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Septième numéro, mai 2021
SOCIETES : L'article L.227-19 du Code de commerce : analyse des imprécisions au regard des droits fondamentaux
En raison des impératifs de la pratique des affaires, l’action bénéficie de modalités de cession simplifiées qui peuvent être aménagées contractuellement par les statuts. Pourtant, la propriété d’une action dépend du droit fondamental qu’est la propriété. Cette analyse propose une réponse aux incertitudes de l’article L. 227-19 alinéa 1er du Code de commerce en se fondant sur ce droit constitutionnel et conventionnel.
LE BAIL COMMERCIAL : le tiraillé de la crise de la Covid-19
Retour sur une année juridique de crise sanitaire
Alors que les français connaissaient les crises économiques, politiques, climatiques, l'année précédente, ils ont eu goût à un nouvel ennemi : la crise de la Covid-19. Voilà maintenant une année que le monde se noie dans un océan pandémique, que les pouvoirs publics réinventent des restrictions datant de la Seconde Guerre Mondiale, et que les commerçants pataugent pour faire vivre leur gagne-pain.
Face à cette bataille, la jurisprudence "covidienne" a été le meilleur allié pour éclairer les locataires de baux commerciaux quant à leurs obligations vis-à-vis des bailleurs. Retour sur une année de décisions...
Par Asya CEKIC
Par Marine ENINGER
DROIT ET PRATIQUE DE LA CLAUSE RÉSOLUTOIRE : La liberté contractuelle au service de la rupture d’une relation de droit
La récente réforme du droit des obligations a consacré un cadre textuel applicable aux clauses résolutoires. Aussi le régime jurisprudentiel a-t-il été consacré pour donner naissance à un socle commun au cœur du droit des obligations, et ce bien que certaines règles demeurent encore aujourd’hui exclusivement prétorienne.
Cet article vous propose une véritable autopsie de ces clauses cruciales pour les praticiens du droit. Il s’agira donc de cerner les principaux éléments de leur régime et les mentions essentielles pour leur rédaction. Se voulant synthétique, il n’envisagera cependant que partiellement les problématiques inhérentes à cette technique contractuelle, pour se focaliser sur les points les plus intéressants.
INTERNET : politique des cookies sur internet et recueil du consentement des utilisateurs
Outils de notre quotidien dans le cadre de nos navigations Internet, les cookies dissimulent et contiennent de véritables enjeux intéressants tout particulièrement le droit. Au-delà de permettre une optimisation lors de nos passages sur l’Internet ainsi qu’une amélioration de la structure des sites qui les utilisent, les cookies semblent d’ores et déjà être un instrument servant de tout autres intérêts. La récolte des données induites par ces derniers posent en effet question quant à la protection certes des données personnelles, mais aussi et surtout du consentement. Libre et éclairé tels que l’ordonnent les principes impérieux du droit civil, la validité du consentement semble grandement remise en question. À l’ère d’une navigation Internet dont les cookies sont les principaux vecteurs, quelle protection pour le consommateur ?
Par Yaël AMRANI & Valentin ROUSSET
DECOUVERTE : le droit des contrats mauricien : système juridique mixte
Cet article présente le droit des contrats mauricien et décrit la façon dont la colonisation française et britannique ont influencé l'état actuel de celui-ci. Cette influence explique pourquoi l'île Maurice a aujourd'hui un système mixte.
Par Julie CHARLES
Valentin ROUSSET
Asya CEKIC
Julie CHARLES
Morgane SALEH
Marine ENINGER
Yaël AMRANI
DROIT ET PRATIQUE DE LA CLAUSE RÉSOLUTOIRE : La liberté contractuelle au service de la rupture d’une relation de droit
Chers lecteurs,
Cet article, qui traite d’un sujet déjà évoqué par la Doctrine à de nombreuses reprises, a été rédigé dans l’optique de rendre plus accessible le mécanisme et la pratique de la clause résolutoire. En ce sens, cet exposé se veut synthétique et n’envisage que partiellement le régime de cette technique contractuelle, pour se focaliser sur les points essentiels. Aussi, il s’adresse tant aux professionnels qu’à toute personne désireuse de s’informer sur la matière, en traitant tant les aspects légaux que les conseils de rédaction. Nous retenons l’attention des lecteurs sur l’importance de consulter un professionnel du droit dans leurs démarches juridiques.
I. Régime de la clause résolutoire
« (…) Les clauses résolutoires (…), lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er » énonce l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relativement à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.
Aussi la pandémie du Covid-19 et les mesures édictées par ordonnances par le gouvernement nous poussent-elles à nous questionner sur l’utilité et les conditions d’application de mécanismes contractuels souvent malmenés par leurs rédacteurs. A ce titre, nous envisagerons l’étude de l’une de ces clauses : la clause résolutoire.
Si la stipulation d’une clause résolutoire dispose d’un aspect pratique, en plus d’un effet commutatif, c’est surtout celui de permettre un (quasi-)automatisme de la résolution du contrat. Ainsi, il n’est pas toujours nécessaire d’avoir recours au juge. A cet égard, elle se distingue notamment de ses consœurs en ce que la gravité de l’inexécution de l’obligation n’est pas à prendre en compte pour sa mise en œuvre. Cependant et compte tenu de l’étendue de son pouvoir, l’application d’une telle stipulation reste soumise à de nombreux éléments.
En effet, s’affranchir d’un contrat n’est pas un acte anodin et c’est notamment ce qui motive la sévérité d’appréciation des juges quant à l’application d’une clause résolutoire. Ainsi, la Cour de cassation a considéré à de nombreuses reprises que la clause résolutoire ne peut produire d’effets que dans la mesure où elle serait dépourvue de toute ambigüité. Son appréciation, indubitablement restrictive, enjoint de fait les parties à une attention toute particulière quant à la rédaction même de cette stipulation.
