts contractuels (note 11). Certains estiment que les dommages et intérêts contractuels ont une nature indemnitaire, tout comme ceux délictuels (note 12). Le but étant alors la réparation du préjudice, le critère de prévisibilité devrait être écarté afin de compenser l’intégralité du préjudice subi par le créancier. D’autres, auteurs au contraire, affirment que les dommages et intérêts contractuels sont en réalité un mode de paiement forcé, et constituent donc une exécution par équivalent de l’obligation (note 13). Ainsi, pour ces auteurs, seul ce qui a été prévu dans l’obligation contractuelle peut donner lieu à exécution forcée, et donc à des dommages et intérêts. Par conséquent, la première question à laquelle il faudrait répondre est la suivante : de quelle la nature sont les dommages et intérêts contractuels ?

Marine ENINGER
Christopher DE HARO

Note 1 : RADE (Ch.), « Caractère prévisible du dommage », RCA n°5, 2008, comm. 158.

Note 2 : Cass. Civ 1ère, 25 janvier 1989 : Bull. Civ. 1989, I, n°40.

Note 3 : FALIN (J.), « La réparation du dommage contractuel prévisible », Dr. et patr. n°181, 1er mai 2009, p. 50.

Note 4 : Article 1231-3 du Code civil.

Note 5 : Article 1231-4 de Code civil.

Note 6 : POTHIER, Des obligations, n°161.

Note 7 : MAZEAUD-TUNC, t. II n°1395 et s.

Note 8 : Cass. Civ 2e, 12 mai 2011 : D. 2012, Pan. 47, obs. Ph. Brun et O. Gout ; Gaz. Pal., 13-16 juill. 2011. 34, obs. C. Bernfeld.

Note 9 : Cass. Civ 1ère, 28 avril 2011, n°10-15.056 : D. 2011, p. 1290, obs Gallmeister ; RDC 2011, p. 1157, obs Laithier

Note 10 : Sur la prévisibilité du dommage dans les contrats d’adhésion, voir C. Moille, « De la réparation des seuls dommages prévisibles en matière contractuelle », RLDC 2014/112 n°5290.

Note 11 : BACACHE (M.), D. 2011, p. 1725.

Note 12 : BRUN (A.), Rapports et domaines des responsabilités contractuelles et délictuelles, Thèse Lyon 1930.

Note 13 : REMY (Ph.), « La responsabilité contractuelle : histoire d’un faux concept », RTD Civ. 1997, p. 323.

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