En ce sens, l’article 1225 du Code civil indique que « la clause résolutoire précise les engagements dont l'inexécution entraînera la résolution du contrat ». Il convient donc d’être exhaustif quant aux inexécutions entraînant la mise en œuvre de la stipulation. Ce faisant, il est notable que le législateur semble enjoindre les rédacteurs à faire preuve d’une précision maximale lors de la mention des inexécutions entraînant la résolution du contrat, auquel cas la clause résolutoire se trouverait privée d’effet.
Par principe facultative à l’exercice d’autres voies de recours contre l’inexécution du débiteur, la clause résolutoire reste subordonnée à une mise en demeure (s’avérant infructueuse). Aussi, selon l’article 1225 du Code civil, cette dernière doit-elle mentionner expressément ladite clause. Il a par ailleurs été précisé par la haute juridiction qu’elle doit « indiquer de façon précise les manquements auxquels il devait être remédié » dans un arrêt du 11 octobre 1977.
A titre préventif ou d’opportunité, rien n’empêche les parties de prévoir que la/les simple(s) inexécution(s) mentionnée(s) au sein de la clause n’emporte(nt) automatiquement la résolution du contrat sans mise en demeure. Plus encore, l’article 1225 du Code civil prévoit lui-même cette possibilité, en disposant l’option selon laquelle il ait « été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l'inexécution ».
En vue de guider la rédaction de cette clause, il sera conseillé ce que suit.
II. Rédaction de la clause résolutoire
Eu égard au grand succès de cette clause ayant trait à aménager contractuellement les conséquences de l’inexécution, il paraît opportun de déterminer les grands axes devant guider la rédaction d’une clause efficiente.
Pour éviter les écueils, il est nécessaire de tenir compte du contexte contractuel pour la rédiger. Aussi devra-t-elle être façonnée au regard des éléments circonstanciels du contrat et de la nature de ce dernier. Dans cette logique, il faudra tenir compte de l’application éventuelle du droit de la consommation pour régir les relations entre les parties au contrat, tant cette clause est susceptible de tomber sous le coup de la législation sur les clauses abusives.
En outre, les évènements déclencheurs de la clause sont primordiaux. Ils devront nécessairement être déterminés au regard des potentiels problèmes pouvant survenir lors de l’exécution du contrat et des obligations des parties. Ce domaine peut aussi bien se fonder sur l’inexécution d’une obligation déterminée que sur des circonstances, telles qu’un changement de contrôle, un décès, un changement de capacité, des difficultés financières ou commerciales, des sanctions éventuelles, ou encore des éléments extérieurs aux parties, tels que des circonstances économiques ou politiques dans le pays au sein duquel est établi le cocontractant ou qui est le lieu d’exécution du contrat. Les hypothèses sont pléthores et peuvent être déterminées librement en fonction du contexte contractuel. Il n’en reste pas moins que les cas d’activation devront être suffisamment précis, dans la mesure où le caractère exceptionnel de la résolution volontaire appelle les juges à la plus grande rigueur dans leur interprétation de ces clauses (note 1). Cette précision de la clause résolutoire est ainsi sa règle d’or.
Les évènements déclencheurs peuvent en outre reposer sur l’une, l’autre ou les deux parties. Par cela, il s’agit de déterminer le caractère partiellement ou totalement unilatéral de la clause, voire simplement bilatéral. Ces considérations sont d’une particulière importance et il faut partir du postulat qu’une clause bilatérale est toujours plus sécurisée pour les parties. Si la loi permet, effectivement, l’insertion de clauses partiellement ou totalement unilatérale au profit de l’une des parties, il faudra les manier avec précaution puisqu’elles peuvent, en plus de pouvoir se heurter le cas échéant au droit de la consommation, tomber sous le coup de la législation sur le déséquilibre significatif de droit commun (note 2) ou de droit commercial dans certaines hypothèses (note 3). Cependant, le caractère unilatéral de la clause peut parfois être opportun, notamment dans un bail d’habitation, au profit du bailleur, à condition de borner strictement les hypothèses d’activation à des inexécutions ou violations suffisamment graves. Une grande partie du contentieux afférent à ces clauses se trouve d’ailleurs en cette matière. Il faudra donc toujours garder en tête l’équilibre contractuel lors de leur rédaction.
Aussi peut-il être judicieux de déterminer le rôle de la clause afin de démontrer l’intention des parties lors de son insertion. Une nouvelle fois, il s’agira de guider et de restreindre l’interprétation du juge dans l’hypothèse où un litige surviendrait. Également, il apparaît opportun de prévoir que le contrat prendra fin de plein droit par l’effet de la clause. C’est une recommandation que beaucoup d’auteurs partagent, parmi lesquels le Professeur Jacques Mestre (note 4).
Le moment de la résiliation est aussi une donnée qu’il faudra envisager lors de la rédaction de la clause, et, à défaut de précision, elle pourra être invoquée à tout moment. De surcroît, l’insertion d’un préavis peut s’avérer pertinent afin d’éviter d’éventuelles contestations sur le caractère brutal de la rupture.
Il faut également préciser que si la mise en demeure n’est pas nécessaire (note 5), il est opportun d’en user dans une clause dite de « résolution-sanction ». Cette dernière, qui devra nécessairement mentionner la clause (note 6), permettra de laisser une chance au cocontractant fautif de régulariser la situation pendant la période de mise en demeure. Cependant, il est fortement conseillé de prévoir que les parties renoncent à celle-ci dans le cas où l’inexécution serait définitive et irrégularisable.
La forme de la résolution peut, elle aussi, être aménagée en prévoyant les modalités probatoires de son exercice, le plus souvent par la stipulation d’une mise en demeure adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, laquelle doit contenir une motivation de la résolution afin d’éclairer l’autre partie.
Enfin, il est capital d’anticiper au sein de la clause les conséquences de la résolution, en lui conférant, ou non, un effet rétroactif. Les restitutions, dont le sort est régi par l’article 1229 du Code civil peuvent aussi être envisagées, et notamment de manière congrue dans un contrat à exécution successive. L’article susmentionné n’étant pas d’ordre public, une telle prévision semble possible.
A certains égards, la clause résolutoire peut être intelligemment accompagnée d’une clause pénale, et même éventuellement d’un dépôt de garantie, de sorte à constituer « ceinture et bretelle » pour tenir le débiteur défaillant, et ce à condition de se montrer raisonnable dans la fixation du montant de ce forfait (note 7). La fonction comminatoire de la clause pénale rejoindrait ainsi cette même vocation de la clause résolutoire dont elle est l’accessoire. L’intérêt d’insérer ces clauses complémentaires est d’autant plus fort qu’elles auront vocation à jouer en dépit de la résolution (note 8).
III. Clause type à adapter
« Article … : Résolution
Le présent contrat sera résolu de plein droit et à tout moment par l’une des parties, uniquement en cas d’inexécution des obligations suivantes :
-
Le paiement du prix Z ;
-
L’obligation X ;
-
L’obligation Y ;
-
…
Cette résolution unilatérale peut aussi intervenir à la survenance des évènements ci-après exhaustivement énumérés :
-
Changement de contrôle d’une des parties personnes morales… ;
-
Décès de l’associé unique… ;
-
…
Ladite résolution prendra effet dans un délai de QUARANTE* (40) jours calendaires à compter de la mise en demeure du débiteur, si toutefois celle-ci s’avère infructueuse.
Cette mise en demeure sera nécessairement adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, laquelle mentionnera la présente clause et les motifs menant à sa mise en œuvre.
En tout état de cause, la résolution par l’effet de ladite clause n’est pas rétroactive dans ses effets.
Les parties s’engagent expressément à mettre en œuvre la présente faculté de bonne foi.
Toute violation des stipulations présentes conduira au versement d’une indemnité forfaitaire de … euros. »
* Le délai de quarante jours susmentionné ne constitue qu’un exemple. Aussi doit-il être augmenté ou diminué, selon les cas. La détermination de ce délai résulte donc d’une appréciation et d’une analyse in concreto lors de la rédaction du contrat.
IV. Cahier des charges de la clause résolutoire
Figure 1 : Autopsie d'une clause résolutoire efficiente
Yaël AMRANI & Valentin ROUSSET
Note 1 : J.-M. Mousseron, Technique contractuelle, Francis Lefebvre, 5e éd., 2017, n° 1031.
Note 2 : Art. 1171, Code civil.
Note 3 : L.442-1, I, 2°, Code com.
Note 4 : Mestre J., Les principales clauses des contrats d'affaires, déc. 2018, Lextenso, 9782275064963.
Note 5 : Art.1225, Code civil.
Note 6 : Art. 1225, Code civil ; Cass. 3è civ. 17 mars 2016, n°14-29923.
Note 7 : Art. 1231-5, Code civil.
Note 8 : Art. 1230, Code civil.
LE BAIL COMMERCIAL : le tiraillé de la crise de la Covid-19 : Retour sur une année juridique de crise sanitaire
Un an déjà que la crise engendrée par la covid-19 hante la vie des commerçants. Entre des mesures de police administrative adoptées par les pouvoirs publics et des possibilités de retour à la normale encore incertaines, les commerçants croulent sous les dettes, notamment celles relatives aux baux commerciaux.
Si les preneurs ont épuisé leurs moyens de défense, en invoquant force majeure, perte partielle de la chose louée ou encore manquement du bailleur à son obligation de délivrance, leurs revendications sont pour la plupart, restées vaines. Il n’en résulte pas moins que la jurisprudence « covidienne » (N.B) comme les pouvoirs publics font face à un dilemme cornélien : celui de ménager la chèvre et le chou, et au cas d’espèce les intérêts du bailleur et du preneur.
De nombreuses mesures ont ainsi été adoptées et quelques décisions sont venues éclairer les contractants d’un bail commercial, mais toutes ont méconnu la sécurité juridique offerte par ce contrat aux parties. Effectivement, et comme il est légitime de le concevoir, les intérêts du bailleur durant cette crise sont similaires en tous points à ceux du locataire dans la volonté de poursuivre l’exécution du contrat, et pourtant, trancher en la faveur du premier fait inéluctablement peser un poids sur le deuxième. Quand le locataire entend préserver l’économie de son activité qui est à l’arrêt, le bailleur, lui, souhaite préserver la sienne, et c’est en ce sens qu’il est difficilement concevable de privilégier l’un au détriment de l’autre.
Dès lors, comment les pouvoirs publics, ainsi que la jurisprudence, ont-ils entendu protéger les intérêts de chacun des contractants d’un bail commercial dans le cadre de cette crise inédite ?
En premier lieu, il convient de déterminer la nature même du bail commercial. Exposé à l’article 1709 du Code civil, il est qualifié de contrat de louage de choses ; convention par laquelle l’une des parties s’oblige à faire jouir son cocontractant d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celui-ci s’oblige à lui payer.
Il convient donc de relever que l’obligation du bailleur est celle de faire jouir le preneur du bien pendant un certain temps, celui-ci comme convenu dans le bail. A ce titre, l’article 1719 indique que le bailleur est tenu d’une obligation de délivrance qui suppose que le preneur puisse exercer son activité, au même titre que la jouissance paisible. Toutefois, dans un arrêt en date du 9 octobre 1974 (Note 1), la Cour précise que cette obligation ne peut cesser que dans un seul cas, celui de la force majeure.
-
Les parties peuvent-elles alors invoquer un cas de force majeure pour suspendre respectivement leurs obligations ?
D’après un arrêt ancien rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Note 2), les décisions règlementaires de fermeture entrainent une perte provisoire de la chose. Ainsi, si le bailleur peut , de son côté, invoquer la force majeure et s’exonérer provisoirement de son obligation de délivrance conforme et de jouissance paisible par le jeu de l’exception d’inexécution disposée à l’article 1219 du Code civil, le locataire devrait pouvoir, quant à lui, suspendre son obligation de payer le loyer.
Déjà lorsque la crise sanitaire n’était pas d’actualité, la jurisprudence considérait qu’une impossibilité absolue pour le locataire d’exploiter son local commercial autorisait celui-ci à opposer une exception d’inexécution lui permettant d’obtenir une annulation de sa dette locative durant cette période (Note 3). Cela était par ailleurs envisageable, même si le bailleur justifiait d’un cas de force majeure.
I. Le bailleur et son droit de créance à l’encontre du preneur
Deux ordonnances du 25 mars 2020 (Note 4) viennent accroître la difficile sauvegarde des intérêts du bailleur. Celles-ci aménagent une protection des preneurs à bail commercial quant au risque d’acquisition de la clause résolutoire en cas de non-paiement des loyers durant la crise sanitaire. C’est en ce sens que le bailleur qui souhaiterait se prévaloir de la clause résolutoire inscrite dans le bail commercial doit vérifier, préalablement, si son preneur entre dans le champ d’application de l’ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020. Les mesures sont alors susceptibles de toucher un grand nombre de preneurs, dans la mesure où la plupart d’entre eux peuvent bénéficier du fonds de solidarité prévu pendant la crise pour ceux en difficulté. De ce fait, si le locataire entre dans le champ d’application d’une des deux ordonnances, il est expressément prévu qu’il ne peut encourir de « pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreintes, d’exécution de la clause résolutoire ou d’activation des garanties et cautions en raison du défaut de paiement de loyers ou charges locatives » (Note 5).
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Alors, au vu de ces textes, il est pertinent de se demander quels moyens, en définitive, les bailleurs soucieux de récupérer leurs loyers impayés peuvent soulever ?
Avant tout, il est utile de porter une précision. En effet, le loyer demeure en principe dû. Les ordonnances, si elles neutralisent la faculté du bailleur de se prévaloir de la clause résolutoire, ne remettent absolument pas en cause le droit de créance. En ce sens, une réponse ministérielle confirme que ces deux textes n’ont pas suspendu « l’exigibilité des dettes contractuelles » (Note 6). Notons toutefois qu’il faut émettre une réserve car le jeu des articles 1218 et 1219 du Code civil permettent de s’interroger sur la réalité de ce droit de créance.
A considérer que ce droit de créance existe bel et bien, les bailleurs devraient, en principe, bénéficier des voies classiques offertes aux créanciers insatisfaits. Celles-ci sont par exemple les actions en résolution judiciaire du contrat, les refus de renouvellement selon l’article L.145-17 du Code de commerce, les référés-provision, ou encore les injonctions de payer. Ces moyens, nous le verrons par la suite, restent limités par l’intervention de nouveaux textes.
II. La situation économique instable du preneur
Parallèlement, il est essentiel de déterminer les voies offertes aux locataires durant la crise sanitaire difficile d’un point de vue économique.
Le droit commun des contrats apporte peu d’éléments de réponse en faveur des locataires. En outre, la force majeure et l’inexécution de l’obligation de délivrance du bailleur ont eu très peu de succès devant les juges. Certains preneurs ont alors invoqué la bonne foi dans l’exécution des contrats, en ce sens où les bailleurs se devaient de vérifier si la crise sanitaire ne rendait pas nécessaire un aménagement des modalités d’exécution de leur contrat. A titre d’exemple, le tribunal judiciaire de Paris (Note 7) a rendu un jugement dans lequel il précise, dans un premier temps, que les ordonnances du 25 mars 2020 n’ont pas pour effet de suspendre l’exigibilité des loyers échus qui restent dûs par le preneur. Dans un second temps, le Tribunal précise que les contrats doivent être exécutés de bonne foi. En conséquence, et toujours d’après le Tribunal, « les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives ».
Nous pouvons donc en déduire que si le bailleur n’exige pas le paiement immédiat du loyer et des charges locatives dans les conditions initialement prévues dans le bail commercial et qu’il propose un aménagement, , il pourrait demander le paiement des sommes dont le preneur lui est redevable, si celui-ci ne formule pas de demande claire de remise totale ou partielle des loyers et des charges locatives dus.
Si on peut penser, à juste titre, que les moyens de défense se basant sur la force majeure et l’exception d’inexécution semblent recevables, ils n’en demeurent pas moins contestés par la jurisprudence « covidienne ».
En effet, la Cour d’appel de Grenoble a jugé le 5 novembre 2020 (Note 8) que le moyen tiré de l’exception d’inexécution devait être rejeté. Elle précise en ce sens que « le bail commercial n’a pas subordonné le paiement des loyers à une occupation particulière des locaux ni à aucun taux de remplissage ». Elle rejette ensuite le moyen tiré de la force majeure pour la simple et bonne raison, ou oserions-nous dire, la raison controversée, qu’il n’est pas « justifié par l’intimée de difficultés de trésorerie rendant impossible l’exécution de son obligation de payer les loyers. Cette épidémie n’a pas ainsi de conséquences irrésistibles ».
Dans la même lancée, car la jurisprudence en ces temps d’épidémie est abondante, le Juge des référés du Tribunal de Commerce de Paris (Note 9) a considéré que « le droit positif n’a jamais reconnu que le cas de force majeure puisse exonérer un débiteur de son obligation de paiement d’une somme d’argent » et que « même si l’accès du lieu loué a été temporairement interdit au public, les mesures sanitaires n’ont pas fait cesser sa mise à disposition par le bailleur, ni la possibilité pour le locataire d’en jouir puisqu’il pouvait toujours y accéder physiquement ».
Assurément, ces décisions sont lourdes de conséquences pour un preneur en difficulté économique.
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Que reste t-il alors aux preneurs afin de sauvegarder leurs intérêts pendant cette période ?
Nous l’avons vu, la bonne foi, la force majeure, l’exception d’inexécution ainsi que la perte partielle de la chose ne sauraient justifier une suspension du paiement des loyers et des charges locatives.
Néanmoins, certaines mesures ont été prises pour permettre la protection des locataires, au même titre que les ordonnances du 25 mars 2020. En effet, la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 permet aux locataires de ne pas encourir de sanctions en raison du défaut de paiement des loyers ou des charges locatives. Tout comme ce qui était prévu par les ordonnances de mars 2020, la loi prévoit que les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative ne peuvent encourir de telles sanctions. Toutefois, cette loi pousse la protection à un niveau supérieur, dans la mesure où elle paralyse l’ensemble des mesures d’exception, notamment en disposant que le bailleur ne peut désormais plus initier de mesures conservatoires pour les loyers couverts par la période de protection juridique (Note 10).
Enfin, d’autres solutions peuvent être envisagées. Sans doute, l’ordonnance ne prévoyant pas explicitement le report ou l’étalement des loyers et des charges locatives, une négociation peut être concevable entre les deux parties. En ce sens, la loi de finances rectificative de 2021 prévoit des mesures fiscales particulières pour les bailleurs qui décident de renoncer aux loyers au profit des entreprises touchées par la crise sanitaire. Plus précisément, si à la suite d’une négociation, le bailleur renonce aux créances de loyers impayés entre le 15 avril et le 31 décembre 2020, il peut se voir offrir une déduction de charges correspondant aux loyers auxquels il a renoncé. Il serait légitime d’émettre une critique à l’égard de cette disposition « protectrice » : ne serait-ce pas là une façon de faire du bailleur maître de la situation, en subordonnant l’avenir économique du preneur à sa décision ? Probablement, le preneur n’aura d’autre solution que d’être tributaire du choix du bailleur, qui, vraisemblablement, choisira l’option la plus intéressante pour lui, et lui seul.
Si, après tout, le preneur n’obtient toujours pas d’accord du bailleur quant à un report ou étalement des loyers et charges locatives, il lui reste les délais de paiement et délais de grâce octroyés par le juge au sens de l’article 1343-5 du Code civil. Ainsi, le preneur qui n’aurait pas réussi à régler son loyer au jour de l’échéance pourrait, en principe, solliciter auprès du juge un délai supplémentaire de paiement qui aura ainsi pour effet de suspendre son exigibilité. Cette voie est possiblement l’une des plus pénibles, dès lors qu’il peut être difficile pour un preneur, en premier lieu, de ne pas réussir à payer ses loyers et charges locatives, et par ailleurs, de devoir se retourner devant un juge pour faire une telle demande.
III. La restauration et la vente à emporter : nouveau compromis de protection des intérêts de chacun
Parmi les obligations du bailleur précédemment exposées figure celle de la délivrance conforme du local loué. Cette obligation, d’après la jurisprudence « covidienne », resterait respectée puisque le local est toujours physiquement accessible au preneur. Toutefois, le preneur, dans le cadre d’un bail commercial, est tenu de respecter l’activité autorisée par le bailleur au sein du local loué. En règle générale donc, un bail commercial doit clairement stipuler l’activité qui sera exercée dans le local par le locataire. Si en cours de bail, une évolution de l’activité est souhaitée par celui-ci, notamment dans cette situation de crise sanitaire, et qu’il souhaite adapter son restaurant en vente à emporter, il est nécessaire de procéder à une despecialisation partielle. Le locataire pourra ainsi adjoindre à l’activité prévue au bail des « activités connexes ou complémentaires » (NOTE 11).
Dans ce contexte « pré-covid », l’activité de restauration n’incluait pas, par principe, la vente à emporter, et le locataire qui effectuait ces opérations se voyait opérer une despecialisation partielle sans l’autorisation du propriétaire des locaux. Ainsi, le bailleur pouvait soit opposer une indemnité de despecialisation, soit une hausse du loyer commercial sans consulter son preneur préalablement.
C’est pourquoi, avec la crise sanitaire, les locataires d’un local affecté à l’activité de restauration se sont vus autorisés, par le gouvernement, à pratiquer la vente à emporter. En ce sens, un arrêt inédit a été rendu par la Cour d’appel de Paris en date du 17 février 2021 (NOTE 12) qui a dès lors jugé que l’adjonction d’une activité de vente à emporter ne peut donner lieu à déplafonnement du loyer. Elle exprime cela ainsi « Il convient de tenir compte de l’évolution des usages en matière de restauration traditionnelle. Si les plats confectionnés sont essentiellement destinés à être consommés sur place, la tendance croissante est de permettre à la clientèle, particulièrement en milieu urbain, de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou se les faire livrer à domicile ».
Au terme de notre analyse, il résulte que les intérêts économiques des contractants, bailleurs comme preneurs, sont difficilement conciliables. Il apparaît ainsi peu évident de procéder à une protection et une sauvegarde équitables d’intérêts aussi paradoxalement divergents et convergents à la fois. Il est certain que de nouvelles décisions et de nouveaux textes verront le jour prochainement, de façon à éclairer les parties à un bail commercial sur l’avancement de leur relation contractuelle.
Asya CEKIC
N.B : Néologisme subjectif permettant, tout au long de l’analyse, de regrouper l’ensemble des décisions rendues en matière de baux commerciaux durant la crise de la Covid-19.
Note 1 : Civ. 3ème, 9 oct. 1974, bull. civ. III n°345
Note 2 : Cass. Com., 19 juin 1962
Note 3 : Cass. Civ. 3ème, 19 nov.2015, n°14-24.612
Note 4 : Ordonnance n°2020-315 et ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020
Note 5 : Article 4 de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020
Note 6 : Rép. Houlier, AN 26-5-2020, question n°28385
Note 7 : TJ Paris, 10 juil. 2020, n°20/04516
Note 8 : CA Grenoble, 5 nov. 2020, n°16/0453
Note 9 : TJ Paris, 26 oct. 2020, n°20/55901 et n°20/53713
Note 10 : Du 17 octobre jusqu’à 2 mois suivant le jour où la mesure de police administrative a pris fin
Note 11 : Article L.145-47 du Code de commerce
Note 12 : CA Paris, 17 fév. 2021, n°18/07905
INTERNET : politique des cookies sur internet et recueil du consentement des utilisateurs
Au cours de notre navigation sur Internet revient, de manière incessante, une question qui se voit posée fréquemment en ces termes : « Souhaitez-vous accepter les cookies ? ». Afin d’accéder au site internet, la réponse à cette question est indispensable. Or, une acceptation de ces cookies n’est pas sans conséquence pour l’utilisateur. En effet, en appuyant sur le bouton « accepter », l’utilisateur offre la possibilité au site internet de récolter et utiliser un nombre de ses données personnelles. C’est alors qu’entre en jeu la problématique du consentement de l’utilisateur.
Se pose alors la question de savoir comment s’assurer que l’utilisateur fournit un consentement libre et éclairé lorsqu’il consent à l’utilisation de cookies. C’est à cette exigence d’un consentement libre et éclairé que veille la CNIL, non sans difficultés, en application de la législation européenne sur la protection des données personnelles.
Afin de mieux comprendre l’enjeu que soulève la politique des cookies quant au consentement des utilisateurs, il convient de s’interroger sur ce que sont réellement les cookies et de quelle manière s’exprime leur rôle lors de notre navigation sur Internet.
Qu’est-ce qu’un cookie et qu’elle est son utilité ?
Les cookies sont des traceurs de navigation qui permettent aux sites internet, dès lors qu’ils reçoivent la visite d’utilisateurs, de conserver une trace de leur passage, afin d’améliorer leur système d’exploitation, mais également de permettre d’optimiser le passage de l’utilisateur sur le site. Ce type de traceur prend la forme d’un texte conservé sur le disque dur de l’utilisateur (note 1). En somme, les cookies permettent aux sites internet de conserver une trace de votre passage afin de pouvoir réutiliser les données collectées. Tel est tout l’avantage que retirent les sites internet à utiliser des cookies, à savoir optimiser la qualité de passage sur leur interface. Les cookies ont deux vocations : d’une part, celle de récolter des données essentielles au fonctionnement du site internet, d’autre part, la collecte de données personnelles aux utilisateurs afin d’optimiser, en fonction de leurs attentes et préférences, leur passage sur le site internet.
Il existe un type de traceur controversé tant il pose problème quant à la vie privée de l’utilisateur, à savoir « le cookie tiers ». Ce sont des cookies qui ne seront pas récoltés par le site internet faisant l’objet d’une visite par l’utilisateur, mais par d’autres sites en quête de données précieuses à la pratique du ciblage marketing. Le fait, alors qu’une navigation est effectuée sur un site relativement neutre, qu’apparaisse une publicité « personnalisée » relative à une recherche précédente ne nous surprend plus et pourtant, c’est ici l’expression la plus courante des cookies de navigation qui marque une des plus grandes problématiques de cet outil.
Le cookie se place au croisement d’enjeux multiples et cardinaux, entre efficacité, fluidité de la navigation sur Internet et collecte des données personnelles, c’est pourquoi le législateur européen et les organes de contrôle veillent au respect du consentement libre et éclairé de l’utilisateur.
En quoi les cookies posent-ils problème au niveau du respect du consentement des utilisateurs ?
Au-delà de l’étendue de la collecte des données personnelles, s’est posée et se pose encore la question des modalités de recueil du consentement des utilisateurs quant à l’utilisation de cookies ayant vocation à fournir un accès aux données personnelles des utilisateurs (note 2). En France, c’est l’article 82 de la loi Informatique et Libertés qui prévoit cette obligation d’obtenir le consentement des utilisateurs avant toute opération de mise en place de cookies au moment du passage de l’utilisateur sur le site internet (note 3). Le RGPD exige notamment une manifestation de volonté « libre, spécifique, éclairée et univoque » de l’utilisateur, prenant la forme d’une déclaration ou d’un « acte positif clair » (note 4). La CNIL veille au respect de cette obligation et sanctionne les sites internet en cas de violation des règles relatives au respect du consentement des utilisateurs.
C’est en raison de l’exigence de recueil du consentement posée par le RGPD que chaque site procède au recueillement du consentement des visiteurs en faisant apparaître une bannière proposant généralement d’accepter les cookies. Mais c’est bien cette façon de recueillir le consentement qui pose problème en pratique. En effet, la plupart des sites internet ne proposent pas de bouton mentionnant explicitement l’option « refuser les cookies ». Dans les faits, un nombre trop important de sites n’offrent pas la possibilité aux utilisateurs, de façon clair et simple, de refuser l’utilisation des cookies, de telle sorte que l’utilisateur semble être contraint d’accepter leur utilisation. Plusieurs stratégies sont mises en œuvre telles que des boutons « en savoir plus » qui redirigent l’utilisateur vers une liste de cases pré-cochées, devant être désélectionnées pour signifier le refus (note 5). Ce sont tant de techniques qui visent à décourager l’utilisateur de choisir l’option de refus au profit d’une alternative simple et rapide : l’acceptation. Nous pouvons aisément voir en cela une façon d’inciter les utilisateurs à accepter l’utilisation de cookies, en d’autres termes, d’altérer leur consentement.
Face à ces comportements, la CNIL a réagi et a invité tous les sites internet à entrer en conformité avec les règles relatives au recueil du consentement jusqu’au 31 mars 2021 avant toute sanction. Pour être en conformité avec les règles relatives à la politique des cookies, chaque site internet devra proposer une alternative de refus aussi claire et accessible que le bouton « accepter les cookies ». Aussi, un détail de ce qui sera accepté ou refusé par l’utilisateur devra être mentionné dans la bannière, la seule mention « ce site utilise des cookies » ne suffira pas. Il faudra que l’utilisateur soit informé, dans la bannière, de ce que représentent ces cookies (note 6).
Encore aujourd’hui, nous pouvons nous rendre compte que seul le bouton « accepter et fermer » apparaît en gras et d’une couleur attirant l’œil, tandis que l’autre option indique seulement « en savoir plus ». Au 31 mars 2021, tous les sites internet devront s’être conformés aux exigences posées par la CNIL sous peine de sanction, reste à voir de quelle façon la CNIL sanctionnera les sites internet ne s’étant pas conformés aux exigences du RGPD.
Morgane SALEH
SOCIETES : L'article L.227-19 du Code de commerce : analyse des imprécisions au regard des droits fondamentaux
L’article étudié se situe dans le chapitre VII du titre II du livre II du Code de commerce. Il s’applique donc uniquement aux sociétés par actions simplifiées, qui sont une forme de société commerciale. Cet article dispose que « les clauses statutaires visées aux articles L. 227-13 et L. 227-17 ne peuvent être adoptées ou modifiées qu’à l’unanimité des associés ». Les articles visés renvoient d’une part à l’inaliénabilité statutaire des actions. Cela signifie l’impossibilité temporaire pour l’associé de céder ses actions. D’autre part, l’article vise la suspension et exclusion de la société associée dont le contrôle a été modifié, au sens de l’article L. 233-3.
En réalité, la question touche un point fondamental en droit des sociétés : les droits fondamentaux des associés. En effet, ceux-ci disposent de trois droits fondamentaux, qui sont le droit de vote, les droits patrimoniaux et les droits financiers. La clause étudiée concerne les deuxièmes et plus particulièrement le droit de céder ses actions. L’action est un titre négociable, c’est-à-dire qu’elle bénéficie de mode simplifiée de cession afin de circuler plus facilement et plus rapidement. L’inaliénabilité ainsi que la suspension et l’exclusion de l’article L. 222-17 sont des atteintes à ce droit fondamental patrimonial. Encore plus précisément, celui-ci dépend du droit de propriété, constitutionnellement et internationalement garanti (note 1).
Est-ce que l’unanimité exigée par L. 227-19 alinéa 1er est systématique ? Plus précisément, est-elle nécessaire lorsque l’objectif et la conséquence de la modification conduisent à un renforcement des droits fondamentaux des associés ?
Pour ce qui est de l’adoption et du renforcement des clauses, l’unanimité est obligatoire. En effet, le texte est clair et se justifie par une atteinte aux droits fondamentaux de l’associé. Néanmoins, la question se pose pour ce qui est de la diminution de l’atteinte (I.) et de son anéantissement (II.).
I. La diminution de la contrainte : nécessité d’une unanimité
La situation est la suivante : les statuts contiennent une stipulation d’inaliénabilité de cinq ans, qui avaient été approuvée à l’unanimité selon l’article L. 227-19 du Code de commerce. Les associés souhaitent modifier cette clause pour faire baisser l’inaliénabilité à un an. Cette modification doit-elle être approuvée à l’unanimité des associés ? La question se pose dans les mêmes termes pour la modification d’une clause relative à l’article L. 227-17.
Sur ce point, la question semble résolue grâce à l’article 1836 du Code civil, alinéa 2. Celui-ci dispose « en aucun cas, les engagements d’un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci ». A première lecture, il serait possible de croire que la situation étudiée correspond une diminution des engagements d’un associé, étant donné que l’inaliénabilité de ses actions est diminuée, et qu’ainsi cet article ne s’appliquerait pas. Pourtant, un raisonnement plus approfondi apporte une conclusion différente. En effet, le principe fondamental en droit des sociétés est la libre négociabilité des actions, et donc leur aliénabilité. Par conséquent, une inaliénabilité d’un an est supérieure à ce que la loi prévoit et constitue donc une augmentation des engagements de l’associé par rapport au seuil que constituent les textes légaux. En effet, l’inaliénabilité d’un an demeure une contrainte pour l’associé ainsi qu’une atteinte frontale à ses droits fondamentaux. Cette atteinte est acceptée par la loi dans les sociétés par actions simplifiées, mais une telle diminution du droit de propriété doit avoir été acceptée par le détenteur de ce droit. Cela signifie que l’associé dispose d’un réel droit de veto sur ce point. De plus, l’article dispose clairement que l’unanimité doit avoir lieu en cas de « modification », sans précision quant à la nature de celle-ci. En conclusion, l’unanimité est requise pour une diminution de la contrainte en vertu de l’article L. 227-19 du Code de commerce.
II. L’anéantissement de la contrainte par un retour aux droits fondamentaux : nécessité d’une unanimité ?
Une réelle question se pose de seconde part. Quid de la suppression totale de la contrainte et du retour aux droits fondamentaux ? L’unanimité est-elle toujours obligatoire ? Il s’agit de la situation où la clause statutaire d’inaliénabilité ou celle de l’article L. 227-17 du Code de commerce serait supprimée par un vote.
Sur ce point la doctrine est divisée. La partie majoritaire (note 2) invoque tout d’abord des arguments contractuels, et notamment le mutuus dissensus. Il s’agit de « termes latins signifiants ‘dissentiment mutuel’, utilisé pour désigner, de la part des deux intéressés, la volonté réciproque de rompre les liens qui les unissaient » (note 3). Adaptée à la situation étudiée, cette définition exprime le fait que si les associés ont unanimement consenti à cette clause statutaire d’inaliénabilité, ils doivent donc unanimement accepter de rompre ce lien les unissant. Le parallélisme des formes est invoqué dans le même ordre d’idée pour justifier l’unanimité. Finalement, le dernier argument invoqué n’est pas des moindres : la suppression serait la forme ultime de modification de la clause statutaire. L’article L. 227-19 prévoyant l’unanimité pour la modification de la clause, une telle unanimité devrait être réunie pour sa suppression.
Une autre partie de la doctrine ne conclut pas dans le même sens (note 4). Son premier argument provient d’une lecture stricte de l’article étudié. En effet, celui-ci comprend les situations d’adoption et de modification de la clause. Néanmoins rien n’est prévu pour la suppression de celle-ci. Comme le prévoit un adage bien connu, « ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus ». De cet argument découle l’absence d’unanimité pour supprimer totalement les deux dispositions statutaires des articles L. 227-13 et L. 227-17. De plus, l’unanimité est un régime rare en droit des sociétés, encore plus en SAS où la liberté contractuelle est promue. Tous les arguments invoqués jusqu’ici par les deux camps de la doctrine sont fondés juridiquement. S’ils sont tout à fait opportuns, ils nous semblent céder face au dernier argument de ce camp minoritaire de la doctrine : les droits fondamentaux. En effet, l’unanimité exigée par l’article L. 227-19 du Code de commerce ne se comprend que parce qu’elle porte atteinte au droit fondamental patrimonial de l’associé, et donc à son droit de propriété. Les atteintes à ce droit de propriété peuvent être envisagées par la loi afin de faciliter la vie des affaires et prendre en compte sa réalité pratique. Néanmoins, il semble que le retour au droit fondamental ne devrait pas être entravé par la nécessité d’une décision unanime des associés. En effet, ce rebond ne devrait pas pouvoir être bloqué par le refus de seul l’un d’eux non-titulaire de l’action.
Finalement, il convient de constater que le débat n’est pas clos. De plus, ce débat est réel car les arguments sont parfaitement justes et logiques pour chaque camp de la doctrine. Il n’en est que plus intéressant. Force est néanmoins de constater que la pratique des affaires accueillerait probablement avec un grand soulagement l’abandon de l’unanimité en cas de suppression des clauses statutaires visées par l’article L. 227-19 du Code de commerce.
Marine ENINGER
Note 1 : Articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, 1789 ; Article 1er du Protocole additionnel à la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 1952.
Note 2 : Voir ABEL (Q.), CLAUDE-FENDT (S.), GAILLARD (D.) et autres, Cession de parts et actions 17-18, Ed. Francis Lefebvre, Coll. Memento Expert, 2017.
Note 3 : CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, P.U.F., 2020, ed. 13, p. 670 et 671.
Note 4 : Voir GERMAIN (M.) et PÉRIN (P.-L.), La société par actions simplifiées, Joly 2016, n°730.
DECOUVERTE : le droit des contrats mauricien : système juridique mixte
“L’île Maurice fut créée d’abord, et ensuite, le paradis fut copié sur l’île Maurice.” Mark Twain.
Cette citation est probablement la plus répandue à travers le monde à propos d’une île de 1865 km2 située à l’ouest de l’océan Indien. Derrière cette image paradisiaque, se cache une histoire qui explique l’état actuel du droit mauricien. L’île Maurice a été pendant longtemps inconnue et inhabitée. En 1715, Guillaume Dufresne D’Arsel prit possession de l’île et celle-ci devint une colonie française. Elle fut nommée Isle de France.
Le droit antérieur était aligné au droit français. Le fait marquant de l’influence du droit français en matière contractuelle était la promulgation du Code Napoléon à l’île Maurice le 23 octobre 1805. En 1810, les anglais ont fait une première tentative pour s’emparer de l’île mais celle-ci fut déjouée par les français. Ce n’est que lors d’une deuxième attaque qu’ils parvinrent à prendre le contrôle. L’article 8 de l’acte de capitulation, signé par les commandants anglais et français, prévoyait le maintien des lois, coutumes et traditions des habitants. L’île fut nommée Mauritius Island.
Malgré l’acte de capitulation qui garantissait une pérennisation du droit français, il était difficile de garder les dispositions intactes. Peu à peu, les lois anglaises venaient se juxtaposer aux lois françaises. A cela, on pouvait ajouter les multiples conventions internationales signées par la Grande Bretagne qui entraient en vigueur à l’île Maurice. Lorsque le pays accéda à son indépendance en 1968, le gouvernement mauricien opéra une refonte des textes. L’objectif était de moderniser et de concilier les textes français avec les textes anglais. Plus de deux cents ans après sa promulgation, le Code Napoléon de 1804 est toujours la source principale du droit des contrats à Maurice.
De surcroît, la jurisprudence et la doctrine française sont toujours utilisées dans les jugements rendus par les cours. Dans ce système de droit mixte, le droit contractuel est d’inspiration française tandis que la procédure est d’inspiration anglaise. En effet, le Supreme Court Rule 2000 énonce trois moyens d’intenter une action en justice, notamment par «plaint with summons », par «motion and affidavit » ou par «praecipe and affidavit». En matière contractuelle, l’action est généralement introduite par voie de « plaint with summons ».
Quant à la juridiction compétente, il faut se tourner vers le Judicial and Legal Provisions Act 2018. Pour les litiges qui ne dépassent pas 250, 000 roupies, les Cours de district sont compétentes. Toutefois, lorsque le montant du litige est supérieur à 250, 000 roupies et inférieur à 2, 000, 000 roupies, la Cour intermédiaire est compétente pour en connaître. Dès lors que le montant du litige excède 2, 000, 000 de roupies, l’action doit être portée devant la Cour suprême de Maurice. Celle-ci connaît également des appels de ses sections statuant en premier ressort et des cours inférieures.
Si l’appel d’une partie est rejeté, l’article 81 de la Constitution de l’île Maurice prévoit un recours ultime : le Comité judiciaire du Conseil privé. Bien que l’île Maurice ait eu le statut de République en 1992, la juridiction de Sa Majesté la Reine d’Angleterre est maintenue. C’est une trace que la colonisation anglaise a laissé au droit mauricien. Toutefois, pour pouvoir faire appel au Comité judiciaire du Conseil privé, il y a certaines conditions à respecter. La condition la plus importante reste l’obtention d’une autorisation spéciale de la Cour suprême avant de pouvoir lancer la procédure d’appel.
A l’heure actuelle, le droit français et le droit anglais chevauchent côte à côte à travers le beau paysage mauricien. Les juristes mauriciens doivent donc jongler avec ce système juridique qui comporte des lois qui sont tantôt en langue française et tantôt en langue anglaise. Pour autant, cette influence du « common law » anglais et du droit civil français est considérée comme une richesse dont les mauriciens sont fiers.
Julie CHARLES